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    Comme pour d'autres acteurs de la protection de la biodiversitébiodiversité, OlivierOlivier Behra fut victime d'une rencontre : celle d'un petit crocodilecrocodile. Un être qui l'a amené à s'intéresser à l'espèceespèce, à faire des recherches, à se rendre à Madagascar, à préserver les crocodiles et, de fil en aiguille, à protéger tout un écosystèmeécosystème fragile peuplé d'autres espèces, parfois endémiquesendémiques.

    Le lémurien est une des espèces endémiques de Madagascar. © Ben Kerckx CC0, Domaine public
    Le lémurien est une des espèces endémiques de Madagascar. © Ben Kerckx CC0, Domaine public

    Olivier Behra :

    Les réserves expérimentales de Vohibola et Vohimana sont aussi uniques l'une que l'autre pour leur biodiversité. Dernier vestige de la forêt littorale de la côte est de Madagascar, la forêt de Vohibola est juste séparée de l'océan Indien par le canal des Pangalanes et par une fine bande côtière. Elle abrite avec les zones humideszones humides qui l'entourent oiseaux, poissons endémiques, reptilesreptiles et amphibiensamphibiens ainsi que mammifèresmammifères, dans une végétation qui compte au moins quatre espèces d'arbresarbres dont c'est le dernier refuge au monde. Forêt tropicaleForêt tropicale humide de moyenne altitude, Vohimana abrite quant à elle 11 espèces de primatesprimates et n'est pas moins que le site le plus riche au monde en espèces d'amphibiens endémiques. Cinquante-sept espèces de grenouilles y ont été répertoriées à ce jour sur 6 km2, ce qui représente deux fois plus d'espèces que sur les 290.000 km2 de l'Europe centrale. Lorsqu'au tout début du nouveau millénaire j'ai décidé, avec mon collègue malgache Dimby, de créer les réserves, ces forêts étaient littéralement en train de partir en fumée. Elles n'avaient aucune chance de subsister sans des actions novatrices. Pillages des boisbois précieux par des trafiquants, incendies non maîtrisés, destructions pour de misérables cultures sur brûlis étaient quotidiens. Ils laissaient de plus les populations locales dans la misère la plus totale et sans perspective aucune d'amélioration de leurs conditions de vie. Nous n'avions pas d'argent, l'administration forestière nous laissait carte blanche parce qu'elle n'avait aucun moyen d'intervention, mais nous avions des idées. À vrai dire, une idée principale : on devait pouvoir trouver moyen de travailler avec les communautés locales pour qu'elles réalisent l'intérêt de la préservation de ce patrimoine unique au monde.

    Le lémurien est une des espèces endémiques de Madagascar. © Fangio678, Flickr, CC by-sa 2.0
    Le lémurien est une des espèces endémiques de Madagascar. © Fangio678, Flickr, CC by-sa 2.0

    De grandes firmes adhèrent au projet

    Le résultat, sept ans après avoir commencé le projet : je me retrouvais avec mes vieilles chaussures usées dans les luxueux bureaux parisiens d'une des plus fameuses entreprises de parfums et cosmétiques au monde pour signer le premier contrat de compensation d'émissions de CO2, dans un cadre de partage des avantages avec les communautés locales. Pour faire simple, après avoir réussi à développer des extraits à partir de feuilles de plantes de la forêt collectées par les femmes de la zone, nous avons réussi à convaincre les industriels de l'évidence de s'impliquer dans la préservation de ce patrimoine mondial, et que pour cela il fallait soutenir les communautés locales. Ils ont vu l'intérêt économique pour eux de la mise en valeur de l'environnement avec les communautés locales, mais ont aussi compris que si ces forêts partaient en fumée, ce n'était que plus de CO2 qui partait dans l'atmosphèreatmosphère, compromettant aussi l'avenir des petits Occidentaux.

    Les fonds récoltés nous permettent pour la zone Vohimana de poursuivre l'amélioration du système d'éducation local que nous avons mis en place par la constructionconstruction d'écoles, l'embauche et la formation d'enseignants mais surtout en faisant fonctionner une cantine scolaire pour les 750 enfants scolarisés, dont 80 % se sont avérés malnutris. Il n'y avait aucun accès à la santé à moins de 12 km à pied, aussi nous avons construit un centre de santé. Le financement permettra pour les cinq prochaines années de le faire fonctionner avec un médecin et deux sages-femmessages-femmes. Les deux jeunes femmes ingénieures qui développent la transformation sur place des produits par les communautés suivant les règles du commerce équitable et de la production bio partiront améliorer leur formation en France. Un atelier pour développer la formation des femmes et l'accès au microcrédit peut être mis en place et fonctionner. Tout cela est le résultat pour les communautés locales de la préservation de la forêt et de la mise en valeur de ses ressources de façon durable. Le résultat est bien plus parlant que toutes les campagnes de communication expliquant l'importance de préserver l'environnement.

    L'idée de valoriser les ressources naturelles avec les communautés locales pour préserver l'environnement ne nous est pas venue du jour au lendemain. Tout a commencé par une passion pour un animal qu'il m'a semblé indispensable de préserver.

    Rencontre entre deux crocodiles. © Peter Nijenhuis, Flickr, CC by-sa 2.0
    Rencontre entre deux crocodiles. © Peter Nijenhuis, Flickr, CC by-sa 2.0

    Olivier Behra, un coup de foudre pour les crocodiles

    Dix ans après avoir quitté le Cameroun, pays de mon enfance, je m'y retrouvais en balade sur une rivière de l'Ouest. C'est là que j'attrapai un bébé crocodile. Il ne faisait même pas 50 cm et ressemblait comme deux gouttes d'eau à un dinosaure. J'ai été totalement fasciné par cet animal. De retour en France, j'ai réussi à entrer comme soigneur d'animaux au zoo de Vincennes, près de la capitale. Cela me donnait accès à la bibliothèque du Muséum et me rapprochait des blouses blanches des chercheurs de la vieille institution. Seul, j'ai lu tout ce qu'il y avait, pour me rendre compte qu'il n'y avait pas grand-chose d'écrit sur les crocodiles d'Afrique centrale. La nature - et la science - a horreur du vide et, aussi incroyable que cela puisse paraître à l'heure actuelle, car je n'avais absolument aucun diplôme, il ne me fut finalement pas si difficile que cela de trouver le chercheur qui allait me faire confiance pour trouver les moyens de me lancer dans l'aventure scientifique d'aller chercher les informations manquantes sur les crocodiles. J'avais regardé les cartes et décidé de rejoindre les endroits les moins accessibles d'Afrique centrale.

    Ma conviction était totale et je ne craignais ni les rebelles congolais, ni les serpents, ni les marécages. Je n'étais pas non plus impressionné de me retrouver, à 22 ans, en face d'un ministre africain pour lui expliquer le but de ma mission, mandatée par les autorités nationales françaises. Remonter le plus puissant fleuve d'Afrique était déjà une aventure fascinante. Le quitter après trois jours de navigation pour plonger en pirogue dans les profondeurs de la gigantesque forêt marécageuse, entre le Congo et le Cameroun, était la vraie aventure. Les rencontres avec les peuples locaux, que ce soit les Bantous ou les Pygmées, m'étaient facilitées par le fait d'être le seul Blanc. Le fait que je ne craigne rien dans les environnements naturels hostiles me facilitait par ailleurs le travail de recherche des animaux dans les nuits tropicales souvent humides. Au bout de six mois passés sur les fleuves et rivières, les données que j'avais rapportées allaient me permettre d'être rapidement reconnu par la communauté scientifique internationale, non pas parce que j'étais un scientifique en herbe génial, mais parce que les données étaient inédites. Prétentieux dans mes ambitions, je n'en étais pas moins humble de mon savoir. J'ai investi tout ce que j'avais pour aller rencontrer les scientifiques spécialistes de crocodiles, aux États-Unis puis au Zimbabwe. Ils m'ont accueilli avec intérêt et m'ont appris ce qu'il me manquait pour poursuivre mes travaux d'étude des crocodiles.

    Le Zimbabwe était à l'époque incroyablement plus évolué en matière de capacité de gestion de la faunefaune que les pays d'Afrique centrale, et ne parlons pas des États-Unis et de l'Australie. J'avais vu beaucoup de crocodiles, mais aussi que la chasse avait décimé des populations entières et qu'il fallait faire quelque chose. Suspendre le commerce international était une première étape. Je pris ainsi la parole en 1987 au Canada devant 2.000 spécialistes du commerce international des espèces menacées et les représentants officiels de 150 pays pour défendre avec succès la limitation de la chasse aux crocodiles pour le commerce international. Il s'agissait cependant là de chasse pour le marché international et, dans les forêts profondes, les crocodiles étaient aussi chassés pour la viande en quantité, sans qu'aucun contrôle ne soit de façon réaliste possible. À Madagascar, que j'avais aussi parcouru du nord au sud et de l'est à l'ouest pour cerner la situation des populations sauvages de crocodiles, les crocodiles étaient considérés comme nuisibles et devant être exterminés pour les dommages qu'ils causaient au bétail mais aussi aux populations humaines. J'ai rencontré, dans la brousse, un homme qui venait de perdre son fils de 12 ans dévoré par un crocodile. Pas besoin de préciser combien il apparaît alors absurde ne serait-ce que d'essayer d'expliquer qu'il faut protéger les crocodiles parce qu'ils sont intéressants...

    Les ranchs à crocodiles, une idée novatrice pour la sauvegarde de l’espèce

    En Occident, des gens meurent chaque jour dans leur automobileautomobile, pourtant il ne vient à l'idée de personne de sensé de vouloir faire disparaître ces moyens de transport si dangereux ; il devait y avoir une autre solution. Du fait de ma spécialité, unique pour un francophone, l'Organisation pour l'alimentation et l'agricultureagriculture passa outre mon jeune âge et, à 25 ans, je me retrouvai le plus jeune chef de projet que les Nations unies n'aient jamais eu. Le gouvernement malgache leur avait en effet demandé de les soutenir pour mettre en œuvre un programme de développement de l'élevage. L'opportunité était là pour moi de proposer quelque chose de novateur, puisque je devais concevoir et diriger les opérations. À la surprise générale, j'ai proposé de ne pas faire de fermes mais de faire des ranchs. Il fallait des investisseurs pour développer les conditions d'incubation des œufs et d'engraissement des petits qui allaient limiter la mortalité naturelle, mais nous allions collecter les œufs dans la nature auprès des populations locales. L'idée était que celle-ci devait trouver un intérêt à avoir des crocodiles dans son environnement naturel. Presque 20 ans après, le système fonctionne toujours. Le technicien que j'ai formé à l'époque et ceux qu'il a formés partent tous les ans dans la brousse payer les paysans locaux pour les œufs de crocodiles. C'est le secteur privé qui finance le système. Certes, son intérêt est la production de peaux pour faire des sacs à main, mais le résultat est que les populations de crocodiles ont un sursaut et présentent un intérêt immédiat de conservation dans la nature.

    La forêt malgache, si riche en espèces, part en fumée principalement parce que les populations qui vivent à ses abords n'ont pas d'autre choix que de la brûler pour gagner de nouvelles terres de culture. Ce qu'il y a de terrible, c'est que la terre sous la forêt n'est pas fertile du tout et que, peu d'années après, elle devient quasi stérile, laissant les populations toujours dans la pauvreté et avec leur capital naturel en moins. C'est à la suite de l'expérience avec les crocodiles que nous nous sommes dit qu'il fallait, de la même façon, trouver de la valeur immédiate à la forêt pour amener les populations locales à être motivées pour la préserver. Les plantes aromatiques et médicinales présentaient ce potentiel. Nous avons fait fabriquer un premier alambic en InoxInox pour être aux normes internationales et décidé de l'implanterimplanter directement dans une communauté villageoise. L'idée était de faire produire de l'huile essentielle de Ravensara aromatica, qui était déjà demandée sur le marché international. Ce sont les gens de la forêt qui amenaient les feuilles à pied dans le tout petit village. Au bout d'un an, ils ont compris le fonctionnement de la distillation et demandé si l'on ne pouvait pas les équiper directement dans la forêt. Ce fut chose faite.

    Quand les villageois s'investissent dans leur environnement forestier

    Quelle aventure, lorsque ces producteurs ont quitté pour la première fois leur zone forestière pour venir, pieds nus, à la capitale apporter leurs premiers litres d'huiles essentielles ! Certains ont juré de ne plus jamais revenir dans ce monde de fous. Le chef du groupement, cependant, fait non seulement toujours des allers-retours entre la forêt et les acheteurs d'huiles essentielles à la ville, mais travaille avec nous à la formation de nouveaux groupements locaux de producteurs. Nous avons vu qu'il fallait trouver à valoriser un maximum de plantes pour avoir un maximum d'intérêt. Le défi paraissait fou, mais les produits sont extraordinaires. Les journalistes de l'émission de TV Envoyé Spécial sont venus enquêter sur place, pour constater de visu le laboratoire que Chanel a financé afin d'aider les communautés à trouver de nouveaux produits à valoriser. Jacques Rocher, le fils de Yves Rocher, est venu lui-même dans l'Ouest malgache pour voir la plante dont nous avions envoyé des extraits stupéfiants à ses chercheurs. Convaincu, il s'est engagé dans un programme de soutien aux communautés locales pour qu'elles puissent distiller sur place et replanter des dizaines de milliers d'arbres. Bien sûr, ce n'est pas simple, mais je vois que nos ingénieurs malgaches ne lésinent pas sur leur peine pour adapter les technologies et former les communautés, car ils savent bien que c'est de leur patrimoine avant tout qu'il s'agit.

    Ferme à crocodiles. Une idée novatrice émise par Olivier Behra : construire des ranchs à crocodiles. © Christophk2003, Flickr, CC by-sa 2.0
    Ferme à crocodiles. Une idée novatrice émise par Olivier Behra : construire des ranchs à crocodiles. © Christophk2003, Flickr, CC by-sa 2.0

    La perte de biodiversité est un problème réel, qu'aucune technologie ne résoudra ; on a trouvé au bord de la forêt malgache du Nord une espèce de riz d'origine qui résiste à des maladies graves du riz, maladies qui sont susceptibles de se développer de façon exponentielle ; les alcaloïdesalcaloïdes trouvés dans les racines de la pervenche de Madagascar ne peuvent pas être synthétisés et permettent maintenant de sauver 80 % des enfants atteints de la leucémieleucémie. Le CO2 dans l'atmosphère est lui aussi un problème réel. Et encore tant d'autres choses. L'Homme a un patrimoine qui peut être valorisé pour le bien de tous, pour peu que l'on veuille le faire correctement. C'est la forêt sous les tropiquestropiques qui doit être gérée et non surexploitée, et ce doit être l'airair et l'eau dans tous les pays. La misère n'est pas acceptable.

    Mais, lorsque nous apportons pour 0,50 euro par jour d'investissement par habitant, valorisation pérenne des ressources naturelles pour l'alimentation de base, la santé et l'éducation, à des paysans malgaches et qu'alors ils vivent au moins aussi heureux que des traderstraders londoniens payés au moins 1.000 fois plus... il y a un autre problème. Il faut que l'Homme s'arrête un petit peu, qu'il arrive à réécouter la nature et même son environnement développé, à écouter les autres hommes. C'est de l'avenir de l'humanité qu'il s'agit. Henri Ford, le grand développeur du travail à la chaîne, disait qu'il faut qu'une entreprise fasse du profit, mais que si elle ne cherche plus qu'à faire du profit, c'est qu'elle a oublié sa raison d'être et alors elle est perdue. Il faut que l'entreprise humaine se ressaisisse. Je vois des gens extraordinairement entreprenants dans ce sens, aussi bien dans la forêt que dans les capitales du monde. Rien n'est perdu mais il faut réagir, et faire vite pour que le plus grand nombre le réalise.