Le débat sur la nature exacte de Bitcoin et autres cryptomonnaies n’est pas près de s’éteindre. Certains voudraient voir le bitcoin comme une monnaie à part entière, capable de se substituer à l’euro comme au dollar dans les achats quotidiens. D’autres le considèrent comme un actif de réserve, à conserver sur le long terme. D’autres encore, et ce sont souvent des détracteurs du bitcoin, ne voient en lui qu’une monnaie de spéculation, à l’instar des actions en Bourse, et donc assorti de risques tangibles, mais néanmoins à même d’attirer les amateurs d’argent facile. Alors quelle est la nature exacte du bitcoin ?  


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    Si l’on observe la brève carrière de Bitcoin depuis son apparition en 2009, force est de reconnaître qu’il a souvent été perçu comme un instrument de spéculation. À tort ou à raison, certains ont voulu voir en lui une source de gain facile. Si cela s’est avéré pour un petit nombre d’entre eux, d’autres ont pu avoir l’impression d’avoir placé leurs deniers sur des sables mouvants. Les instances de régulation à l’œuvre en Europe comme ailleurs ont donc souhaité mieux encadrer un domaine qui, jusqu’alors, a semblé leur échapper et qui n’a pas toujours été à la hauteur des espoirs initiaux fondés sur lui. La grande question demeure : quelle est la nature exacte du Bitcoin ? S’agit-il 

    • d’une monnaie à part entière ?
    • d’un placement sur le très long terme ?
    • d’un simple outil de spéculation ?

    Revenons sur ses origines et tentons d’y voir plus clair.

    Les intentions originelles du créateur de Bitcoin

    Lorsqu’il a eu l’inspiration de Bitcoin, Satoshi Nakamoto ne le percevait certainement pas comme un instrument de spéculation. Il l’envisageait comme une alternative aux monnaies traditionnelles.

    Le Livre Blanc publié par Nakamoto à la fin 2008 est clair sur la nature envisagée : ce devait être un système de paiement alternatif avec pour particularité qu’il repose sur un réseau d’ordinateurs « décentralisé » plutôt que sur l’ordinateur d’une banque centrale. La crise bancaire de 2008 avait alors de vives conséquences sur l’économie des ménages et le bitcoin souhaitait donc apparaître comme une monnaie qui ne pourrait pas être sujette à des manipulations de la part d’institutions financières ou de gouvernement. La solution reposait donc, selon Nakamoto, sur un « système de paiement électronique fondé sur une preuve cryptographique permettant à deux parties d’effectuer des transactions directes entre eux, sans la nécessité d’un tiers de confiance ».

    Le livre blanc publié par Satoshi Nakamoto le 31 octobre 2008, indiquant les spécifications de cette monnaie électronique indépendante des institutions financières traditionnelles. © bitcoin.org
    Le livre blanc publié par Satoshi Nakamoto le 31 octobre 2008, indiquant les spécifications de cette monnaie électronique indépendante des institutions financières traditionnelles. © bitcoin.org

    L’évolution du bitcoin

    Pourtant, la courte histoire du bitcoin a été semée d’événements imprévus ou même de mésaventures, à même de lui associer un sentiment d’instabilité et d’incertitude.

    Le bitcoin a démarré en 2009, époque à laquelle il valait moins de un dollar. L’intérêt d’une poignée de geeks a peu à peu fait boule de neige et sa valeur n'a cessé de monter, lentement mais sûrement. Le 9 février 2011, lorsque les premiers afficionados du domaine découvrent que 1 BTC est égal à 1 dollar, la surprise est de taille.

    Or, le BTC va continuer son ascension. Curieusement, c’est un site du darknet qui lui apporte une publicité peu enviable mais néanmoins intense : sur The Silk Road, on profite allègrement de l’anonymat que permet le Bitcoin pour obtenir le paiement de drogues comme d’un tueur à gages. Un autre événement a joué à plein : en 2012, quand les banques de Chypre ont fermé, des centaines de millions de dollars ont été perdus par les titulaires d’argent russe blanchi. Perçu comme une valeur refuge, le cours du Bitcoin est alors passé de 20 à 200 dollars en quelques semaines. Notoriété aidant, certains fonds d’investissement se sont mis à spéculer sur le bitcoin et il va grimper encore davantage. Pourtant, la rechute n’est pas loin. À la suite de l’arrestation du fondateur de The Silk Road et la fermeture de ce souk électronique, le bitcoin voit sa valeur retomber aux alentours des 100 dollars.

    Le 3 janvier 2017, face aux incertitudes liées à l’élection de Donald Trump mais aussi grâce à sa notoriété grandissante, le bitcoin passe la barre des 1.000 dollars sur les places de marché. C’est le début d’une vague spéculative sans précédent qui atteint son pic en janvier 2018 : plus de 20.000 dollars. Avant de retomber à nouveau aux alentours des 10.000 dollars.

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    Au printemps 2021, à la suite d'un tweet d’Elon Musk indiquant qu’il va devenir possible de payer les automobiles Tesla en Bitcoin et à la nouvelle comme quoi lui-même a investi 1,5 milliard de ses propres dollars dans cette monnaie, le bitcoin connaît une nouvelle envolée suivie d’une retombée après le désaveu du même Elon Musk.

    Pourtant, le Bitcoin est devenu plus accessible au grand public grâce à l’apparition d’applications rendant son usage aisé. Les plate-formes d’échanges se sont multipliées : Binance, FTX, Coinbase… Des institutions financières de taille annoncent qu’elles prennent le bitcoin au sérieux et parmi elles, Goldman Sachs ou Merril Lynch… Des banques décident d’intégrer cette monnaie dans leur offre, comme la banque suisse Falcon. En parallèle, le bitcoin fait l’objet d’un buzz médiatique intense. Un grand nombre de gens confinés à domicile en raison de la pandémie s’intéressent donc au bitcoin dans l’espoir de réaliser une plus-value rapide. Il va jusqu’à dépasser les 68…000 dollars en novembre 2021.

    Pourtant, dès le printemps 2022, le cours du bitcoin est reparti à la baisse, chutant jusqu’à 17.500 dollars. Le bitcoin semble avoir subi les contrecoups de quatre phénomènes :

    • la montée des taux d’intérêts ;
    • le retour de l’inflation due en partie à l’agression de l’Ukraine par la Russie ;
    • les soubresauts du marché boursier ;
    • le crash d’une jeune cryptomonnaie considérée comme une star du domaine au début de 2022, Terra Luna.

    Pourtant, en dépit des prédictions de prophètes de mauvaise augure qui le voyaient descendre jusqu’à 10.000 dollars, à la fin juillet 2022, son cours semblait s’être stabilisé aux alentours des 21.000 dollars, soit un tiers de sa valeur un an plus tôt.

    Le cours du Bitcoin a connu un décollage majeur durant l’été 2007 avec un pic aux alentours de 20.000 dollars vers le début de 2018, suivi d’une chute à un niveau proche des 10.000  dollars — supérieur à son cours d’avant 2017. Il a connu une envolée spectaculaire à deux reprises durant l’année 2021, avec une valeur allant jusqu’à 68.000 dollars. Au printemps 2022, le bitcoin a perdu un bon tiers de sa valeur pour se stabiliser aux alentours de 20 à 21.000 dollars, soit un niveau supérieur à celui qu’il avait en 2020. © CoinMarketCap
    Le cours du Bitcoin a connu un décollage majeur durant l’été 2007 avec un pic aux alentours de 20.000 dollars vers le début de 2018, suivi d’une chute à un niveau proche des 10.000  dollars — supérieur à son cours d’avant 2017. Il a connu une envolée spectaculaire à deux reprises durant l’année 2021, avec une valeur allant jusqu’à 68.000 dollars. Au printemps 2022, le bitcoin a perdu un bon tiers de sa valeur pour se stabiliser aux alentours de 20 à 21.000 dollars, soit un niveau supérieur à celui qu’il avait en 2020. © CoinMarketCap

    Une monnaie à part entière ?

    Peut-on considérer le bitcoin comme une monnaie à part entière ? Il est difficile de l’affirmer à l’heure où sont écrites ces lignes. Les commerces et sites Web qui acceptent le bitcoin comme moyen de paiement demeurent minoritaires à l’échelle mondiale. Le bitcoin souffre de la lenteur de traitement des transactions — environ 3.500 transactions par jour au printemps 2021, à comparer aux 84 millions de transactions traitées par Visa au même moment.

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    Bien évidemment, certains pays tels que le Salvador ou la Centrafrique ont décidé de l’adopter comme monnaie officielle. Il est vrai que, quand bien même aucune banque n’est impliquée, la mise en place du bitcoin comme système de paiement est relativement aisée notamment grâce au Lightning Network, une surcouche de Bitcoin conçue pour faciliter un usage à grande échelle. Depuis un wallet tel que Blue Wallet, les usagers scannent un QR code chez un commerçant et voient leur compte débité de la somme demandée. Pourtant, l’usage par la population et les commerces peine à suivre.

    Le principal souci est le suivant : le cours du BTC est encore un peu trop volatile. N’oublions pas que son cours s’est divisé par trois en une seule année.

    Imaginez la situation : vous apprenez qu’une boutique vend un vélo électrique à 0,0489 BTC le mardi à 11 heures (soit environ 1.000 euros). Le temps d’arriver à cette boutique une heure plus tard, il vous faut débourser 0,0512 BTC pour l’acheter car le cours du bitcoin a chuté entre temps et le vendeur a donc ajusté son offre.  Avouons-le : cette situation est difficile à vivre pour les commerçants comme pour les clients.

    Il faudrait donc que le cours du BTC se stabilise peu à peu pour qu’il soit possible de l’envisager comme une monnaie utilisable dans la vie courante. Le bitcoin a été conçu de façon à ce qu’il soit impossible de dépasser les 21 millions d’unités en circulation, et dès 2024, il ne restera plus que 1 million de bitcoins à « miner » (produire). Plus nous approcherons du seuil des 21 millions et plus le cours devrait donc se stabiliser, mais cette échéance sera aux alentours de l’an 2140 !

    Un actif d’investissement sur le long terme

    À première vue, si nous suivons l’évolution du BTC sur 12 ans, il paraît plus logique de le voir comme un placement sur le long terme. De fait, la courbe de Bitcoin accuse une hausse notable : celui qui en aurait acquis aux alentours de 100 dollars début 2013 et les aurait tranquillement conservés aurait multiplié par plus de 200 son avoir. Par comparaison, s’il avait acheté au même moment des actions de Apple, star de la Bourse, il aurait vu cet actif multiplié par 12.

    Le bitcoin dépend en permanence du maintien d’un vaste réseau d’ordinateurs interconnectés et à forte consommation électrique

    Bitcoin serait donc avant tout un actif de thésaurisation, comparable à l’or dont la rareté garantit une valeur stable ou en croissance. Des institutions établies telles que JPMorgan Chase ou Blackrock sont de cet avis. Il se trouve que les gros détenteurs de BTC, appelés les « baleines », semblent généralement vouloir les conserver le plus longtemps possible et en tout cas, éviter les ventes massives. Et pour cause : le jour où l’un d’eux se délesterait d’une majeure partie de ses bitcoins, le cours subirait une chute majeure, qui ne profiterait à personne. Donc, un grand nombre de personnes achètent régulièrement des BTC et les laissent dormir durant plusieurs années.

    Pourtant, parler d’un investissement sans risque n’est pas possible. L’or, les diamants ou même les tableaux sont des actifs « physiques » qui ne dépendent que d’eux-mêmes, alors que le bitcoin dépend en permanence du maintien d’un vaste réseau d’ordinateurs interconnectés et à forte consommation électrique.

    Un instrument de spéculation

    Le bitcoin serait-il avant tout un instrument de spéculation ? Diverses recherches semblent suggérer que cette pratique augmente durant des moments d’incertitude. Et de fait, dès 2017, le bitcoin a fait l’objet d’une bulle spéculative que certains ont associé à l’arrivée à la présidence des USA de Donald Trump. Toutefois, le fait que Bitcoin soit perçu comme un outil de spéculation a également correspondu à l’entrée sur ce marché d’investisseurs réputés, d’acteurs importants de la finance, mais aussi d’amateurs de profits rapides.

    De nombreux blogueurs et analystes financiers réputés ont publié des chroniques qui ont contribué à créer une crédibilité autour du bitcoin. Ainsi, en juin 2017, l’un d’eux, Brett Donovan s’est autorisé à prédire que le bitcoin était en mesure de dépasser les 3.000 dollars, et les faits lui ont rapidement donné raison.

    De nombreux usagers ont voulu croire qu’il y avait là un moyen de gagner beaucoup d’argent rapidement

    De nombreux usagers ont voulu croire qu’il y avait là un moyen de gagner beaucoup d’argent rapidement. Certains qui ont su acheter à un moment où le cours était relativement bas et ont eu la prescience de revendre à un moment de « haut » précédant de peu une rechute ont réalisé de belles plus values. D’autres ont été moins clairvoyants et de fait, on ne s’improvise pas spéculateur du jour au lendemain. Il se trouve que les tweets de certains influenceurs tels que Elon Musk peuvent peser fortement sur sa cotation vers le haut comme vers le bas, et qu’ils sont le plus souvent imprévisibles.

    Nous l’avons vu : la pandémie de Covid 19 a correspondu à une période faste pour le bitcoin et les autres cryptos. Confinée dans ses foyers, la population des pays développés a reçu un fort soutien financier des états et a investi massivement dans le secteur des cryptomonnaies. Les cours se sont multipliés par 10 entre mars 2020 et novembre 2021.

    Seulement voilà : une inflation galopante s’est développée aux USA, et la banque centrale a donc décidé de relever ses taux d’intérêt. Les cours ont été divisés par trois sur la première partie de 2022. La guerre engagée par la Russie en Ukraine n’a fait qu’accélérer le mouvement à la baisse. Les spéculateurs ont donc été réduits à chercher leurs frissons ailleurs.

    Un outil à maîtriser de manière experte

    Que dire ? La perception de Bitcoin comme un actif d’investissement sur le long terme paraît à ce jour la plus sensée. S’en servir comme d'un outil de spéculation nécessite une connaissance experte de cette « science » si tant est que l’on puisse user de ce terme. Il est probable que, pour les plus avisés de cette pratique, d’autres monnaies semblent avoir davantage de potentiels à court terme : Ethereum V2, Solana, Tezos… Avec un bémol : le crash de Terra Luna est là pour nous rappeler qu’un facteur d’incertitude règne encore dans ce jeune domaine.

    De nos jours, les institutions qui conseillent leurs clients en matière d’investissement recommandent souvent de diversifier leurs actifs et d’inclure dans leurs portefeuilles des cryptomonnaies, comme le BTC, parmi d’autres valeurs plus traditionnelles telles que l’or ou des actions dans des entreprises à la Apple ou Microsoft ayant plus que prouvé leur performance sur la longueur.

    Il reste qu’une nouvelle envolée du bitcoin est tout à fait envisageable dans le futur et que son cours pourrait peu à peu dépasser les 100.000 dollars. La question est de savoir quand exactement un tel décollage pourrait se produire. La question reste ouverte et pourrait bien dépendre d’événements fort difficiles à prévoir aujourd’hui. Autant le dire : les grands jours de bitcoin en tant qu’instrument de spéculation sur le court terme pourraient bien être derrière nous.