À quelques kilomètres de Rome, les archéologues ont exhumé la quasi-intégralité d'une ville moyenne ayant prospéré durant l'Antiquité, de la République à l'Empire. Dans un livre abordant l'avancée des recherches archéologiques urbaines en Italie, un professeur de l'université de Cambridge fait état des fouilles sur le site d'Interamna Lirenas, qui suscite des questions quant à la vie des citoyens romains lors du déclin de l'Empire romain.


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    Au centre de l'Italie, à mi-chemin entre Rome et Naples, des archéologues fouillent depuis plus de dix ans les alentours d'un petit village tranquille nommé Pignataro Interamna. Les différents chantiers ont effectivement permis aux chercheurs de révéler à la lumière du jour les vestiges d'une ville de taille moyenne de l'Empire romain. Mais ce qui intéresse le docteur Alessandro Launaro, professeur à Cambridge et éditeur de Roman Urbanism in Italy: Recent Discoveries and New Directions, c'est la trajectoire de cette petite cité à une époque de déclin de l'Empire romain. Le livre, publié en janvier 2024, décortique l'histoire de plusieurs villes de l'Antiquité en Italie d'un point de vue archéologique. Mais l'un des cas les plus intéressants est bien celui d'Interamna Lirenas. Le destin de cette ville démontre que les provinces de l'Empire ne se sont pas effondrées mais se sont au contraire transformées au fil des années.

    Photographie du Teatro romano, à Interamna Lirenas. © Rjdeadly, CC BY 4.0, Wikimedia Commons
    Photographie du Teatro romano, à Interamna Lirenas. © Rjdeadly, CC BY 4.0, Wikimedia Commons

    Une ville oubliée et la destinée de l’Empire romain

    Il aura fallu treize ans pour déterrer les stratesstrates urbaines d'Interamna Lirenas. La ville aurait été habitée jusqu'à la fin du Ve siècle, avec un déclin démographique à partir du IVe siècle avant d'être complètement abandonnée au VIe siècle. « On utilise parfois des pièces de monnaie ou d'autres objets pour étudier le quotidien des citoyens durant l'Antiquité, mais les objets les plus intéressants sont les poteries communes. Elles sont utilisées couramment par les populations et offrent un éclairage sur les modes de vie et les moyens de production. Dans le cas d'Interamna Lirenas, nous sommes ainsi capables d'établir que les amphores et autres contenants étaient fabriqués dans la région, localement », explique le docteur Alessandro Launaro à Futura.

    Il aura fallu attendre 13 ans de fouilles pour que les universitaires publient une étude exhaustive concernant le site d'Interamna Lirenas. © Rjdeadly, CC BY 4.0, Wikimedia Commons
    Il aura fallu attendre 13 ans de fouilles pour que les universitaires publient une étude exhaustive concernant le site d'Interamna Lirenas. © Rjdeadly, CC BY 4.0, Wikimedia Commons

    Jusqu'à récemment, l'idée selon laquelle l'Empire romain s'était écroulé entre le IIIe et le IVe siècle est répandue. Le dernier empereur de Rome, Romulus Augustule, meurt en 476. Un nouveau centre du pouvoir émerge à Byzance et la capitale occidentale est en déliquescence. Mais dans les provinces romaines, la vie continue, les administrés s'adaptent. Pour Alessandro Launaro, cette époque est celle de la « transformation plus que du déclin ». Il explique que les éléments retrouvés à Interamna Lirenas permettent d'affirmer que la petite ville était un point de passage fréquenté. Plusieurs infrastructures telles qu'un théâtre ou des entrepôts démontrent que la ville possédait une riche activité économique, commerciale et culturelle. « La ville est plus représentative de la ville romaine moyenne que d'autres sites comme Pompéi », ajoute le docteur Launaro. Les scientifiques n'ont pas constaté de traces de destruction laissant penser à des pillages ou à des attaques ayant mené les habitants d'Interamna Lirenas à quitter les lieux. La cité se situant au croisement de routes et aux abords d'une rivière, elle se serait dépeuplée progressivement, au cours de plusieurs décennies. Les habitants se seraient dispersés dans des secteurs alentour, notamment des lieux plus vallonnés, plus simples à défendre.

    Moins d’excavations pour une préservation accrue du site

    En découvrant Interamna Lirenas en 2010, les archéologues avaient l’intention de préserver le site sur le long terme. « Notre angle initial n'était pas de déterminer l'évolution d'une cité par le prisme du déclin politique de l'Empire romain, mais d'étudier l'évolution d'une ville tout court. Nous avons réalisé des études géophysiques des sols, et étudier les artefacts et les structures urbaines dans leur intégralité. Si les excavations offrent un niveau de détail exceptionnel, cela coûte cher et c'est techniquement complexe sur l'intégralité d'un site, ici 21 hectares. La prospection géophysique est un outil permettant d'agréger suffisamment de données », détaille Alessandro Launaro.

    Représentation de la répartition des poteries retrouvées sur le site archéologique au cours des treize dernières années. © <em>Launaro and al., Roman Urbanism in Italy : Recent Discoveries and New Directions</em>
    Représentation de la répartition des poteries retrouvées sur le site archéologique au cours des treize dernières années. © Launaro and al., Roman Urbanism in Italy : Recent Discoveries and New Directions

    Les fouilles d'Interamna Lirenas sont autant de portesportes ouvertes pour comprendre le quotidien d'une ville romaine moyenne dans les derniers âges de l'Antiquité. Mais c'est aussi l'opportunité d'offrir à la vue de tous un nouveau site archéologique, accessible au grand public. « Là où nous avons fouillé, nous voulions que les gens puissent s'approprier leur héritage culturel. Le théâtre que nous avons trouvé est aujourd'hui utilisé comme un vrai théâtre ». Les recherches menées par le docteur Launaro sont aussi la marque d'une efficacité méthodologique face à d'évidents manques de ressources en archéologie. « Il est clair que de nombreux projets à travers le monde manquent de ressources et de financements. Mais il nous est nécessaire d'adapter notre méthodologie pour rendre nos recherches plus précises et extraire plus de données et d'informations », conclut l'universitaire.