Coronavirus en Afrique : pourquoi la catastrophe annoncée n'a pas eu lieu ?
Les experts annoncent depuis des mois une déferlante de l’épidémie de coronavirus en Afrique, où la pauvreté et le manque d’infrastructures de santé font craindre le pire. Pourtant, alors que le premier cas remonte au 14 février sur le continent, la vague n’est toujours pas arrivée. Comment expliquer cette relative préservation ?
Depuis le premier cas de coronavirus sur le continent, le 14 février en Égypte, les experts nous prédisent un scénario effrayant. L'Afrique allait être rapidement submergée par la pandémie de Covid-19 avec à la clé un cataclysme sanitaire dans un continent pauvre au système de santé défaillant. L'Organisation mondiale de la Santé (OMS) appelle presque chaque jour le continent « à se préparer au pire ». Deux mois plus tard, le tsunami n'a toujours pas eu lieu, alors que les pays européens et les États-Unis sont violemment frappés.
L’Afrique est le continent le moins touché par l’épidémie de coronavirus
Avec 1.216 décès et 26.058 cas recensés au 22 avril, l'Afrique est le continent le moins touché par l'épidémie de coronavirus. L'Algérie, est le pays qui déplore le plus grand nombre de décès (402) devant l'Égypte, le Maroc et l'Afrique du Sud. Par comparaison, la France et ses 66 millions d'habitants a dépassé la barre des 20.000 morts du Covid-19. Alors pourquoi l'Afrique avec ses 1,2 milliard d'habitants semble échapper à l'épidémie ?
Évidemment, le faible nombre de tests et le manque de données faussent en partie le bilan, le nombre de cas étant sans doute largement sous-estimé. Le chef du Centre africain de contrôle et de prévention des maladies, John Nkengasong, concède à l'AFP que, faute de tests, les statistiques ne sont pas parfaites. Mais il écarte l'idée que de nombreux cas passent sous les radars. « Les hôpitaux seraient envahis de malades, ce qui n'est pas le cas », confirme le médecin. D'autres facteurs peuvent en revanche apporter quelques pistes d'explication.
Une longueur d’avance
L'épidémie a gagné l'Afrique quelques semaines après l'Europe, permettant à ses dirigeants d'adopter des mesures préventives très en amont. « Avant même la détection des premiers cas de coronavirus sur le sol rwandais, nous avons pris très tôt des mesures d'hygiène qui ont été appliquées sur presque toute l'étendue du territoire », corrobore le docteur Sabin Nsanzimana, directeur général du Rwanda Biomedical Centre, à RFI. L'Afrique du Sud, la Tunisie, le Maroc et l'Algérie ont imposé un confinement et des couvre-feux avant que l'épidémie n'ait eu le temps de se propager.
Une faible densité de population
Avec 43 habitants par kilomètre carré, contre 181 en Europe de l'Ouest ou 154 en Asie du Sud-Est, l'Afrique demeure un continent faiblement peuplé dans la plupart des régions. Les habitants sont généralement concentrés dans les capitales, qui ont été très tôt confinées. En Côte d'Ivoire, le grand Abidjan est ainsi officiellement isolé du reste du pays depuis le 30 mars. Idem au Lagos, où les habitants des deux mégalopoles, Abuja et Lagos, ont interdiction de quitter la ville. Cette faible densité limite considérablement les contacts et donc la transmission du virus.
Moins de circulation des personnes
Contrairement à la plupart des pays occidentaux, de nombreuses régions africaines restent très isolées et vivent en quasi-autarcie. Le virus circule donc très peu dans la population. L'Afrique est également beaucoup moins touristique que l'Europe ou les États-Unis. Sur les 50 aéroports les plus fréquentés au monde, un seul est africain (celui de Johannesburg). L'Afrique ne compte pas non plus de diaspora importante comme la Chine ou l'Inde, qui doivent faire face au retour de nombreux étudiants revenant de l'étranger. Peu de grands mouvements de population ont d'ailleurs été constatés en Afrique subsaharienne.
Une pyramide des âges beaucoup plus jeune
Environ 60 % de la population africaine est âgée de moins de 25 ans. Or, le coronavirus frappe plus particulièrement les personnes âgées : en France, 75 % des personnes décédées du Covid-19 ont plus de 75 ans. L'Italie du Nord, région la plus touchée au monde, est aussi caractérisée par une très forte population âgée. « En Afrique, il n'y a plus de vieux à tuer sur le continent » résume sarcastiquement l'écrivain ivoirien Gauz, dans une tribune sur le site de Jeune Afrique. L'Afrique présente aussi un très faible taux d'obésité, qui est un facteur de risque majeur de mortalité au Covid-19.
Une immunité pré-existante ?
Une étude préliminaire du NHS (National Health Service) et de King's College montre une corrélation négative entre les pays affectés par la malaria et ceux touchés par le Covid-19, qu'elle explique par un possible effet protecteur des traitements prophylactiques pour la malaria comme la chloroquine contre le coronavirus. Or, 93 % des cas de malaria sont enregistrés en Afrique, selon l'OMS. D'après une autre étude, c'est la vaccination systématique du BCG déployée en Afrique qui pourrait expliquer l'immunisation de la population. Les pays sans politique de vaccination universelle du BCG comme l'Italie et les États-Unis sont à l'inverse les plus touchés par le Covid-19, notent les auteurs. Des corrélations qui n'apportent toutefois aucune preuve de cause à effet.
Famine, criquets, effondrement de l’économie : ces autres menaces bien plus concrètes
Malgré ces atouts, l'Afrique risque pourtant de faire les frais de l'épidémie de Covid-19. Conséquence de la fermeture des frontières, des mesures de confinement et de la hausse des prix des denrées alimentaires, « le nombre de personnes menacées de famine en Afrique de l'Ouest pourrait quasi tripler en trois mois », a ainsi alerté l'ONG Oxfam le 21 avril. Une invasion de criquets fait également des ravages en ce moment en Afrique de l'Est. En Éthiopie, 200.000 hectares de terres agricoles ont été dévorées et un million de personnes ont désormais besoin d'une aide alimentaire d'urgence. La pandémie de coronavirus a également mis à l’arrêt la plupart des campagnes de vaccination contre la polio, la rougeole ou la diphtérie. En Afrique, le coronavirus est loin d'être la priorité des habitants.
Quels sont les pays d'Afrique les plus vulnérables au coronavirus ?
Article de Julie Kern publié le 20/02/2020
Le virus responsable de l'épidémie de Covid-19 vient d'infecter une première personne en Égypte. Si les infrastructures du pays ont permis la prise en charge du patient, les autres nations du continent africain ne disposent pas forcément des mêmes avancées. Un travail de modélisation réalisé par une équipe de l'Inserm a déterminé quels sont les pays les plus vulnérables face à l'épidémie.
L’épidémie de Covid-19 n'épargne désormais plus aucun continent. Un premier cas sur le continent africain a été identifié le 14 février 2020 en Égypte. Le patient est en quarantaine à l'hôpital Al-Negila de Matrouh, à l'ouest du pays. Au 20 février 2020, l'épidémie touche 75.752 personnes et 2.130 en sont mortes.
Une étude, publiée dans The Lancet et menée par des chercheurs français de l'Inserm, détaille la vulnérabilité des pays africains face à l'épidémie de Covid-19. En prenant en compte les infrastructures de santé mais aussi la démographie de chaque pays en lien avec la Chine, les scientifiques ont pu déterminer lesquels sont les plus menacés par l'épidémie mondiale.
Algérie, Égypte et Afrique du Sud sont les plus exposés
Les scientifiques ont identifié les trois pays les plus exposés au risque d'importation du virus : l'Algérie, l'Égypte et l'Afrique du Sud car ils entretiennent tous des échanges aériens soutenus avec les provinces infectées en Chine. Néanmoins, leur score Spar et IDVI très élevés font penser qu'ils sont en mesure de détecter et de contenir efficacement l'épidémie.
En revanche, des pays comme le Nigeria, l'Éthiopie, le Soudan, l'Angola, la Tanzanie, le Ghana ou encore le Kenya ont beaucoup moins de risques de voir un cas d'importation arriver sur le territoire. Mais leurs scores Spar et IDVI sont moins hauts. Si le virus arrive là-bas, il est possible qu'il ne soit pas détecté à temps et commence à se propager.
Le saviez-vous ?
Le Spar (State Party self-assessment annual reporting tool) est calculé à la suite d’une déclaration annuelle obligatoire de chaque pays à l’OMS. Celle-ci fait état des capacités du système de santé du pays et de sa capacité à combattre une maladie infectieuse. Il est noté de 0 à 100. À 100, les pays attestent des moyens nécessaires pour affronter une épidémie.
L’IDVI (Infectious Disease Vulnerability Index) prend en compte des paramètres indépendants des infrastructures de santé comme la démographie ou la stabilité politique. Il est aussi noté de 0 à 100 où 100 indique la vulnérabilité la plus faible.
En résumé, les pays avec des scores Spar et IDVI élevés sont les moins vulnérables aux épidémies et les mieux armés pour y faire face.
L’influence des aéroports chinois
L'importation de l'épidémie de Covid-19 ne se joue pas qu'en Afrique. En effet, l'évolution de l'épidémie dans certaines provinces chinoises clés pourrait bien changer la donne. C'est le cas par exemple dans la province de Pékin où de nombreux avions partent vers l'Afrique. La compagnie aérienne Ethiopian Airlines assure encore la moitié de ses trajets avec la Chine.
Les scientifiques ont réparti les pays en trois groupes en fonction de leur liaison aérienne avec la Chine. Ainsi, si l'épidémie prend de l'ampleur dans la région de Pékin, ce sont 18 pays du continent africain (listés ci-dessous) qui deviendraient plus vulnérables. Si l'épidémie grandit dans la province de Guangdong, ce sont 7 autres pays dans lesquels le risque d'importation du virus pourrait augmenter. La province de Hubei n'a pas été prise en compte puisque tous les aéroports et gares y sont à l'arrêt.
« Ce travail permet de se projeter en fonction de l'évolution de la situation en Chine. Il permet aussi d'alerter les pays les plus exposés sur la nécessité de se préparer à l'éventualité d'introduction du virus. Or, on voit bien la difficulté de détecter rapidement les cas importés à l'étranger, y compris dans les pays développés. Pour plusieurs pays africains ayant de faibles ressources pour gérer une épidémie, les risques sont importants de ne pas disposer de l'organisation et des infrastructures pour la détection, le confinement, la prise en charge des malades, ce qui fait craindre un risque d'épidémie sur le continent », conclut Vittoria Colizza, directrice de recherche à l'Inserm et à la tête de l'étude, dans un communiqué de presse.