La recherche de la vie se concentre aujourd'hui sur les lunes des planètes géantes Saturne et Jupiter que l'on sait abriter des océans souterrains. Lors de sa conférence de presse de début d'année, Josef Aschbacher, le directeur général de l’Agence spatiale européenne a rappelé son projet d’envoyer une sonde sur Encelade afin de rapporter sur Terre des échantillons de cette lune dont on suppose qu’elle pourrait abriter une forme de vie dans son océan souterrain. Une excellente initiative.


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    Depuis que les sondes GalileoGalileo et Cassini ont montré que Mars n'était peut-être pas le seul corps du Système solaire à avoir pu abriter une vie extraterrestre, la recherche d'une forme de vie se focalise au-delà de la zone d'habitabilité de notre étoile.

    On a longtemps envisagé que Mars pourrait abriter une forme de vie primitive. Mais, aujourd'hui, il est difficile d'en imaginer une quelconque sur la surface de cette planète en raison d'un sol très oxydant et du rayonnement UVUV conjointement qui n'est pas fortement atténuéatténué par une couche d’ozone -- exerçant un effet protecteur sur Terre -- de sorte que toutes molécules organiques seraient rapidement détruites.

    Mais si, aujourd'hui, la vie en surface n'est pas possible, cela n'a peut-être pas été le cas tout au long de l'histoire de la planète. Les scientifiques sont convaincus qu'il y a 4 à 3,5 milliards d'années, Mars pouvait abriter des écosystèmesécosystèmes analogues à ceux de l'ArchéenArchéen terrestre. L'existence de formes de vie, au moins très simples sur Mars, au cours des 4,5 milliards d'années de son histoire, est donc un principe concevable selon de nombreux chercheurs.

    Mais si la vie en surface est impossible, les scientifiques supposent que son sous-sol profond, en dessous de cinq kilomètres, pourrait héberger une vie endogée analogue à celle du sous-sol terrestre. Cependant, jusqu'à présent, si l'habitabilité de Mars est avérée, aucune preuve de vie éteinte ou en activité sur Mars n'a été trouvée. En attendant d'être capables de s'enfoncer aussi profondément, les scientifiques s'affairent davantage à découvrir les vestiges d'une forme de vie primitive éteinte, qui pourraient prendre la forme de fossilesfossiles ou d'effets induits sur l'environnement, plutôt qu'à déceler une forme de vie en activité.

    Illustration de l'intérieur d'Encelade, petite lune de 504 km de diamètre gravitant autour de Saturne. Les données recueillies par Cassini suggèrent l'existence d'un océan d'eau liquide sous une épaisse écorce de glace dans la région du pôle sud, précisément où des jets d'eau sont régulièrement observés depuis 2005. Son noyau rocheux serait relativement peu dense. © Nasa, JPL-Caltech
    Illustration de l'intérieur d'Encelade, petite lune de 504 km de diamètre gravitant autour de Saturne. Les données recueillies par Cassini suggèrent l'existence d'un océan d'eau liquide sous une épaisse écorce de glace dans la région du pôle sud, précisément où des jets d'eau sont régulièrement observés depuis 2005. Son noyau rocheux serait relativement peu dense. © Nasa, JPL-Caltech

    Pour découvrir une forme de vie dans le Système solaire, les scientifiques sont aujourd'hui conscients qu'il faut la chercher bien au-delà de la zone d'habitabilité du Soleil, et s'aventurer jusqu'aux planètes géantesplanètes géantes JupiterJupiter et SaturneSaturne. Certaines des luneslunes glacées de ces deux planètes sont connues pour abriter des océans liquidesliquides situés plusieurs kilomètres sous leur surface. Ces océans, tiédis par la dissipation thermique des effets de maréemarée, combineraient durablement les trois facteurs intrinsèques et nécessaires à l'apparition de la vie que sont l'eau sous forme liquide, une chimiechimie organique et une source de chaleurchaleur. L'idée de trouver des crevettes vivantes au fond de cet océan souterrain n'est pas aussi farfelue qu'il y paraît.

    L'océan d'Encelade, vraisemblablement habitable, est-il habité ?

    C'est donc dans ce contexte que Josef Aschbacher, le directeur général de l'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne, a évoqué de nouveau, lors de sa conférence de rentrée, le projet européen d'envoyer une sonde autour d'EnceladeEncelade et un landerlander qui s'y poserait pour rapporter sur Terre des échantillons de sa surface. Il a rappelé que les lunes glacées de Jupiter et Saturne sont les « lieux dans le système solaire les plus propices pour chercher une forme de vie primitive ». Il a tenu à préciser que, s'il existe une forme de vie primitive sous la surface de ces lunes, elle pourrait se situer dans les océans souterrains qu'elles abritent, voire aussi dans la couche de glace qui les recouvre.

    Une précision qui a son importance car l'océan souterrain d'Encelade est localisé plusieurs kilomètres sous la surface. Et l'idée de forer jusqu'à cette profondeur est aujourd'hui techniquement impossible. On suppose que des failles se forment fréquemment à la surface d'Encelade et qu'elles sont comblées par l'eau des profondeurs. L'idée serait de forer dans ces failles en espérant que des organismes primitifs auront été piégés dans cette eau instantanément gelée au contact de la surface.

    Les lieux dans le système solaire les plus propices pour chercher une forme de vie primitive

    Le choix d'Encelade comme cible pour une mission de retour d'échantillons s'explique par les dernières avancées scientifiques sur la connaissance de cette lune. Depuis la mission Cassini de la NasaNasa, la présence de méthane, d'hydrogènehydrogène moléculaire et de molécules organiques, pouvant permettre la synthèse d'acides aminésacides aminés, des bases de la vie, était connue. À cela s'ajoute que, depuis peu, on sait que les « geysers » d'Encelade expulsent des particules de glace d'eau contenant des molécules organiques, du sel, de la silicesilice et du dihydrogène, attestant de réactions hydrothermales. Enfin, malgré ce faisceau d'indices forts, on ignore si la vie a pu émerger dans l'océan d'Encelade ou dans celui d'Europe.

    Pour l'instant, cette mission n'est pas officiellement approuvée par les États membres de l'ESA et encore moins financée. Cela dit, c'est néanmoins une excellente initiative de la part de l'Agence spatiale européenne. Comme le précise Josef Aschbacher, la « recherche d'une forme de vie extraterrestre est une question très fondamentale qui aurait un impact pas seulement sur la science mais aussi sur la psychologie humaine, la philosophie et la religion ».

    Cette mission, prévue pour durer trois ou quatre décennies, de son développement à son retour sur Terre, est une « occasion pour amener la jeune génération à s'intéresser encore plus à l'espace ». Souhaitons donc que les délégations et les États membres de l'ESA suivront et prendront en compte le constat suivant : « faire rêver, relever des défis et répondre à de grandes questions rapporte beaucoup plus à terme que le coût des missions qui permettent cela, tient à souligner Patrick Michel. Ne serait-ce que parce que cela aide à inspirer les jeunes générations qui ont des défis importants à relever devant eux, y compris pour notre survie ».

    Pour rappel, la communauté européenne intéressée par les retours d'échantillons s'est battue pendant sept ans en vain pour faire passer une mission de retour d'un échantillon d'astéroïdeastéroïde entre 2007 et 2014 avec les projets MarcoPolo et MarcoPolo-R dans le programme Cosmic Vision de l'ESA.

    Un des concepts de lander envisagés par le JPL pour se poser sur Europe, une des lunes glacées de Jupiter dont on sait qu’elle abrite un océan souterrain. Le lander européen d'Encelade pourrait avoir un air de ressemblance à la différence majeure qu'il devra également embarquer une petite fusée pour envoyer au satellite de retour sur Terre les échantillons de la surface et sous-surface d'Encelade. © Nasa, JPL-Caltech
    Un des concepts de lander envisagés par le JPL pour se poser sur Europe, une des lunes glacées de Jupiter dont on sait qu’elle abrite un océan souterrain. Le lander européen d'Encelade pourrait avoir un air de ressemblance à la différence majeure qu'il devra également embarquer une petite fusée pour envoyer au satellite de retour sur Terre les échantillons de la surface et sous-surface d'Encelade. © Nasa, JPL-Caltech

    Des ambitions technologiques et scientifiques inédits

    L'idée que l'ESA se lance dans un retour d'échantillons encore plus ambitieux (que les deux missions MarcoPolo abandonnée) ne peut donc que réjouir cette communauté, dont Patrick Michel directeur de recherche au CNRS à l'Observatoire de la Côte d'Azur et investigateur principal et co-investigateur de nombreuses missions internationales à destination d'astéroïdes.

    La première ambition est scientifique car « un retour d'échantillons d'une lune glacée va permettre de répondre à un nombre de questions fondamentales totalement incroyables, notamment en lien avec l'exobiologieexobiologie, la vie, son origine et sa présence dans l'UniversUnivers ». La deuxième est technologique « car enfin, on reparle d'innovation et de prendre des risques, car il en faudra pour réussir dans une mission dont le retour scientifique est certain » ! 

    À l'heure où l'on a tendance à séparer l'innovation de la connaissance scientifique alors que les deux sont intimement liées car les grandes questions scientifiques exigent des missions de plus en plus complexes et nécessitent de démontrer de nouvelles technologiques, « je ne peux que me réjouir que l'ESA comprenne cela en proposant un projet si ambitieux, à la fois scientifiquement et technologiquement ».

    L'Agence spatiale européenne pourra s'appuyer sur l'héritage de la mission Huygens, qui a réussi un atterrissage sur Titan en 2005, ExoMars 2022 qui sera capable de prélever des échantillons jusqu'à 2 mètres de profondeur et la mission de retour d'échantillons martiens de la Nasa et de l'ESA prévue à la fin de cette décennie.

    Aucun calendrier n'existe mais, entre le temps de développer les technologies nécessaires à cet aller-retour sur Encelade ainsi que les instruments et l'équipement de forage et de conservation des échantillons, cette mission de retour d'échantillons n'est pas envisageable avant la décennie 2050.