L’étude et l’analyse des affleurements, notamment dans les chaînes de montagne, ont permis aux différentes générations de scientifiques d’avoir une idée assez précise de la nature et de la composition de la partie supérieure de la croûte terrestre. Cependant, l’accès aux roches les plus profondes, en particulier celles qui se situent à la base de la croûte, au niveau du Moho, ou dans le manteau supérieur, reste compliqué.


au sommaire


    Ces roches ne sont actuellement accessibles que via des processus ayant entraîné des modifications chimiques ou minéralogiques, comme la fusionfusion au niveau des volcans, le métamorphisme et la déformation tectonique au niveau des chaînes de montagne.

    L'idée de forer à travers la croûte terrestre pour avoir un échantillonnageéchantillonnage in situ de ces roches s'est donc imposée dès les années 1950. « Si nous pouvons sérieusement planifier et construire des stations dans l'espace et sur la LuneLune, nous sommes certainement capables de forer quelques milliers de mètres sous l'eau. Les problèmes techniques en sont beaucoup plus simples », disait l'écrivain John Steinbeck en 1961. Pas si sûr ! Car, si avoir un accès à ces roches très profondes est le rêve de tout géologuegéologue, leur obtention représente un défi technique immense qui reste aujourd'hui encore à réaliser.

    Depuis la fin des années 1960, plusieurs grands projets de forage internationaux ont été développés dans l'espoir d'atteindre un jour le Moho (abréviation de la « discontinuité de Mohorovičić ») ou de s'en approcher le plus possible. Dans la réalisation de cet exploit technique, deux possibilités s'offraient aux scientifiques : forer la croûte océanique ou la croûte continentale. La croûte océanique présente l'avantage d'être plus fine que la croûte continentale (7 km contre 30 km en moyenne). Le Moho y semblait donc plus facilement accessible. Mais c'était sans compter la couche d'eau qui la surplombe et qui peut faire plusieurs kilomètres, ainsi que les difficultés techniques qu'engendrent des forages en pleine mer (gestion de la position du bateau, houlehoule, ventsvents, courants marins, acheminementacheminement du matériel, etc.).

    Voir aussi

    Dossier Géologie : plongée dans le manteau supérieur

    Le Joides Resolution, au départ d'Honolulu, Hawaï au début de l'expédition 321. © William Crawford, IODP, Tamu, <em>Wikimedia Commons</em>
    Le Joides Resolution, au départ d'Honolulu, Hawaï au début de l'expédition 321. © William Crawford, IODP, Tamu, Wikimedia Commons

    Forages profonds dans l’océan : défi technique et apport scientifique

    C'est pourtant cette option qui a été choisie la première avec le projet américain MoHole qui débuta en 1961 au large du Mexique. Le projet réussit à atteindre les basaltesbasaltes sous 170 mètres de sédimentssédiments et à une profondeur d'eau de 3.500 mètres. Exploit pour l'époque, l'objectif fut cependant très loin d'être atteint et le projet fut finalement abandonné, faute de crédits. Il aura cependant permis de mettre au point les techniques de stabilisation de navires qui furent largement utilisées par la suite.

    Il ouvrit également la voie à plusieurs projets d'envergure pour l'étude de la croûte océanique et du milieu marin en général : le projet Joides (Joint Oceanic Institution for Deep Earth Sampling) initié en 1968, puis le DSDP (Deep Sea Drilling Project) initié en 1970 et dont le puits le plus profond, réalisé par le navire Glomar ChallengerChallenger, atteignit 1.741 m sous le plancher océanique et se réalisa sous une tranche d'eau de 7.000 m. Le DSDP fut suivi par le projet IPODIPOD (International Phase of Ocean Drilling) initié en 1979 qui devint par la suite le projet ODP (Ocean Drilling Project) avec la mise en circulation d'un nouveau navire destiné aux forages profonds, le Joides Resolution, qui est toujours à la manœuvre.

    Actuellement, c'est le programme IODP (International Ocean DiscoveryDiscovery Program) qui est en cours. Cependant, aucun de ces programmes n'a réussi à atteindre le Moho. D'ailleurs, cette idée a rapidement été mise de côté au profit d'objectifs plus réalisables. En effet, chaque expédition de forage dans la croûte océaniquecroûte océanique a permis d'augmenter un peu plus notre connaissance de la structure de la croûte océanique et du manteaumanteau, de la couverture sédimentaire, mais également des impacts des variations climatiques sur les océans et de la dynamique terrestre en général.

    Voir aussi

    En image : au rift du Hess Deep, la mission de forage démarre !

    Le navire japonais de forage scientifique en haute mer, « Chikyu », de la Jamstec (Agence japonaise pour les sciences et technologies marines et terrestres) est intégré au programme intégré de forage océanique (IODP). Il peut forer à plus de 7.000 mètres sous le fond marin à des profondeurs d'eau dépassant 2.000 mètres. Photo prise au nouveau port de Yokosuka, Kanagawa, Japon. 2005. © Lueur, <em>Wikimedia Commons</em>, CC by-sa 3.0
    Le navire japonais de forage scientifique en haute mer, « Chikyu », de la Jamstec (Agence japonaise pour les sciences et technologies marines et terrestres) est intégré au programme intégré de forage océanique (IODP). Il peut forer à plus de 7.000 mètres sous le fond marin à des profondeurs d'eau dépassant 2.000 mètres. Photo prise au nouveau port de Yokosuka, Kanagawa, Japon. 2005. © Lueur, Wikimedia Commons, CC by-sa 3.0

    L'épopée des forages profonds

    De grandes avancées scientifiques ont été réalisées grâce à ces programmes, notamment la validation de l'hypothèse de l'expansion des fonds océaniques (DSDP Leg 3, 1968-1969), la compréhension de la dynamique de la croûte océanique grâce à un puits profond de 2.111 m (ODP, site 504B au large du Costa Rica), la description des variations climatiques globales sur une période couvrant les 120 derniers millions d'années... Cependant, atteindre le Moho reste dans les esprits de tous les scientifiques, et une nouvelle expédition a eu lieu de novembre 2015 à janvier 2016 : SloMo, phase 1 (IODP 360).

    L'objectif de cette mission était de pénétrer aussi profondément que possible dans la croûte océanique au niveau de l'Atlantis Bank, un core complexe océanique proche de la dorsale ultra-lente sud-ouest indienne. Il s'agit d'un emplacement stratégique car, dans ce contexte particulier de dorsale ultra-lente, la croûte océanique a une épaisseur moindre, d'environ 3 km. Au final, un puits d'environ 800 m a été foré dans le plancherplancher océanique. Il sera approfondi lors des prochaines phases d'exploration pour tenter d'atteindre enfin le Moho.

    Enfin, une équipe de recherche française et internationale développe le très ambitieux projet M2M (MoHole to Mantle) qui a pour ambition d'échantillonner pour la première fois les péridotitespéridotites du manteau supérieur en forant intégralement la croûte océanique du Pacifique, issue d'une dorsale rapide. Ce projet implique un puits de 6.000 m au moins sous une profondeur d'eau de 3.500 m. L'échantillonnage de manteau frais in situ permettra un éclairage unique sur la composition chimique, les conditions physico-chimiques, les signatures sismiques et magnétiques et la rhéologierhéologie du manteau supérieur. Les données recueillies lors de la descente permettront d'observer la nature géologique du Moho, supposé être la limite entre la croûte et le manteau.

    Le <em>Joides Resolution</em>, navire foreur d’IODP. © ODP, <em>Wikimedia Commons</em>
    Le Joides Resolution, navire foreur d’IODP. © ODP, Wikimedia Commons

    La quête du Graal se poursuit

    L'autre alternative pour atteindre le Moho, celle de forer à travers la croûte continentale, a été choisie par une équipe russe. Le forage débuta en 1977 dans la péninsulepéninsule de Kola, dans le cercle arctiquearctique russe, où le Moho était supposé ne se trouver qu'à 10 ou 15 km de profondeur. Le forage s'étagea sur plus de 10 ans pour finalement atteindre les 12 km de profondeur en 1989, sans toutefois arriver jusqu'au Moho. Les scientifiques furent contraints d'abandonner le forage en 1992 pour des raisons techniques, lorsque la température au fond du puits atteignit 180 °C.

    À une telle profondeur, la pressionpression est également très forte et la longueur de l'axe de forage est soumis à de puissantes contraintes de torsiontorsion, rendant difficile l'opération de forage. Les ingénieurs se sont également heurtés à des difficultés d'extraction des matériaux excavés. Il s'agit cependant du forage le plus profond réalisé à ce jour par l'Homme. En 1990, les Allemands commencèrent un forage en Bavière et atteignirent 9 km. Il dut être arrêté pour les mêmes raisons que le forage russe. Cependant, tout comme pour les forages océaniques, l'apport scientifique de ces programmes fut inestimable.

    Ils permirent notamment l'étude des discontinuités sismiques, du régime thermique de la croûte continentale, des compositions physico-chimiques et de la transition entre la croûte supérieure et inférieure. Ils facilitèrent également la mise au point de nouvelles techniques de forages ultra-profonds. L'épopée des forages profonds ne s'arrêta donc pas là et, en 1996, fut fondé l'ICDP (International Scientific Drilling Program). Les thématiques de recherche des projets de l'ICDP portent actuellement sur le climat et les écosystèmes, les géoressources et les risques naturels.

    À cause de l'épaisseur plus importante de croûte à forer et des contraintes techniques inhérentes, les forages continentaux semblent donc moins propices pour atteindre le Moho. Cet exploit scientifique et technique viendra donc certainement du côté des forages océaniques IODP. Encore un peu de patience !

    Entrée du puits de Kola, forage continental désormais scellé et abandonné. © Rakot13, CC by-sa 3.0
    Entrée du puits de Kola, forage continental désormais scellé et abandonné. © Rakot13, CC by-sa 3.0

    Voir aussi

    Découvrez Fil de science, le podcast d'actualités décryptées par les journalistes Futura