Le mouvement social des agriculteurs gagne l'ensemble de la France : des taxes, des interdictions, des contrôles et une rémunération qui ne permet plus de vivre. Beaucoup estiment que les normes environnementales sont un frein à leur activité et participent à l'appauvrissement de la profession. La survie du monde agricole français est-elle réellement menacée par la transition écologique ? Nous avons interrogé deux exploitants sur la question.


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    Bruno Cardot, céréalier et producteur de betteraves, de pommes de terre et de vigne chardonnay dans l'Aisne, ainsi que Sandrine Le Feur, productrice bio de légumes, céréales, fruits, viande ovine et bovine, également députée Renaissance du Finistère, partagent le même cœur de métier, même si leurs pratiques sont parfois différentes. Si leurs avis divergent sur les normes actuelles, les deux exploitants sont convaincus de la nécessité d'une transition écologique :  « je ne suis pas contre une Europe décarbonée, je suis d'accord sur les objectifs à atteindre, mais j'ai un problème avec les moyens mis en œuvre et le temps que cela doit prendre », explique Bruno Cardot.

    Des interdictions, mais pas de solution équivalente derrière

    « Nous ne sommes pas dans le déni : je suis bien conscient que je ne vais pas pouvoir continuer à utiliser les énergies fossiles encore 30 ans, mais je n'ai pas de solution derrière qui ne soit pas hors de prix. Même chose pour les pesticides, je ne juge pas car je ne suis pas scientifique, mais on ne me donne pas de solution équivalente derrière », précise l'agriculteur de l'Aisne.

    De son côté, Sandrine Le Feur estime que « c'est la transition écologique qui va permettre la survie des agriculteurs : je ne considère pas que lois et normes environnementales empêchent les agriculteurs de faire leur métier. Actuellement, la sécheresse et les inondationsinondations plombent les agriculteurs. L'adaptation a commencé mais si on ne poursuit pas, il n'y aura pas de rendement car les sols sont détruits par des produits à certains endroits », annonce la députée.

    L'Europe est le laboratoire de la Planète en ce qui concerne les normes environnementales

    Mais comment réussir à rendre viable une exploitation en appliquant ces normes, avec le coût que cela entraîne, alors même que les concurrents étrangers en sont exemptés ? « En tant qu'agriculteur français, je suis de moins en moins compétitif. Les Ukrainiens vendent la tonne de blé 130 euros, et moi 230 euros. On interdit les désherbantsdésherbants sur l'endiveendive, du coup, on n'aura plus d'endive française. On produit moins en France, et on compense par des importations. Il y a beaucoup d'importations déloyales : la volaille ukrainienne est bourrée d'antibiotiquesantibiotiques, alors que dans l'élevage français tout est tracé à un niveau dingue. On voudrait se saborder, on ne ferait pas mieux ! », selon Bruno Cardot. Pour cet ambassadeur de Passion Céréales et de Miss Better (la betterave sucrière française), « l'Europe est un peu le laboratoire de la Planète, on subit alors qu'on devrait être acteur. La transition doit être faîte, mais il faut harmoniser avec les autres pays ».

    Pour l'agricultrice bio Sandrine Le Feur, « les normes sont bonnes, c'est le côté administratif qui est lourd et pesant. On n'a pas envie de remplir des dossiers après 15 heures de travail. Et quand un agriculteur ne gagne pas sa vie, les normes écologiques ne sont pas sa priorité ».

    Une meilleure rémunération, davantage de recherche scientifique et un plan d'action mieux organisé

    Comme le précise un rapport du Haut conseil pour le climat sorti le 25 janvier, en plus de nourrir la France et une partie du monde, l'agricultureagriculture française permet aussi de stocker du carbone dans les sols. Une agriculture respectueuse des terres est une véritable alliée, indispensable, pour lutter contre le réchauffement climatiqueréchauffement climatique grâce au pouvoir de stockage des gaz à effet de serregaz à effet de serre par les plantes. « Il faut rémunérer les agriculteurs pour les services environnementaux rendus, réduire les pesticidespesticides mais pas forcément les interdire et augmenter le budget de la recherche sur les moléculesmolécules de biocontrôle. Les multinationales ont le budget pour s'y consacrer mais elles ne le font pas assez », déplore Sandrine le Feur.

    Bruno Cardot, quant à lui, espère aussi une plus grande implication de la recherche scientifique envers l'agriculture, mais également un temps de réflexion : « nous sommes conscients de l'urgence, mais il faut faire une pause pour réfléchir, geler les normes, prendre le temps d'écouter et avoir un plan d'action pour chaque filière. Il faut revenir sur le Pacte Vert pour l'Europe. Mais surtout, il faut savoir qui va payer la transition ». L'agriculteur reste convaincu que des solutions bien pensées, et bien organisées, pourront permettre à la profession d'intégrer la transition environnementale dans un pays qui bénéficie de conditions météométéo privilégiées par rappport à d'autres territoires moins avantagés : « c'est une chance d'avoir un climatclimat qui permet de tout faire pousser, il ne faut pas qu'on la gâche », conclut Bruno Cardot.