Pour la première fois, un article paru dans une revue scientifique décrit les résultats de manipulations génétiques effectuées sur des embryons humains en Chine. Les rumeurs concernant ces travaux s’avèrent fondées et le débat éthique est relancé.

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    La technique qui fait tant parler d'elle ces derniers mois s'appelle CRISPR/Cas9. Ce nom est celui d'un complexe moléculaire comprenant une protéine Cas9 et un ARN guide ; à l'origine, il sert au système de défense immunitaire de la bactérie Streptococcus pyogenes. Le complexe, programmé pour cibler un gène qui pose problème, se lie à l'ADN et le coupe à un endroit précis. L'ADN est alors réparé par recombinaisonrecombinaison grâce à une autre moléculemolécule introduite en même temps.

    Déjà appliqué à des cellules humaines adultes et des embryonsembryons animaux, le système CRISPRCRISPR/Cas9 n'avait pas encore fait l'objet de publications sur des embryons humains. C'est désormais chose faite avec un article paru en ligne dans la revue Protein & Cell qui confirme les bruits selon lesquels de telles expériences seraient en cours dans le monde. Dans cet article, les chercheurs de l'université Sun Yat-sen, à Canton, en Chine, ont essayé d'écarter les problèmes éthiques en utilisant des embryons non viables : les cellules qu'ils ont utilisées provenaient de cliniques de fertilité et comportaient un nombre anormal de chromosomeschromosomes à cause d'une fécondationfécondation par deux spermatozoïdesspermatozoïdes. Les zygoteszygotes avec trois jeux de chromosomes ne terminent en effet pas leur développement.

    Les chercheurs ont utilisé la technique CRISPR/Cas9 pour modifier un gène impliqué dans la bêta-thalassémie (HBB), une maladie sanguine pouvant être fatale. Le gène HBB code pour une bêtabêta-globine et des mutations de ce gène peuvent causer la bêta-thalassémiebêta-thalassémie. L'équipe de chercheurs a injecté 86 embryons avec le complexe CRISPR/Cas9 et a attendu 48 heures, suffisamment longtemps pour que le remplacement du gène s'opère. Les embryons se sont développés pour atteindre 8 cellules environ. 71 embryons ont survécu et 54 ont été testés. La coupure de l'ADN n'a eu lieu que dans 28 embryons (soit environ la moitié) et une partie d'entre eux seulement avaient bien accepté le remplacement du gène.

    Si deux spermatozoïdes fécondent l’ovocyte, l’embryon n'est pas viable. Les chercheurs chinois se sont servis de cette particularité pour effectuer leur recherche. © Spike Walker, Wellcome Images, Flickr, CC by-nc-nd 2.0

    Si deux spermatozoïdes fécondent l’ovocyte, l’embryon n'est pas viable. Les chercheurs chinois se sont servis de cette particularité pour effectuer leur recherche. © Spike Walker, Wellcome Images, Flickr, CC by-nc-nd 2.0

    L'utilisation du complexe CRISPR/Cas9 pose des questions éthiques

    Cependant, l'efficacité de la réparation de l'ADN restait assez faible. En effet, pour réparer la séquence coupée, le modèle utilisé peut être soit un gène endogèneendogène homologue, soit une séquence ADN exogèneexogène. Cette compétition entre séquences endogènes et exogènes complique la tâche. Ici, il y a eu un taux élevé de réparations utilisant des séquences endogènes : sept embryons sur 28 (25 %) avaient une séquence endogène et seulement quatre embryons portaient la séquence d'ADN voulue.

    De plus, l'équipe a trouvé un nombre important de mutations qui ont probablement été introduites par le complexe CRISPR/Cas9 dans le génomegénome. Ceci soulève aussi des questions sur la sécurité de la technique car des mutations indésirables peuvent être dangereuses. Pour les auteurs, ces travaux montrent qu'il faut améliorer la fidélité du système si l'on veut aller vers des applications cliniques.

    D'après Junjiu Huang, qui a mené ces travaux, l'article qu'il publie avait été refusé auparavant par Nature et Science à cause de questions éthiques. Si cette technique de manipulation génétiquegénétique était présentée comme une solution contre des maladies génétiques mortelles, de tels travaux franchiraient alors une ligne éthique, comme s'en est ému récemment un collectif de scientifiques dans Science. Inquiets des dérives possibles, ils ont demandé un moratoiremoratoire sur ces recherches. En effet, des changements génétiques dans l'embryon peuvent se transmettre et avoir des effets imprévisibles sur les générations futures. Pour Edward Lanphier, auteur d'une tribune parue en mars dernier dans Nature, « l'accès ubiquitaire et la simplicité de création de CRISPR crée des opportunités pour les scientifiques partout dans le monde pour faire toutes les expériences qu'ils veulent ». D'autres équipes chinoises mèneraient des expériences comparables.