Certaines questions concernant la physique et l'astrophysique des trous noirs ne peuvent être résolues qu'en utilisant des calculs avec des superordinateurs. Un des derniers résultats récemment obtenus précise un scénario dans lequel la fusion de deux trous noirs conduit, par émissions d'ondes gravitationnelles, le trou noir résultant à foncer à des vitesses si élevées qu'il peut quitter la galaxie où il est né.


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    C'est à John Wheeler que l'on doit le nom de trou noir pour désigner une région de l'espace entourée d'un horizon des événements qui se comporte comme une membrane que l'on ne peut traverser que dans un seul sens pour pénétrer dans cette région, et pour sortir il faudrait pouvoir dépasser la vitesse de la lumière.

    Wheeler avait aussi parlé de théorie de la géométrodynamique, c'est-à-dire celle d'un espace-temps à courbure variable pour désigner la théorie d'EinsteinEinstein de la gravitation et plus généralement une théorie fondamentale de la physique unifiant dans un cadre géométrique l'espace-temps, la matièrematière et le champ électromagnétiquechamp électromagnétique. Il voyait des analogiesanalogies entre l'hydrodynamique et la géométrodynamique, ce qui permettait d'imaginer de sonder le régime non linéaire des équationséquations d'Einstein (très difficile à explorer par des calculs analytiques sur le papier) en utilisant des méthodes numériquesnumériques sur ordinateursordinateurs comme on le faisait déjà de son temps, notamment lors du projet Manhattan dirigé par Oppenheimer, pour l’équation de Navier-Stokes en mécanique des fluides.

    Il se trouve que la détection et l'étude des ondes gravitationnellesondes gravitationnelles émises par des collisions de trous noirs se font effectivement de nos jours en s'appuyant en partie sur des simulations sur ordinateur, dont les résultats sont ensuite comparés aux signaux enregistrés par les détecteurs VirgoVirgo, LigoLigo et Kagra.

    Un des derniers épisodes de la saga des ondes gravitationnelles avec les collisions de trous noirs peut être lu dans un article publié dans Physical Review Letters et signé par James Healy et Carlos Lousto du Rochester Institute of Technology (États-Unis).


    Saviez-vous qu’Albert Einstein avait eu besoin de huit années de réflexion et de quelques amis mathématiciens pour formuler l’équation de la relativité générale ? Écoutez son histoire dans ce nouvel épisode des équations Clefs de la physique ! © CEA Recherche

    Des trous noirs propulsés comme des fusées

    Il faut savoir que comme les étoilesétoiles dont ils proviennent par effondrementeffondrement gravitationnel, les trous noirs stellairestrous noirs stellaires doivent aussi être en rotation. Il s'agit d'astresastres relativistes compacts décrits par la fameuse solution de Kerr décrivant des trous noirs uniquement en connaissant leurs massesmasses et leurs moments cinétiquesmoments cinétiques de rotation.

    On peut utiliser une analogie pour décrire ces trous noirs, celle des dipôles magnétiques, c'est-à-dire simplement des barres aimantées usuelles. Et tout comme deux collisions entre des aimantsaimants vont dépendre de l'orientation relative des barres aimantées, les collisions entre trous noirs de Kerrtrous noirs de Kerr vont dépendre de l'orientation relative de leur axe de rotation.

    On savait déjà que lors d'une collision de trous noirs, le champ de gravitation est perturbé avec une émissionémission d'ondes gravitationnelles dont l'intensité dépend de la direction. Or ces ondes possèdent quantité de mouvementsquantité de mouvements, ce qui produit l'équivalent d'une étoile sphérique qui exploserait différemment selon les directions, de telle manière qu'une sorte d'effet fuséefusée propulsant l'étoile en explosion peut se produire.

    Dans le cas présent, l'effet va accompagner la formation d'un nouveau trou noir par fusionfusion des deux précédents et ce nouvel astre compact peut donc être éjecté de son orbiteorbite initiale dans la Voie lactéeVoie lactée, fonçant alors à grande vitesse dans une direction donnée.


    Une vidéo de présentation de Virgo et de la chasse aux ondes gravitationnelles. © CNRS

    Healy et Lousto sont parvenus à faire une simulation plus précise de ce phénomène avec un superordinateursuperordinateur et ils sont arrivés à la conclusion que la vitesse acquise par le nouveau trou noir pouvait atteindre au maximum environ 10 % de la vitesse de la lumière. Mais il faut pour cela que les axes de rotation des trous noirs soient parallèles et que leurs rotations soient de sens opposés. Plus précisément, les deux chercheurs ont effectué 1 381 simulations numériquessimulations numériques complètes de collisions entre deux trous noirs de masse égale avec des spinsspins opposés pointant le long de leur plan orbital. C'est ainsi qu'ils ont obtenu leur vitesse maximale de 28 562 kilomètres par seconde, c'est-à-dire plus de 100 millions de kilomètres par heure. Pour mémoire, la vitesse de libération d'un objet traversant la Voie lactée à toute vitesse depuis le voisinage solaire est de 497 kilomètres par seconde.

    On connaît déjà peut-être un exemple du scénario d'un trou noir propulsé par les ondes gravitationnelles accompagnant sa création, celui révélé par la source d'ondes GW200129. En fait, on soupçonne encore un autre cas, mais avec des trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs et le cas du trou noir derrière le quasar 3C 186 qui semble quitter le cœur de sa galaxiegalaxie hôte à la vitesse de 2 000 km/s.

    On peut calculer que l'énergieénergie et la puissance de l'onde, qui a peut-être propulsé ce trou noir, équivalaient à celles de l'explosion de 100 millions de supernovaesupernovae !

    Il y a donc peut-être de nombreux trous noirs fonçant à des vitesses vertigineuses dans et entre les galaxies.

    Une clé de l'énigme des trous noirs de Ligo et Virgo ?

    Comme Futura l'expliquait dans un précédent article, ce résultat est particulièrement intéressant dans le cadre des théories expliquant la formation de trous noirs de plusieurs dizaines de masses solaires, voire de trous noirs de masses intermédiaires, dans des environnements particulièrement denses en étoiles, comme les amas globulaires et les amas d'étoiles nucléaires. En effet, ces scénarios reposent sur des formations en série de trous noirs binairesbinaires qui vont fusionner en spiralant l'un vers l'autre suite aux pertes d'énergie par émission d'ondes gravitationnelles, selon le processus désormais reconnu comme classique. L'étape avec une brusque propulsion du trou noir final peut aider à l'occurrence d'une rencontre avec un autre trou noir et donc catalyser la formation de trous noirs binaires qui vont répéter le processus conduisant à une croissance continue de la masse de trous noirs, de ceux issus de l'effondrement d'étoiles aux trous noirs intermédiaires.

    Rappelons que les masses des trous noirs stellaires détectés avant les succès de Ligo et Virgo étaient de l'ordre de 10 masses solaires tout au plus et donc le plus souvent moins. Les premières fusions de trous noirs détectés montraient des masses de plusieurs dizaines de masses solaires pour chacun des astres impliqués, ce qui est difficile à expliquer avec un scénario de formation standard de trou noir stellaire.