Le Soleil pourrait être entouré d'un halo de particules de matière noire exotique qui se comporterait comme un superfluide. Cette matière noire pourrait faire varier la masse des électrons dans des horloges atomiques au point que ces variations seraient détectables pour une mission spatiale en orbite rapprochée, plus proche du Soleil que Mercure.


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    Une équipe internationale de chercheurs, parmi lesquels se trouve le physicienphysicien Joshua Eby du Kavli Institute for the Physics and Mathematics of the Universe (Kavli IPMU) situé à Kashiwa, au Japon, près de Tokyo, vient de publier dans la célèbre revue Nature Astronomy une intéressante proposition d'expérience. Une version de l'article à ce sujet est disponible en accès libre sur arXiv.

    Avec ses collègues Yu-Dai Tsai et Marianna S. Safronova, Joshua Eby propose d'utiliser des horloges atomiques, comme celle récemment testée dans l'espace de 2019 à 2021 par la Nasa sous le nom de Deep Space Atomic Clock (DSAC), pour mettre en évidence un type particulier de matière noirematière noire théorisé il y a plus de 15 ans déjà, mais dont on parle de plus en plus depuis quelques années et baptisé ultralight dark matter (ULDM).


    TimeWorld 2019, congrès international sur le temps, s'est tenu du 21 au 23 novembre à la Cité des sciences et de l’industrie à Paris. On y a parlé des horloges atomiques. © Ideas in Science

    Une matière noire qui fait changer la masse des électrons

    Il est très difficile de ne pas faire intervenir des particules encore inconnues sur Terre et n'interagissant essentiellement avec les particules connues que par la force de gravitationforce de gravitation pour expliquer les caractéristiques du rayonnement fossile et faire naître suffisamment vite les galaxies pour qu'on puisse les observer aujourd'hui. Plusieurs théories proposées pour prolonger le modèle standard de la physiquephysique des particule si spectaculairement bien testé par le LHCLHC, contiennent naturellement des particules de matière noire.

    On avait des raisons de penser que ces particules seraient plutôt massives, plus lourdes que les protonsprotons. Mais bien des tentatives de découverte de ces WIMPs (acronyme anglais de Weakly Interacting Massive Particles, pour « particules massives interagissant faiblement ») dans des détecteurs sur Terre ont été des échecs. C'est pourquoi les particules de types ULDM, comme les axions, sont considérées avec plus d'attention maintenant.

    Dans le scénario étudié théoriquement par les trois physiciens, certaines ULDM peuvent se comporter comme si elles formaient une sorte de boule de superfluidesuperfluide enveloppant le SoleilSoleil. On possède déjà des contraintes sur l'attraction gravitationnelle qu'un halo de particules de matière noire autour de notre étoileétoile exercerait sur des planètes comme MercureMercure, Mars et SaturneSaturne. Mais avec des horloges atomiques du genre de celle utilisée par DSAC à bord d'une mission similaire à celle de la sonde solaire Parker, on disposerait d'un test de plusieurs ordres de grandeurordres de grandeur plus sensibles en voyageant dans le champ de gravitégravité du Soleil à des distances inférieures à celle de l'orbiteorbite de Mercure.

    Il ne s'agirait pas de mesures précises de trajectoire mais d'un phénomène spectaculaire que le champ associé aux particules ULDM, similaires à ceux des axionsaxions et du bosonboson de Brout-Englert-Higgs, pourrait produire. On peut en effet construire un modèle théorique qui permet à ce champ selon l'intensité locale du champ de gravitation de modifier la massemasse des électronsélectrons et la valeur de la constante de structure fine qui gouverne les interactions électromagnétiques.

    Concrètement, en voyageant autour du Soleil comme le ferait la sonde Parker, une horloge atomique verrait des modifications oscillantes de la valeur de la fréquencefréquence des transitions atomiques entre les niveaux d'énergieénergie des atomesatomes utilisés, modifications directement liées au changement oscillant des masses des électrons et de la valeur de la constante de structure fineconstante de structure fine.

    Jusqu'à 50 fois plus stable que les horloges atomiques des satellites GPS, <em>Deep Space Atomic Clock</em>, l'horloge atomique de l'espace lointain au mercure perd une seconde tous les 10 millions d'années, comme l'ont prouvé des tests contrôlés sur Terre. Une variante à bord d'une mission similaire à la sonde solaire Parker, comme présentée sur cette illustration d'artiste, pourrait tester la présence autour du Soleil d'un type de matière noire. © Kavli IPMU
    Jusqu'à 50 fois plus stable que les horloges atomiques des satellites GPS, Deep Space Atomic Clock, l'horloge atomique de l'espace lointain au mercure perd une seconde tous les 10 millions d'années, comme l'ont prouvé des tests contrôlés sur Terre. Une variante à bord d'une mission similaire à la sonde solaire Parker, comme présentée sur cette illustration d'artiste, pourrait tester la présence autour du Soleil d'un type de matière noire. © Kavli IPMU

    La fuzzy dark matter alias l'ultralight dark matter

    Pour aller un peu plus loin et en savoir plus sur le type de matière noire superfluide qui pourrait se trouver autour du Soleil, rappelons des explications que Futura avait déjà données à ce sujet.

    Selon le modèle cosmologique standardmodèle cosmologique standard, avec matière noire et énergie noireénergie noire, on devrait voir beaucoup de petites galaxies nainesgalaxies naines gorgées de matière noire autour des grandes galaxies comme la Voie lactéeVoie lactée et Andromède. On devrait voir aussi au cœur des galaxies les effets gravitationnels de pics dans la densité de la matière noire. Ce n'est pas le cas alors que l'on peut mieux rendre compte de ces observations et d'autres, mais uniquement toujours à l'échelle des galaxies et pas de leur naissance ni de leurs regroupements, en modifiant les lois de la mécanique céleste dans le cadre de la théorie Mond.

    Pendant longtemps, les tenants de la théorie de la matière noire préféraient ne pas explorer la voie ouverte par Mond, d'autant plus qu'il n'existait encore aucune version potentiellement compatible avec la théorie de la relativité d'EinsteinEinstein (il y a eu un changement à ce sujet il y a quelques années mais qui n'est pas sans problème). Il existe en effet un moyen d'inhiber naturellement la formation des petites concentrations de matière noire.

    Alors que les particules postulées par le modèle de la matière noire froide (cold dark matter ou CDM en anglais) sont supposées plutôt massives et surtout se déplaçant à faible vitessevitesse (comme dans un gazgaz à basses températures), ils postulent soit une composante supplémentaire de matière noire chaude, ce qui conduit à parler de modèles de matière noire tiède, soit une population très nombreuse de particules de très faibles masses, mais toujours se déplaçant à faible vitesse, ce qui en fait bien des particules de matière froide.

    L’axion est un exemple des particules postulées dans cette dernière hypothèse. C'est un boson scalaire et au cours des années, plusieurs versions des théories dites axioniques ont été proposées et explorées. Devant les multiples échecs pour mettre en évidence, directement en accélérateur et avec des détecteurs enterrés ou indirectement dans l'espace, les particules de matière noire froide, les physiciens des astroparticulesastroparticules se penchent de plus en plus sur des versions exotiquesexotiques de la matière noire et en particulier des variantes des axions, dont les masses seraient extraordinairement faibles. À cet égard, on parle donc de plus en plus depuis quelque temps de matière noire « floue » (fuzzy dark matter ou FDM en anglais). Les particules de type axionique qui composeraient la FDM auraient une masse d'au plus 10 000 milliards de milliards de milliards de fois plus faible qu'un proton (10-22 eV). Pour cette raison, la longueur d'ondelongueur d'onde de l'onde de matière associée à ces particules serait comparable à la taille des galaxies. Mieux, ces particules de matière froide pourraient se condenser comme de l'héliumhélium superfluide en donnant des condensats de Bose-Einstein et en exhibant des effets d'interférenceinterférence quantique à l'échelle des galaxies.

    Or, de tels comportements permettent de reproduire la phénoménologie des équationséquations de Mond tout en conservant les lois de la gravitation standard, comme Benoit Famaey nous l’avait expliqué dans un précédent article (rappelons au passage que la théorie de la nucléosynthèsenucléosynthèse prouve qu'il ne peut pas y avoir assez d'hélium dans le cosmoscosmos pour rendre compte de la matière noire, et de toute façon son comportement superfluide apparaît à une température plus basse que celle du rayonnement fossile qui la chaufferait de toute manière).