Une partie du mystère qui entoure le Sphinx trônant devant les pyramides de Gizeh serait-il résolu ? Si l’on ne sait toujours pas où est passé le nez titanesque, on comprend mieux pourquoi les Égyptiens ont décidé de représenter le sphinx couché à cet endroit. L’inspiration est dans la nature…


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    Avec ses 20 mètres de haut, la sculpture monumentale du Sphinx de Gizeh est certainement la plus emblématique au monde. Couchée devant les grandes pyramides d'Égypte qu'elle semble garder, cette étrange créature au corps de lion et à tête d’homme a été taillée dans la roche il y a plus de 4 000 ans, sous la IVe dynastie de l'Ancien Empire d'Égypte.

    Un sphinx taillé à même la roche

    Mais les 20 000 tonnes de la bête n'ont pas été montées bloc après bloc, comme les pyramides sur lesquelles elle veille depuis des millénaires. Le Sphinx a en effet été taillé directement dans un promontoire rocheux constitué de calcairecalcaire. Il faut savoir que le plateau de Gizeh est constitué d'une épaisse couche de calcaire nummulitique dont la partie supérieure, plus dure que les couches inférieures, a servi à la construction des trois pyramides qui composent cet impressionnant tableau. La carrière ayant produit les blocs destinés à la pyramide de Khéops est ainsi située en arrière du Sphinx. Ce plateau calcaire aurait été dominé par un important piton rocheux, représenté aujourd'hui par la tête du Sphinx. Un piton dont la forme aurait pu servir d'inspiration aux architectesarchitectes égyptiens pour le façonnage de cette immense sculpture.

    Car il se pourrait bien que, dans cette entreprise titanesque, la nature ait produit le gros du travail. C'est du moins la conclusion d'une étude publiée dans Physical Review Fluids menée par des chercheurs de l'Université de New York.

    Le plateau de Gizeh où le Sphinx veille sur les trois pyramides. © Raimond Spekking, <em>Wikimedia Commons</em>, CC by-sa 4.0 
    Le plateau de Gizeh où le Sphinx veille sur les trois pyramides. © Raimond Spekking, Wikimedia Commons, CC by-sa 4.0 

    Le vent, ce formidable artiste

    Sur la base de modélisations numériquesnumériques et d'expériences en laboratoire, les scientifiques montrent que les processus d'érosion éolienneéolienne auraient pu sculpter dans les roches calcaires du plateau de Gizeh une forme ressemblant étonnamment à celle du Sphinx. La nature aurait-elle donc inspiré cette créature aux Égyptiens ? C'est totalement possible. D'autant plus que ce type de formation est bien connu des géomorphologues.

    Dans certaines conditions, le ventvent et le sablesable peuvent en effet sculpter des promontoires rocheux, leur donnant une forme allongée. Ce type de formation géologique est appelé « yardang ». On en rencontre dans les environnements désertiques, lorsque le vent souffle toujours dans une seule et unique direction. Contrairement aux dunes, qui sont des accumulations de sable, les yardangs sont le résultat d'une lente abrasionabrasion du paysage qui ne laisse en relief que les zones de roche les plus dures. La face située au vent est souvent relativement abrupte, donnant naissance à un affleurementaffleurement vertical, puis la formation s'allonge sur l'arrière en pente douce. En fonction de la nature de la roche et de la force des vents, les yardangs peuvent ainsi prendre des formes diverses, dans lesquelles notre œilœil humain à tendance à voir d'étranges animaux.

    Exemple de yardangs observés en Californie. © Pelletier et <em>al.</em>, 2018, JGR <em>Earth Surface</em>
    Exemple de yardangs observés en Californie. © Pelletier et al., 2018, JGR Earth Surface

    La forme naturelle du yardang aurait inspiré les Égyptiens

    En laboratoire, les chercheurs ont étudié l'effet de l'érosion sur un monticule d'argileargile placé sous un flux d'eau, afin de simuler en accéléré les conditions qui ont mené à l'abrasion du plateau de Gizeh pendant des millénaires. Et le résultat est plutôt impressionnant : au bout de quelques heures, le monticule d'origine a pris une forme de Sphinx. Un large piton s'est formé face au courant, faisant penser à une tête, avec, à la base, un renflement simulant les pattes d'un animal couché. Le reste allongé de la formation est alors facilement identifiable comme le corps d'un animal.

    Modélisation de la formation d'un yardang ayant la forme du sphinx couché par l'action du vent. © NYU's <em>Applied Mathematics Laboratory</em>
    Modélisation de la formation d'un yardang ayant la forme du sphinx couché par l'action du vent. © NYU's Applied Mathematics Laboratory

    Le Sphinx pourrait ainsi avoir commencé sa vie comme un simple yardang, dont la forme particulière a fait écho avec les mythes de l'ancienne Égypte, inspirant ainsi la forme du Sphinx aux architectes égyptiens.

    Des yardangs sur d’autres planètes

    Ces résultats ne sont pas seulement intéressants pour comprendre l'histoire de cette sculpture, mais permettent également de mieux appréhender les processus de formation des yardangs en général, sur Terre comme sur d'autres planètes. De telles formations ont en effet été remarquées sur Mars, et certaines observations suggèrent qu'il en existe aussi sur VénusVénus et sur TitanTitan, lune de SaturneSaturne. Leur présence pourrait ainsi permettre de mieux comprendre les conditions qui affectent la surface de ces mondes lointains.