Lorsque les humains se sont lancés dans l’élevage, ils ont été confrontés à une hausse des maladies infectieuses en raison de la promiscuité avec les animaux et leurs déjections. Il s’est alors produit une sélection naturelle favorisant les gènes produisant une réponse immunitaire adaptée à cette nouvelle menace.


au sommaire


    Depuis le début de la pandémie de Covid-19, l'élevage intensif a souvent été accusé d’avoir favorisé l’émergence de virus pathogènes et leur passage chez l'humain. Pourtant, l'homme s'est lancé dans l'élevage depuis des milliers d'années et sa proximité avec les animaux était parfois bien plus grande autrefois. Il y a 7.700 ans, lorsque les premiers fermiers Vinča sont arrivés dans les Balkans, ils vivaient dans des villages de plusieurs centaines ou milliers de personnes, partageant leur hutte en terre avec des aurochs, vachesvaches, cochons ou oiesoies - et leurs déjections. Une promiscuité particulièrement avantageuse pour toute une série de maladies, comme la grippe, la tuberculose, le paludisme ou autres pathologies infectieuses. Le plus vieux virus de l’hépatite B humaine date ainsi de 7.000 ans, tandis que le virus de la rougeole, qui provient d'un virus apparenté qui infecte les bovins et les moutons, serait passé chez l’Homme il y a 2.500 ans.

    Promiscuité et élevage : un cocktail explosif pour la propagation des maladies

    Il a ainsi été montré que les peuples pratiquant l'élevage étaient plus atteints de maladies que leurs homologues chasseurs-cueilleurs nomades. Toutefois, ce sont bien les premiers qui se sont imposés et aucune maladie n'a éradiqué l'espèceespèce humaine, pourtant alors bien plus fragile qu'aujourd'hui puisqu'on ne disposait à l'époque ni de vaccinvaccin ni de traitement. Une équipe internationale de chercheurs vient aujourd'hui de publier une étude dans eLife montrant comment le système immunitairesystème immunitaire de ces pionniers de l'élevage s'est adapté pour répondre à cette nouvelle menace.

    Les premiers fermiers vivaient dans des villages très peuplés, avec une grande promiscuité entre les Hommes et les animaux. © frimufilms, Adobe Stock
    Les premiers fermiers vivaient dans des villages très peuplés, avec une grande promiscuité entre les Hommes et les animaux. © frimufilms, Adobe Stock

    Le « score de risque polygénique »

    Évidemment, il n'existe aucun échantillon sanguin vieux de 7.000 ans permettant d'analyser et de comprendre le système immunitaire de nos ancêtres. Les chercheurs ont donc utilisé une approche originale en deux temps. Pour mieux comprendre le mécanisme d'adaptation, l'équipe a d'abord étudié la variation génétiquegénétique des réponses immunitaires chez des personnes vivantes. Ils ont prélevé 500 échantillons de sang dans la biobanque du Functional Genomics Project (HFGP), à Nimègue aux Pays-Bas, et ont confronté les échantillons avec divers agents pathogènespathogènes. Ils ont ensuite mesuré le niveau de cytokinescytokines, des protéinesprotéines inflammatoires sécrétées par les cellules immunitaires en réponse à une infection. Ils ont ensuite cherché des corrélations entre ces niveaux de cytokines et une série de gènesgènes, pour calculer un « score de risque polygénique », autrement dit la force de réponse inflammatoire (donc immunitaire) produite par un gène donné.

    Lorsque les premiers agriculteurs ont rencontré de nouveaux agents pathogènes pour la première fois, certains ont réagi de manière excessive et sont morts, comme nous le voyons avec la Covid aujourd'hui

    Les chercheurs ont ensuite appliqué leur méthode au passé. Ils ont téléchargé d'anciennes séquences ADNADN de 827 restes humains trouvés à travers l'Europe et vieilles de 45.000 à 2.000 ans. À partir des séquences génétiques, ils ont calculé leur score de risque polygénique et constaté que celui des Européens qui s'étaient convertis à l'élevage était bien moins élevé que celui des chasseurs-cueilleurschasseurs-cueilleurs des périodes précédentes. Un résultat contre-intuitif. Sauf que comme on l'a vu dans le cas de la Covid, une réponse inflammatoire exagérée est susceptible d'entraîner un « orage cytokinique » où le système immunitaire détruit lui-même l'organisme. « Lorsque les premiers agriculteurs ont rencontré de nouveaux agents pathogènes pour la première fois, certains ont réagi de manière excessive et sont morts, comme nous le voyons avec la Covid aujourd'hui », atteste Mihai Netea du centre médical de l'université Radboud de Nimègue, qui a dirigé l'étude.

    Les cytokines sont des protéines inflammatoires produites par les cellules immunitaires pour combattre les infections, mais qui peuvent causer de gros dégâts lorsqu’elles sont en excès. © Juan Gärtner, Adobe Stock
    Les cytokines sont des protéines inflammatoires produites par les cellules immunitaires pour combattre les infections, mais qui peuvent causer de gros dégâts lorsqu’elles sont en excès. © Juan Gärtner, Adobe Stock

    Le Néolithique, une période qui a bouleversé notre système immunitaire

    Du coup, ce sont les gènes produisant une moindre réponse inflammatoire qui ont « survécu » et sont passés aux générations suivantes. Les chercheurs ont toutefois noté quelques exceptions, comme pour les infections au champignonchampignon Candida albicans ou au staphylocoque doréstaphylocoque doré, où la réponse inflammatoire est au contraire plus forte chez les ancêtres agriculteurs. Les chercheurs suggèrent que dans ces cas précis, une forte inflammationinflammation locale peut permettre de stopper l'infection avant qu'elle ne se propage au reste du corps.

    L'étude repose toutefois sur des hypothèses assez incertaines, comme le fait que les gènes ancestraux produisent une même réponse inflammatoire que leurs homologues actuels, ou que cela ait un quelconque rapport avec l'élevage. Ce qui est sûr, c'est que le niveau inflammatoire des humains a fortement changé à l'époque du Néolithique où les humains se sont sédentarisés. « Si les premiers humains [nomades] avaient été frappés par le SARS-CoV-2 actuel, il est certain que leur mortalité aurait été beaucoup plus élevée qu'aujourd'hui », conclut Mihai Netea.