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    L'estimation de l'âge d'Arégonde a été un enjeu important dans la compréhension des données historiques. La querelle entre spécialistes a longtemps porté sur une incohérence entre l'âge attribué par les premières expertises anthropologiques et la datation des parures qui accompagnaient la reine dans sa tombe.

    Bague sigillaire de la reine Arégonde - or VI<sup>e</sup> siècle. © Cangadoba, Wikimedia commons,<em> </em>CC Attribution-Share Alike 4.0 International license
    Bague sigillaire de la reine Arégonde - or VIe siècle. © Cangadoba, Wikimedia commons, CC Attribution-Share Alike 4.0 International license

    Michel Fleury était parti du postulat suivant : le mariage d'Arégonde avec Clotaire avait vraisemblablement eu lieu entre les 15 et 20 ans de la jeune femme et son fils Chilpéric était né en 539. Ces deux propositions impliquaient une date de naissance de la souveraine vers 520-525. Les analyses du squelette, menées en 1959 puis réajustées en 1993, indiquaient alors un âge au décès entre 35 et 45 ans. Ceci signifiait qu'Arégonde pouvait être décédée vers 565-570. Or, cette datation n'était pas en accord avec celles attribuées à une partie des parures, en particulier à la grande garniture de ceinture d'orfèvrerie et aux boucles de chaussures à décor animalier datées au mieux de la fin du VIe siècle. Cette incompatibilité entre l'âge estimé du squelette et la datation du mobilier avait même fini par faire douter certains chercheurs de l'identification d'Arégonde, suggérant que la tombe était plutôt celle d'une homonyme ou d'une femme ayant hérité de la bague royale et étant décédée dans les premières décennies du VIIe siècle.

    Redécouverte du squelette d'Arégonde : les investigations relancées

    La remise en cause des méthodes anthropologiques utilisées pour l'estimation de l'âge - état de la dentition pour la première étude menée en 1959, examen des os sur photographiesphotographies et radiographies après la perte temporaire du squelette pour la seconde analyse effectuée en 1993 - entretenait cependant une incertitude sur l'âge véritable de la défunte. S'il s'agissait bien d'Arégonde, son âge au décès aurait dû approcher 60 ans, portant alors sa sépulturesépulture vers 580, une date compatible avec celle du mobilier. Malheureusement, comme nous venons de l'indiquer les restes osseux d'Arégonde étaient alors égarés et il était impossible de réexaminer le squelette pour vérifier la validité de la nouvelle hypothèse.

    Finalement, la redécouverte en 2003 du squelette, des restes organiques et d'une partie du mobilier funéraire soigneusement rangés dans le laboratoire de restauration de la commission du Vieux Paris et dans un coffre-fort de l'Hôtel d'Aumont dans le Marais, a permis de reprendre les investigations.

    Fig. 10 - Coupe schématique d’une dent avec localisation du cément qui a permis une datation du squelette d'Arégonde. © V. Gallien, <a target="_blank" href="http://www.inrap.fr/archeologie-preventive/p-7-Accueil.htm">Inrap</a>
    Fig. 10 - Coupe schématique d’une dent avec localisation du cément qui a permis une datation du squelette d'Arégonde. © V. Gallien, Inrap

    Une estimation de l'âge plus précise grâce à une nouvelle méthode

    L'anthropologie ne disposait jusqu'à présent que de peu de moyens pour donner un âge précis aux squelettes adultes, cependant, nous avons eu la chance de bénéficier d'une nouvelle méthode de recherche fondée sur un examen microscopique du cément dentaire. Le cément dentaire est un tissu minéralisé qui s'appose par couche, selon un rythme annuel, à la surface de la racine des dents (fig.10). La méthode, pour estimer l'âge au décès, s'appuie sur l'observation microscopique de coupes réalisées perpendiculairement à l'axe des racines de la dent et sur le décompte du nombre de couches de cément déposées sur la surface radiculaire des dents. Pour cela, elle nécessite du matériel d'étude présentant à la fois un bon état de conservation et une absence de pathologiespathologies. L'estimation de l'âge d'un individu repose sur le nombre de couches de cément observées auquel s'ajoute le nombre d'années écoulées avant l'apparition de la dent examinée. Cet âge d'émergence, sensiblement constant chez l'Homme actuel, est donné par des tables de correspondance. En raison du nombre de coupes et d'observations par coupe à effectuer pour chaque sujet, cette méthode peut être longue à mettre en œuvre. Elle s'applique plus aisément aux cas individuels plutôt qu'aux grandes séries anthropologiques.

    Fig. 11 - Mandibule d’Arégonde. © V. Gallien, Inrap
    Fig. 11 - Mandibule d’Arégonde. © V. Gallien, Inrap

    Avec Arégonde, nous étions dans une situation idéale pour tenter son application. Ce travail minutieux a été réalisé par notre collègue le Dr Claude Rücker. Les dents disponibles à l'analyse étaient celles de l'arcade dentaire mandibulaire qui, cependant, était incomplète (fig. 11).

    Fig. 12 - Canine gauche (33) sélectionnée pour l’application de la méthode des anneaux cémentaires. © Cl. Rücker
    Fig. 12 - Canine gauche (33) sélectionnée pour l’application de la méthode des anneaux cémentaires. © Cl. Rücker

    Par ailleurs, la plupart des dents étaient très dégradées par des atteintes carieuses ou une déminéralisation postmortem de la dentinedentine. Deux dents mieux conservées ont tout de même été retenues : la canine gauche (33, fig. 12) et l'incisive latérale droite (42).

    Fig. 13 - Coupe au collet de la canine 33. © Cl. Rücker
    Fig. 13 - Coupe au collet de la canine 33. © Cl. Rücker

    Avant d'effectuer les coupes transversales, une mesure conservatoire destinée à préserver l'aspect initial de la mandibulemandibule, a été prise en réalisant un moulage de la partie radiculaire des dents, vouée à la destruction. Plusieurs coupes ont été préparées et ont donné lieu chacune à neuf observations. Six coupes de la canine 33 se sont avérées exploitables (fig. 13) tandis que celles de l'incisive 42 sont apparues inutilisables du fait d'une trop grande déminéralisation des tissus dentinaires et cémentaires.

    Fig. 14 - Observation microscopique du cément dentaire de la canine 33, permettant le décompte des anneaux. © Cl. Rücker
    Fig. 14 - Observation microscopique du cément dentaire de la canine 33, permettant le décompte des anneaux. © Cl. Rücker

    L'âge d'Arégonde précisé

    En tenant compte de la déhiscencedéhiscence de l'os alvéolaire (marqueur d'une parodontolyse) et en prenant en considération les coupes les plus apicales, l'observation a donné un résultat de 44 à 51 anneaux cémentaires recensés sur la canine 33 (fig. 14).

    À partir de la valeur la plus représentée, celle de 51 anneaux, et de l'âge moyen de fin de croissance de la canine établi à 10 ans ± 3 ans selon les tables consultées (G. Quatrehomme, E.-T. Parner et école de Louvain), l'âge d'Arégonde a été estimé à 51 + 10 (± 3), soit 61 ± 3 ans.

    La nouvelle estimation de l'âge d'Arégonde complète une relecture des textes proposée par l'historienhistorien allemand Eugen Ewig qui a corrigé l'année de naissance de Chilpéric à 534 (au lieu de 539 proposé par Michel Fleury) et confirmé l'âge d'Arégonde à la naissance de Chilpéric entre 15 et 20 ans, en estimant que le plus probable était 18 ans. À partir de ces trois données - âge d'Arégonde au décès et à la naissance de son fils, date de naissance de son fils - il a été possible d'évaluer l'année de naissance de la reine entre 514 et 519 (516 probable) et sa date de décès entre 572 et 583 (574-580 probables).