Cette mouche expulse une grosse goutte de salive et la ravale, plusieurs fois de suite. Des chercheurs ont compris pourquoi. Travail futile ? Non, car cette mouche véhicule des maladies et connaître ses manies peut se révéler précieux. Pas inutile non plus car l’étude repose sur une belle expérience avec à la clé une analyse fine et élégante. Étudiant en science, prends-en de la graine…

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    Guilherme Gomes regarde les mouches depuis des années. Ce chercheur brésilien de l'Instituto de Física de São Carlos (IFSC, université de São Paulo) a déjà étudié leur cerveaucerveau pour comprendre celui des humains. Avec ses collègues, il vient de publier dans Nature une étude détaillée qui explique un curieux comportement connu chez certains Diptères : former devant la bouche une grosse bulle de salivesalive, attendre un peu et la ravaler.

    Jusque-là, les zoologisteszoologistes pensaient que la mouche faisait ainsi évaporer un peu d'eau après avoir ingurgité de la nourriture, pour concentrer le contenu buccalbuccal. D'ailleurs, cette salive contient effectivement des enzymes digestivesenzymes digestives.


    La mouche en pleine « opération goutte de salive ». © Guilherme Gomes, YouTube

    Y avait-il donc besoin d'observer de plus près cette maniemanie peu ragoûtante ? Oui, manifestement. L'équipe brésilienne s'est intéressée à Chrysomya megacephala (« la mouche dorée à la grosse tête »), que l'on peut aussi appeler mouche à viande, reconnaissable à ses grands yeuxyeux rouges. Répandue en région tropicale, elle s'est habituée aux humains et, sans doute venue du Pacifique sud, les a suivis dans leurs périples migratoires ou commerciaux, jusqu'en Afrique, aux États-Unis et au Japon. Les Anglophones ont d'ailleurs baptisé cette Calliphoridée Oriental latrine fly.

    Pondant ses larves dans les cadavres, elle est appréciée de la médecine légalemédecine légale... Elle peut, parfois, infecter des Hommes ou des animaux au niveau d'une plaie ouverte, causant ainsi une myiase. Mieux connaître ses habitudes est donc potentiellement bénéfique dans un pays comme le Brésil.

    <em>Chrysomya megacephala</em> a de beaux yeux rouges et un corps mordoré. Vivant dans des pays où il fait chaud, elle connaît une méthode originale pour se rafraîchir. © Muhammad Mahdi Karim, licence CC, via <em>Jornal da USP</em>

    Chrysomya megacephala a de beaux yeux rouges et un corps mordoré. Vivant dans des pays où il fait chaud, elle connaît une méthode originale pour se rafraîchir. © Muhammad Mahdi Karim, licence CC, via Jornal da USP

    Un refroidissement particulièrement efficace

    Plutôt physiciensphysiciens, les chercheurs de l'IFSC ont observé des C. megacephala durant des journées entières à l'aide de caméras thermiques et d'un appareil de microtomographie à rayons Xrayons X. Conclusion : ces gouttes de salive, d'à peu près 1 mm (l'animal mesurant environ 1 cm), servent à réguler la température du corps de l'insecte, et la méthode, sophistiquée, est très efficace. Quinze secondes après l'extrusionextrusion de la goutte, la baisse atteint jusqu'à 8 °C. La mouche ne s'en contente pas : elle ravale la salive rafraîchie, ce qui fait descendre encore un peu la température. La caméra thermique est précise : la diminution est de 1 °C dans la tête, de 0,5 °C dans le thoraxthorax et de 0,2 °C dans l'abdomenabdomen. Maline, la mouche répète l'opération, jusqu'à six fois de suite, et le refroidissement dans ces trois parties atteint respectivement 3, 1,6 et 0,8 °C.

    Le saviez-vous ?

    Les insectes n’ont pas de régulation thermique interne, comme les mammifères et les oiseaux. Leur température dépend donc de celle de l’extérieur. Leurs corps étant petits, les échanges thermiques sont rapides. De plus, leur cuticule interdit un système basée sur une transpiration. L’activité de l’animal est donc très liée à la température extérieure.

    L'explication est-elle suffisante ? Non. La chute de température pourrait être un effet secondaire, pas nécessairement recherchée et peut-être subie. Alors les chercheurs ont fait varier la température extérieure et observé que la mouche joue différemment avec sa bulle. En dessous de 25 °C, on ne salive pas quand on est une C. megacephala. L'animal est alors très actif, vole beaucoup et ses muscles doivent être chauds, analysent les chercheurs. Entre 25 et 30 °C, le rythme de l'opération boule de salive est fonction de la température : il y a bien corrélation entre le comportement et le refroidissement. Au-delà de 30 °C, tout change, la mouche a trop chaud et préfère ralentir son activité physiquephysique. Elle s'immobilise dans un coin en attendant que la fraîcheur revienne.

    La technique de rafraîchissement observée de près. La goutte de salive (<em>droplet</em>) sort de la tête (<em>head</em>) au niveau de la trompe, ou proboscis (à gauche). Le liquide s'évapore en partie (<em>vapour</em>), ce qui refroidit le liquide, lequel est ensuite avalé (à droite). Un modèle numérique a reproduit les échanges de chaleur (<em>Heat transfer</em>), visualisé par les couleurs, le bleu pour le froid, le rouge pour le chaud. Les flèches blanches indiquent le mouvement du liquide (<em>Fluid flow</em>). © Guilherme Gomes <em>et al.</em>, <em>Nature</em>

    La technique de rafraîchissement observée de près. La goutte de salive (droplet) sort de la tête (head) au niveau de la trompe, ou proboscis (à gauche). Le liquide s'évapore en partie (vapour), ce qui refroidit le liquide, lequel est ensuite avalé (à droite). Un modèle numérique a reproduit les échanges de chaleur (Heat transfer), visualisé par les couleurs, le bleu pour le froid, le rouge pour le chaud. Les flèches blanches indiquent le mouvement du liquide (Fluid flow). © Guilherme Gomes et al., Nature

    La mouche aux yeux rouges a une astuce en plus

    Un chercheur motivé ne s'arrête pas là. Les Brésiliens de Guilherme Gomes ont travaillé la nuit, car la mouche dorée à la grosse tête est diurnediurne. Pour autant, elle ne dort pas jusqu'au matin. Ils ont observé que l'insecte déclenchait l'opération boule de salive à une température corporelletempérature corporelle plus faible. Rythme circadienRythme circadien ? Non. De jour, les chercheurs ont successivement allumé et éteint la lumièrelumière du laboratoire. Le seuil de déclenchement dépend aussi de la luminositéluminosité, même à température égale, mais son abaissement est d'autant plus élevé que la température extérieure est forte. Logique, concluent les chercheurs : dans l'obscurité, cet animal diurne doit fortement réduire son activité et l'abaissement de sa température réduit alors ses dépenses énergétiques.

    Tout est dit ? Non ! En bons physiciens, les Brésiliens de São Carlos ont modélisé les échanges thermiques pour vérifier qu'ils sont bien ceux observés chez la mouche. Résultat négatif : le modeste Diptère fait mieux que ce que prédisent les calculs... Et les scientifiques de comprendre qu'il faut prendre en compte la baisse de température qui a lieu déjà quand la goutte de salive se forme, et que cela ne suffit pas encore tout à fait. Des composés volatils sont peut-être ajoutés pour accélérer l'évaporation ? Vérification par chromatographiechromatographie de la salive : pas concluante. C'est donc la dynamique du mouvementmouvement qui explique l'efficacité de la manœuvre.

    Voilà donc comment une mouche transpire. Merci à elle et merci à l'équipe de l'Instituto de Física de São Carlos de nous offrir un exemple de belle science.