Rabelais, ce bon vivant, écrivait que le rire était le propre de l’Homme. Depuis, la science a prouvé que les grands singes, les rats ou les chiens (au moins) pouvaient aussi se gondoler. Mais les animaux peuvent-ils posséder le sens de l’humour ? La question divise la communauté scientifique. Et si la réponse nous venait de rats amateurs de chatouilles ?

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    Article paru le 3 avril 2014

    Qui est partant pour une franche partie de rigolade ? Le rire, quand il est franc, est une manifestation d'un état de bien-être momentané, et se révèle en plus bénéfique pour la santé, si bien qu'il devient prisé par tous. On a longtemps pensé, François Rabelais en tête dans Gargantua, que ce comportement distinguait l'Homme du reste du monde animal, puisque les zoologisteszoologistes de l'époque ne relevaient pas chez eux de comportement semblable.

    Néanmoins, les sciences du vivant ont évolué et Charles Darwin avait compris que la frontière qui nous distingue des animaux est plus ténue qu'on le pensait, à tel point qu'il estimait déjà que l'intelligence humaine se distinguait de son équivalent animal non par le type, mais par le degré. Autrement sous-entendu, nos cousins pourraient bien partager une forme de rire.

    Des propos qui ont été confirmés par des études ultérieures, notamment celles menées sur des grands singes. Ceux-ci poussent des cris particuliers dans des situations plaisantes ou de jeu. Ces sons ont été enregistrés et comparés aux rires humains. Les émissionsémissions sonores des chimpanzés et des bonobos, nos plus proches cousins, partagent de nombreuses caractéristiques communes avec nos esclaffements. Pour les gorilles, plus éloignés génétiquement de nous, la ressemblance est moins frappante. Quant aux orangs-outans, le cri paraît plus primitif encore à nos oreilles.

    Des singes qui ne manquent pas d’humour

    Rient-ils pour autant ? Oui, de l'avis de la communauté scientifique. Ils vont même parfois plus loin et se montrent même taquins. Prenons l'exemple de la femelle gorille Koko, mondialement connue pour comprendre 2.000 mots anglais et maîtriser 1.000 gestes de la langue des signes américaine. Ainsi, lorsqu'il lui a été demandé de décrire ce qu'elle trouvait dur, elle a répondu « roche » et « travail », jouant ainsi avec le sens des mots. Dans un autre contexte, elle a aussi noué entre eux les lacets de son éducatrice, Penny Patterson, tout en lui demandant de lui courir après. Qui n'y a jamais pensé ? D'autres exemples de blagues de grands singes sont relatés à travers le monde, laissant supposer qu'ils possèdent un sens de l’humour, bien qu'il faille toujours se méfier de l'anthropomorphisme.


    Koko, la femelle gorille qui parle, se fait un nouvel ami en la personne de l’acteur états-unien Robin Williams. Les deux complices passent un bon moment et rient ensemble. © Jan Turner, YouTube

    Désormais, les suspicions se portent sur un animal bien plus éloigné de nous : le rat. Ces rongeurs comptent parmi les espèces reconnues pour leur haut niveau d'intelligence. Et depuis plus de dix ans maintenant, on sait qu'ils émettent un son distinctif, de 50 kHz, en cas de situation agréable et de jeu. Est-ce un rire ? Certains le pensent.

    Les 50 kHz du rire du rat

    L'initiateur de cette démarche s'appelle Jaak Panksepp, à l'époque où il travaillait pour l'université d'État de Bowling Green (Ohio, États-Unis). Avec l'un de ses étudiants, Jeffrey Burgdorf, ils ont commencé à chatouiller gentiment leurs rats. Ceux-ci ont apprécié l'expérience et cherchaient toujours le contact de la main dès qu'elle rentrait dans leur cage. Lors des caresses ventrales, ils poussaient leur petit cri particulier. À n'en pas douter une manifestation de leur plaisir.

    Des expériences ultérieures ont confirmé ces tests préliminaires. Ainsi, lorsque les rongeurs disposent du choix entre un levier qui induit l'émission de ce son caractéristique lorsqu'ils appuient dessus ou un second à l'origine d'un autre cri de rat, ils ne se trompent pas et choisissent la fréquence sonore de 50 kHz. Néanmoins, le débat persiste au sein de la communauté scientifique et certains n'y voient que la manifestation d'un plaisir et d'un bien-être, mais pensent que ces éléments ne suffisent pas pour affirmer qu'il s'agit véritablement d'un rire. À la lumièrelumière des données actuelles, il est donc trop tôt pour conclure sur le sens de l'humour de ces rongeurs, bien que les éthologues ne baissent pas les bras.

    Aujourd'hui, Jeffrey Burgdorf continue de travailler sur les rats, comme le révèle le magazine Slate. Cette fois, il ne cherche plus à les faire rire, mais tente de trouver la recette du bonheur afin de la mettre dans une pilule. Il essaye d'élaborer un antidépresseurantidépresseur et traque l'émission du fameux son de 50 kHz pour synthétiser une moléculemolécule du bien-être. Son objectif : faire des rongeurs un modèle adapté pour tester les traitements contre les troubles de l'humeur. Les rats, qui jouissent d'une si mauvaise réputation, pourraient nous aider à faire de notre planète un meilleur lieu de vie.