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    L'Église en évolution

    Pourtant, cette évolution caractérise certaines grandes religions, au sein desquelles la durée historique et l'épreuve nécessaire de l'accommodation au progrès des conquêtes rationnelles et sociales ont déterminé un repli des attitudes dogmatiques et une ouverture aux « opinions » issues de la société civile et de la communauté scientifique. L'histoire du christianisme est, dans la période moderne, l'histoire d'une Église qui est conduite, pour maintenir sa puissance et sa crédibilité, d'une part à multiplier ses gestes d'œcuménisme, d'autre part à céder de plus en plus sur le dogme pour s'adapter aux réalités de la science et de ses pouvoirs. L'histoire des remaniements, depuis l'époque classique, de la « théologie naturelle » dont le teilhardisme est l'une des dernières grandes incarnations constitue, de ce second point, l'indéniable témoignage historique.

    La reconnaissance récente par le Vatican de l'évolution darwinienne comme étant « plus qu'une hypothèse » paraît constituer le recul dogmatique le plus significatif des dernières décennies au sein du catholicisme. Peu à peu, l'Église paraît abandonner ses comportements « sectaires ».

    Bien entendu, il s'agit toujours de sauvegarder l'essentiel, en l'occurrence, l'exceptionnalité de l'Homme et de la conscience morale. L'Église redevient secte lorsqu'elle exclut la reconnaissance de ce qui découle d'une assomption complète des sciences de la vie, soit : la nature biologique et évolutive de la conscience elle-même comme conséquence et partie de l'évolution du vivant. L'acceptation de la science par une religion ou une secte est ainsi, nécessairement, toujours partielle. La part - qui s'amenuise certes, mais peut en manière de compensation s'intensifier par une dramatisation appropriée - de ce qu'elle s'obstine à ne pas accepter permet à l'une ou l'autre de protéger ce qui fonde son existence et justifie l'influence qu'elle entend conserver.

    Lorsqu'il accepte l'évolution et rejette le matérialisme ce qui pour un scientifique est méthodologiquement absurde On pourra lire sur ce sujet Y. Quiniou, « DarwinDarwin, l'Église, le matérialisme et la morale », dans P. Tort (dir.), Pour Darwin, Paris, PUF, 1997., le Vatican réinstalle dans son rapport à la science une frontière entre reconnaissance et exclusion qui n'a d'autre fonction que d'établir sur une seconde ligne, protégeant ainsi son repli, le principe même d'un infranchissable qui lui assure de perpétuer, là où elles sont primordiales, son action et son emprise en toute tranquillité.

    Il retisse un peu plus loin l'altérité radicale de la science et de la Révélation. Et il la retisse dogmatiquement, car il sait bien que le matérialisme est à ce niveau un principe méthodologique de la science, et que le seul moyen d'échapper à cette donnée de fait est de continuer à faire semblant de croire qu'il est une philosophie donc qu'il appartient au registre d'une doctrine subjective, d'ailleurs discréditée par les connotations péjoratives du terme dans ses emplois vulgarisés. Crise du dogme, certes. Repli quant à la lettre, sans aucun doute. Ouverture aux idées de la science, c'est selon. Baisse de la capacité de condamnation des propositions hérétiques, inévitablement. Modernisme sous contrainte, c'est clair. Mais parfaite réaction sophistique cependant, et préservation authentique d'une sphère de pouvoir qui, au lieu de se rétrécir, paraît aujourd'hui se régénérer autour d'un dernier, mais primordial enjeu : l'Homme comme sujet de la conscience, bien sûr. Le « principe anthropique » l'UniversUnivers centré sur l'Homme et le finalisme anthropogénétique l'Évolution orientée vers l'Homme de quelques illuminés coïncide à merveille avec les contraintes politico-discursives actuelles de l'Église.