De nombreux animaux arborent des patrons de coloration pour le moins originaux ou colorés. Comment ces motifs sont-ils apparus et se sont-ils diversifiés ? La réponse vient de nous être fournie grâce à des drosophiles présentant des ailes tachetées. Tout est histoire de gènes architectes et de gènes peintres.

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    Diversification des motifs pigmentaires des ailes de drosophiles, autrement appelées mouches du vinaigre. © N. Gompel et B. Prud'homme

    Diversification des motifs pigmentaires des ailes de drosophiles, autrement appelées mouches du vinaigre. © N. Gompel et B. Prud'homme

    La morphologie des animaux, de leur forme générale à leur ornementation, est déterminée par des gènes qui s'activent au cours du développement embryonnaire. Ils agissent comme différents corps de métier sur un chantier : certains sont des « architectesarchitectes » qui établissent la trame du corps ou d'un organe ; d'autres sont des « artisans » (peintres, charpentiers, etc.) qui reçoivent leurs instructions des gènes « architectes ». Comprendre comment les relations entre ces gènes s'établissent pendant le développement embryonnaire et se modifient au cours de l'évolution peut se révéler crucial, notamment pour savoir de quelle manière la morphologie des animaux apparaît puis évolue.

    Dans ce contexte, des chercheurs de l'Institut de biologie du développement de Marseille-Luminy (IBDML) se sont intéressés à une tache de pigments noirs, présente sur les ailes des mâles de plusieurs espèces de drosophiles. L'équipe s'est d'abord penchée sur l'apparition de cette tache, il y a environ 15 millions d'années, chez un ancêtre des espècesespèces tachetées actuelles. Il a été mis en évidence que des mutations apparues dans la séquence des gènes « peintres » ont rendu ces derniers sensibles à un gène « architecte » actif au bout de l'aile, dans la région de la tache. Ces gènes « peintres » produisaient déjà des pigments noirs sur d'autres parties du corps ; à présent qu'ils répondent à un gène « architecte » de l'aile, ils en produisent également à ce niveau. 

    Évolution de la coloration des ailes de drosophiles (à lire dans le sens des aiguilles d'une montre, à partir de l’aile en haut à droite). © N. Gompel et B. Prud'homme

    Évolution de la coloration des ailes de drosophiles (à lire dans le sens des aiguilles d'une montre, à partir de l’aile en haut à droite). © N. Gompel et B. Prud'homme

    Ainsi, l'apparition d'une nouveauté évolutive, la tache sur l'aile, résulte non pas de l'évolution de nouveaux gènes, mais plutôt de l'émergenceémergence de nouvelles interactions entre des gènes préexistants. Ces résultats publiés dans Science illustrent, au niveau génétique, comment l'évolution procède par un bricolage opportuniste pour faire du neuf avec du vieux.

    Des taches fragmentées par le gène architecte

    Une fois la tache apparue, sa forme s'est modifiée au gré de la formation de nouvelles espèces de drosophilesdrosophiles. Ainsi, la coloration de leurs ailes s'est plus ou moins intensifiée, étalée, ou même éclatée en plusieurs petites taches. Ces variations d'un thème initial constituent une deuxième phase évolutive distincte de l'apparition du caractère « tache au bout de l'aile ».

    Les chercheurs ont montré que les variations de forme des motifs ne sont pas le fruit de mutations au niveau des gènes « peintres », mais qu'elles résultent au contraire de changements dans la distribution spatiale de l'expression du gène « architecte ». En effet, en réponse à des variations de celle-ci, tous les gènes « peintres » qu'il gouverne ont vu leur propre distribution modifiée dans l'aile.

    De telles transitions évolutives en deux temps (apparition-diversification) sont communes dans le vivant, et les mécanismes génétiques identifiés dans le cas de la tache des ailes de drosophile sont extrapolables, dans leur principe, à l'évolution d'autres caractères.