Triste condition que celle du lapin qui a toujours aiguisé les appétits des chasseurs. De nombreuses preuves archéologiques, à Pié Lombard, viennent attester que, depuis 70.000 ans, Néandertal, qui ne s'y était pas trompé, le consommait et l'exploitait intensément. C'est un nouvel éclairage sur ses stratégies de subsistance tendant à démontrer que les lapins n'étaient pas des proies occasionnelles pour l'Homme de Néandertal, mais que le petit gibier était pleinement intégré au système socio-économique de ces groupes humains, impliquant l'utilisation récurrente de techniques sophistiquées.


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    De nouvelles preuves archéologiques de la chasse au petit gibier par des sociétés humaines préhistoriques ravivent toujours les débats sur les différences comportementales et alimentaires entre l'Homme moderne et l'Homme de NéandertalNéandertal. L'acquisition de telles ressources par les Néandertaliens dans le sud de l'Europe, et en particulier du lapin de garenne (Oryctolagus cuniculus), ne souffre plus d'ambiguïté, étant donné le nombre croissant de preuves archéologiques attestant de leur capture dès le début du Paléolithique moyen (il y a 350.000 ans).

    Les préhistoriens cherchent désormais à savoir si le lapin était une proie occasionnelle ou s'il constituait une plus grande part dans le régime alimentaire et le système socio-économique de ces groupes humains. Cette question a été abordée par une équipe de chercheurs français des universités d'Oulu, de Nice et d'Aix-Marseille, au travers une analyse détaillée des restes de lapins provenant du gisement archéologique de Pié Lombard, et publiée dans la revue Quaternary Science Reviews.

    Le plus grand assemblage connu de restes de lapin

    Localisé près de Tourrettes-sur-Loup, dans les Alpes-Maritimes, le site archéologique de Pié lombard est un abri sous-roche occupé par des groupes Néandertaliens, il y a plus de 70.000 ans. Les fouilles menées par le préhistorien Pierre-Jean Texier, ont permis la mise au jour de plus de 16.000 restes osseux de lapins de garenne, représentant au moins 225 individus. Cette découverte en fait l'une des plus importantes accumulations de lapin connues à ce jour pour cette période.

    L'analyse de ces restes a révélé une exploitation récurrente et optimisée des carcasses de lapins par les Néandertaliens directement sur le site. La présence d'ossements brûlés et leur fracturation intensive indiquent que la viande était consommée rôtie mais aussi que la moelle était recherchée. Cet exceptionnel assemblage permet également de formuler l'hypothèse inédite d'un traitement intense des fourrures de lapins par les Néandertaliens. Les résultats de cette étude sur la représentation des différentes parties anatomiques des squelettes ou encore la présence de stries de découpe diagnostiques localisées aux extrémités des pattes, plaident pour l'exploitation des peaux, qui semblent avoir été emportées ultérieurement par leurs artisans.

    Exemples de stries de découpe, pour le dépeçage et la désarticulation, et de cylindres diaphysaires, pour récupérer la moelle, observées sur les ossements de lapin à Pié Lombard. © Maxime Pelletier
    Exemples de stries de découpe, pour le dépeçage et la désarticulation, et de cylindres diaphysaires, pour récupérer la moelle, observées sur les ossements de lapin à Pié Lombard. © Maxime Pelletier

    Des modes opératoires semblables à ceux de l'Homme moderne

    La fréquence élevée des restes de lapins à Pié Lombard est unique pour le Paléolithique moyen. Elle implique l'utilisation de techniques d'acquisition sophistiquées, auparavant connues uniquement dans des sites occupés par les Hommes anatomiquement modernes. Ces vingt dernières années, de nombreuses recherches scientifiques ont permis de mettre en avant des comportements remarquablement similaires des Néandertaliens avec ceux d'Homo sapiensHomo sapiens (notamment l'enterrement de leurs morts, le port d'ornements personnels, l'art rupestre ou encore l'exploitation fréquente des ressources aquatiques).

    Les résultats obtenus à Pié Lombard portent ainsi un éclairage nouveau sur les pratiques de subsistance des Néandertaliens du sud de la France au début du Pléistocène supérieur (stade 5 de la chronologie marine isotopique), où les lapins pouvaient être pleinement intégrés dans la sphère socio-économique de ces groupes. L'étude avance également que l'exploitation de ce petit gibier semble avoir été influencée avant tout par les conditions environnementales et les facteurs sociaux plutôt que par les différences biologiques et culturelles entre les Néandertaliens et les Hommes modernes.