Un trou noir caché au centre le Terre relie un mystérieux ADN sombre aux molécules d’eau et aux êtres vivants : c’est la thèse d’un article écrit par 13 scientifiques et paru dans une revue scientifique officielle. Canular ? Défaillance du système ? Le charabia de l’article ne laisse pourtant aucun doute sur son caractère grotesque.


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    Vous ne le saviez peut-être pas, mais le centre de la Terre est constitué d'un gigantesque trou noir « qui joue le rôle du plus grand système de télécommunication pour connecter les ADNADN, les ADN sombres et les molécules d'eau sur un collecteur à 4+N dimensions ». C'est le titre d'un article publié l'an dernier par 13 scientifiques dans la revue Macedonian Journal of Medical Science, une publication scientifique tout à fait officielle qui édite régulièrement des articles sur le diabètediabète, la dépression ou l'immunologie. L'article est donc censé avoir été relu par un comité de rédaction, ce qu'on appelle l’évaluation par les pairs (peer review, en anglais).

    Un amas de théories délirantes

    CanularCanular ? Résultat d'un algorithme fou ? Difficile en tout cas de croire à la thèse extravagante développée dans l'article, qui défie les lois fondamentales de la physique. Il est notamment expliqué qu'il existe un « ADN sombre » qui échange « des informations avec l'ADN normal, mais est également relié à certaines des molécules d'eau et les aide à stocker des informations et à avoir une mémoire ». La taille de cet ADN sombre serait « 109 fois plus longue que la taille du noyau de la Terrenoyau de la Terre et son intérieur compactéEn compactant cet objet long, un espace-temps courbé émerge, et certaines propriétés des trous noirs apparaissent. Cette structure est la cause principale de l'émergenceémergence de la haute température du noyau [terrestre], du champ magnétique autour de la terre et du champ gravitationnel pour se déplacer autour du soleilsoleil ».

    Coronavirus et 5G

    Si vous n'avez rien compris, c'est normal. L'article est à l'avenant, truffé de citations et de schémas obscurs. Il n'avait pas fait grand bruit jusqu'à récemment, lorsqu'un chercheur de l'université de Caroline du Nord l'a remarqué sur Twitter. Quelques jours plus tard, l'article a été retiré par la revue, signe d'un malaise évident. L'affaire a tout de même de quoi soulever les interrogations. Le Macedonian Journal of Medical Science n'est pas forcément très connu, mais il est référencé sur PubMed par l'US National Library of Medicine. Il semble cependant particulièrement complaisant avec certains auteurs, dont ceux de l'article. L'un d'eux, Cota Linda, a ainsi publié pas moins de quatre articles dans la revue en moins d’un mois, et l'auteur principal, Massimo Fioranelli, est un habitué. Il est l'auteur d'un deuxième article récemment rétracté reliant l’infection au coronavirus à la 5G. Le parfait cocktail de la théorie du complot.

    Combien d’articles scientifiques bidon sont passés sous le radar des comités éditoriaux ? © stokkete, Adobe Stock
    Combien d’articles scientifiques bidon sont passés sous le radar des comités éditoriaux ? © stokkete, Adobe Stock

    Un canular pour dénoncer les journaux prédateurs ?

    Les autres auteurs semblent également douteux. Au total, cinq d'entre eux seraient chercheurs en physique nucléaire à l'université de Marconi (Italie), un sixième spécialisé en psychiatrie et les autres en dermatologie, des disciplines dont on peut se demander ce qu'elles ont à voir avec les trous noirs et le magnétismemagnétisme terrestre. Mais alors qu'est-ce qui peut bien se cacher derrière cet amoncellement d'invraisemblances ? L'une des thèses est qu'il s'agit d'un canular, destiné à dénoncer les « journaux prédateurs ». Une thèse renforcée par le fait que l'un des auteurs, Torello Lotti, a précédemment publié un article dénonçant ce type de publications pseudoscientifiques, destinées à récolter de l'argentargent et promouvoir des scientifiques douteux. Leurs « comités éditoriaux » sont généralement composés de membres fictifs et/ou de chercheurs inscrits sans leur consentement. En 2014, un journaliste s’était ainsi amusé à écrire un article assemblé avec des bouts de phrases plagiés et complètement incohérent sur le sol, le cancercancer et Mars, intitulé « Acidité et aridité : Le stockage du carbonecarbone inorganique dans le sol présente une relation complexe avec les sols à faible pH et la myéloablation suivie d'une infusioninfusion autologueautologue de PBSC ». Il avait ensuite envoyé son texte à 18 de ces « revues prédatrices », dont 8 l'avaient immédiatement accepté, moyennant des frais de publication de 1.000 à 5.000 dollars.

    Une autre théorie est que l'article ait été écrit par un « bot », qui colle ensemble des morceaux de textes et des termes savants pour donner l'impression d'un article scientifique (presque) cohérent. On retrouve ainsi de nombreuses références à la mémoire de l'eau (principe cher à l'homéopathiehoméopathie), le stockage ADN ou encore le magnétisme terrestre. Quoi qu'il en soit, il semble difficile à croire que le papier ait été relu sérieusement par un comité scientifique. Encore que même de prestigieuses revues comme The Lancet ont elles aussi récemment été confrontées au retrait d'articles erronés.