La Nasa et le Canada préparent la mission Artemis II, prévue pour fin 2024, et Nicolas Maubert, conseiller Espace et représentant Cnes à l’Ambassade de France aux États-Unis, nous explique comment les activités et actions du Cnes pourraient contribuer à la sélection d'un astronaute français pour marcher sur la Lune. Passionnant.


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    Alors que les États-Unis ont décidé de retourner sur la Lune et se préparent à faire atterrir les premiers humains sur Mars, le programme Artemis et la stratégie américaine Moon to Mars ouvrent une nouvelle ère de découvertes scientifiques et d'avancées technologiques. Ce nouvel âge d'or de l'exploration humaine et robotiquerobotique, désormais bien engagé suite au succès de la mission Artemis I en novembre dernier, sera marqué par une multitude de missions habitées sur la surface de la Lune. Le Cnes souhaite évidemment y participer et espère « qu'un astronaute français puisse fouler le sol lunaire d'ici une dizaine d'années », nous explique Nicolas Maubert, conseiller Espace et représentant Cnes à l'Ambassade de France aux États-Unis.

    À ce jour, la France participe au programme Artemis essentiellement à travers sa contribution à l'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne (ESA). L'Europe est un contributeur majeur d'Artemis avec la fourniture des modules I-Hab et Esprit du GatewayGateway (dont la France assure la maîtrise d'œuvre) et très certainement l'atterrisseur lourd Argonaute, ainsi que des services de communication et de navigation lunaires (programme MoonlightMoonlight). De leur côté, les Canadiens fourniront des bras robotisés, et les Japonais un cargo de ravitaillement et un rover lunaire pressurisé. Ces participations étrangères au programme Artemis font office de contreparties auprès de la Nasa pour négocier la présence d'astronautes à bord du Gateway et sur la Lune. À ce titre, Jeremy Hansen, astronaute canadien, fera partie de l'équipage Artemis II prévu au lancement pour fin 2024, avec trois Américains.

    Thomas Pesquet lors d'une sortie dans l'espace pour installer et rendre fonctionnelle la structure pour les futurs panneaux solaires et un nouveau déperditeur statique (septembre 2021). © Nasa
    Thomas Pesquet lors d'une sortie dans l'espace pour installer et rendre fonctionnelle la structure pour les futurs panneaux solaires et un nouveau déperditeur statique (septembre 2021). © Nasa

    Le Cnes participe également en partenariat avec la Nasa à des missions robotiques lunaires précurseurs des vols habitésvols habités. L'agence spatiale française enverra ainsi deux instruments scientifiques sur la Lune à bord d'un atterrisseur de la Nasa en 2025. Cette coopération est essentielle pour « prendre part à cette nouvelle ère qui s'ouvre à la fois dans les domaines scientifiques, techniques mais aussi économiques », tient à souligner Nicolas Maubert. Et il ajoute « souhaiter que cette implication française puisse contribuer à la sélection d'un astronaute français pour réaliser une mission sur la Lune qui sera forcément réalisée dans le cadre de l'Agence spatiale européenne en partenariat avec la Nasa ».

    Une « volonté politique pour que Thomas Pesquet marche sur la Lune »

    Aujourd'hui en France, il y a une « volonté politique pour que Thomas PesquetThomas Pesquet marche sur la Lune », toutefois, faut-il rappeler que Thomas est certes français, mais il est avant tout un « astronaute du corps européen des astronautes de l'Agence spatiale européenne et qu'au final le choix reviendra à celle-ci ». En raison de ses contributions dans le Gateway, l'ESA a factuellement négocié « trois vols d'astronautes dans le cadre de missions Artemis et souhaiterait qu'un de ses trois astronautes puisse marcher sur la Lune ». Comme annoncé par le directeur général de l'ESA, les trois astronautes européens qui voleront à bord de ces missions Artemis devraient être issus de la promotion 2009 - celle de Thomas - et vraisemblablement choisis parmi les États-membres qui contribuent le plus au budget de l'ESA. À savoir, l'Allemagne, l'Italie et la France donc.

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    Objectif Lune pour le Cnes

    En début d'année, l'inspecteur général de la Nasa a appelé à une meilleure coordination des partenaires internationaux dans le cadre du programme Artemis. Pour la Nasa, le but est de réduire les coûts du programme supportés par les États-Unis tout en assurant une redondance et une résiliencerésilience des systèmes. En parallèle à cette annonce, la Nasa est également engagée dans un processus de consolidation de l'architecture des missions Artemis de II à V. Cette consolidation sera présentée lors du 38Space Symposium prévu du 17 au 21 avril à Colorado Springs. Pour les partenaires internationaux des Américains, ces annonces sont loin d'être anodines. « Nous suivons cela de près, conscient que cela constitue des opportunités majeures pour nos scientifiques, nos industriels et nos astronautes. »

    Le véhicule Orion et son module de service fourni par l'Europe, lors de la mission Artemis I (novembre 2022). © Nasa
    Le véhicule Orion et son module de service fourni par l'Europe, lors de la mission Artemis I (novembre 2022). © Nasa

    L'implication française dans cette architecture de surface lunaire est en cours de discussion, mais « plusieurs programmes sont déjà en place pour soutenir et financer lcosystème du Newspace français tourné vers l'économie lunaire », rappelle Nicolas Maubert. Il y a là un point d'entrée intéressant pour la France, qui pourrait apporter à la Nasa un « certain nombre de briques technologiques de base pour son architecture lunaire, utiles et indispensables à l'installation et la présence durable de l'Homme sur la Lune » dans des domaines liés à l'énergie, à la mobilité, l'alimentation, la santé (télémédecinetélémédecine), l'habitat intelligent (recyclagerecyclage de l'airair et des eaux uséeseaux usées), la manufacture additive de pièces de rechange ou la production de nourriture. Le Cnes a « déjà amorcé le financement de plusieurs projets dans le cadre de l'incubateur TechTheMoon ». On citera en exemple Metis, qui détecte les microfissures dans le matériel des astronautes, Orius Technologies qui produit des végétaux en environnement spatial, Spartan Space qui fabrique un habitat gonflable et mobilemobile adapté aux conditions sur la Lune et the Exploration Compagny qui développe un véhicule orbital lunaire, qui assurera également le transport sur le sol de la Lune.

    L’avènement d’une dimension plus économique de la conquête spatiale

    À cela s'ajoute qu'avec la création d'un écosystèmeécosystème commercial autour de la Lune, encouragé par la Nasa, il y a un « intérêt économique à investir dans la Lune afin de ne pas laisser aux États-Unis, ou à d'autres pays, la mainmise sur tous ces sujets », précise-t-il. En amorçant ou finançant le développement de nouvelles technologies, le Cnes peut « aider et pousser des start-upstart-up et des industriels, qu'ils soient du secteur spatial ou non, à s'installer sur ces futurs marchés, certes de niche mais très stratégiques » dans la logistique, le transport spatial, les télécommunications, la navigation, l'hébergement des astronautes ou, autre exemple, l'habitat intelligent. Ces technologies développées pour la Lune, « pourraient également  trouver de nombreux débouchés sur Terre, principalement dans l'habitat, la gestion des ressources et la gestion des énergies par exemple ».

    Les passerelles entre le programme Artemis de retour sur la Lune et <em>Moon to Mars</em> qui doit préparer la Nasa et ses partenaires internationaux à une première mission habitée à destination de Mars. © Nasa
    Les passerelles entre le programme Artemis de retour sur la Lune et Moon to Mars qui doit préparer la Nasa et ses partenaires internationaux à une première mission habitée à destination de Mars. © Nasa

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    Mars en point de mire

    Enfin, une des justifications du programme Artemis est de « préparer une mission habitée à destination de Mars », tient à rappeler Nicolas Maubert. À lui seul, le programme Artemis ne « suffit pas pour préparer des missions humaines sur Mars. Établir une présence humaine durable et sûre à la surface de la lune est nécessaire pour apprendre à vivre en autonomieautonomie sur une autre planète, mais pas suffisant ». Les défis que pose un voyage habité vers Mars sont sans commune mesure avec ceux du programme Artemis qui est encore loin de permettre une installation pérenne sur la Lune. Partenaire historique dans le programme robotique d'exploration de Mars de la Nasa, le Cnes ne « s'interdit donc pas de développer des produits lunaires également dimensionnés pour Mars ou d'amorcer des programmes propres à la présence humaine sur Mars ». Une telle mission, qui n'est pas sérieusement envisagée avant la décennie 2040, sera décidée seulement après la « levée de nombreuses incertitudes et verrousverrous technologiques pour lesquels le Cnes pourrait apporter des solutions et son expertise dans différents domaines dont l'utilisation des ressources in situ, la production d'énergie et les opérations sur le sol, par exemple ».

    Cette implication et cette expertise sont autant « d'atouts en faveur de nos astronautes français, en particulier Thomas Pesquet qui a bonne presse de ce côté-ci de l'Atlantique, est bien apprécié par la Nasa et même par Kamala Harris, la vice-présidente des États-Unis ». Des atouts indispensables pour espérer le voir un jour fouler le sol lunaire, face à la concurrence et au lobbying des autres acteurs majeurs européens du spatial.