Un des grands noms de la cosmologie du XXe siècle vient de nous quitter à l'âge de 75 ans, le Russe Alexeï Starobinski. Stephen Hawking avait appris de lui et de son mentor comment faire des calculs de théorie quantique des champs en espace-temps courbe, ce qui lui avait permis de faire sa découverte du rayonnement des trous noirs. Quelques années plus tard, Starobinski allait proposer un modèle de cosmologie quantique considéré aujourd'hui comme un des meilleurs et conduisant à une phase d'inflation cosmique à l'origine de la naissance des galaxies et de certaines caractéristiques du rayonnement fossile.


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    Il n'y a pas de doute que Stephen Hawking était un génie. Pourtant, en étudiant les travaux menés au cours des années 1960 et au tout début des années 1970 sur la cosmologie relativiste et la théorie des trous noirs, on est frappé par le fait que bien des idées ou des outils qu'il va utiliser dans ses travaux sont déjà esquissés ou utilisés par plusieurs chercheurs de cette décennie. On peut s’en convaincre en lisant notamment les travaux de John Wheeler, Bryce DeWitt et, bien sûr, Roger Penrose.

    Wheeler et son école considéraient déjà que les trous noirs étaient des laboratoires pour comprendre le commencement de l'Univers et pour découvrir une nouvelle physique avec des effets quantiques. Il était déjà clair pour Wheeler que l'espace-temps à l'intérieur d'une étoileétoile s'effondrant pour donner un trou noir se comportait, en renversant le sens du temps comme l'expansion de l'espace depuis l'état quantique initial du Big BangBig Bang. C'est ce raisonnement que Hawking va utiliser pour transposer le théorèmethéorème de Penrose démontrant l'occurrence d'une singularité en relativité généralerelativité générale classique au coeur d'une étoile s'effondrant irrémédiablement au cas du Big Bang, démontrant cette fois-ci l'existence de la singularité cosmologique primordiale où le temps et la physique classique cessent.

    On sait aussi que, lorsqu'il a voulu réfuter la théorie de l’entropie des trous noirs avancée par Jacob Bekenstein sur une suggestion de Wheeler -- qui était le directeur de thèse de Bekenstein --, Hawking avait été conduit à s'intéresser de plus près au comportement des champs quantiques en espace-temps courbes. Il existait déjà à ce sujet des travaux de pionniers menés par le physicien états-unien Leonard Parker au milieu des années 1960. Mais ils concernaient la production de particules par des univers en expansion.

    Pour avancer dans ses travaux, Hawking avait décidé cependant de faire le voyage à Moscou pour apprendre de Yakov Zeldovich et de son collaborateur principal Alexei Starobinski, sur le sujet du comportement des champs quantiques autour des trous noirs de Kerrtrous noirs de Kerr en rotation. Yakov Zeldovich était un phénomène qui, après avoir fortement contribué au développement des bombes A et H soviétiques, avait catalysé la création d'un groupe de recherche en astrophysiqueastrophysique et cosmologie relativiste qui, selon le Prix Nobel Kip Thorne, n'avait pas d'équivalent sur Terre des années 1960 aux années 1970.

    Avant l'arrivée d'Hawking à Moscou, Zeldovich avait montré qu'un trou noir en rotation devait émettre des particules à cause de la mécanique quantiquemécanique quantique. De retour de Moscou, à sa grande surprise et en appliquant ce qu'il avait appris de Zeldovich et Starobinski tout en développant une approche qui lui était propre, Hawking découvrit que Bekenstein avait raison et qu'un rayonnement quantique devait aussi se produire avec un  trou noir de Schwarzschild sans rotation. Comme l'a expliqué Thorne par la suite dans son célèbre ouvrage sur les trous noirs pour le grand public, la réaction de Zeldovich et Starobinski fut d'abord un scepticisme radical, avant de finir par se rendre à l'évidence, tout comme Hawking d'ailleurs.

    Starobinski allait se faire un nom propre dans les années qui allaient suivre, étant aussi bien un produit de l'école de Zeldovich, qui mettait l'emphase sur des découvertes et des raisonnements largement basés sur l'intuition, et l'école de Lev Landau qui, tout en utilisant des raisonnements physiques comparables à ceux de Feynman, mettait l'accent sur des démonstrations mathématiques détaillées et rigoureuses, au sens des physiciensphysiciens théoriciens du calibre de Landau et pas au sens des mathématiciensmathématiciens purs toutefois.

    Né le 19 avril 1948 en Russie et bien qu'élève de Zeldovich à la mythique Université d'État Lomonossov de Moscou comme il l'explique dans son autobiographie, Starobinski n'en finira pas moins, en effet, par passer sa thèse au tout aussi mythique Institut de physique théorique Landau, créé pour garder vivant l'esprit insufflé à la physique théorique russe par le prix Nobel de Physique après le tragique accidentaccident ayant endommagé son cerveaucerveau.

    « <em>Ce qui est très intéressant pour moi, c'est d'étudier ce qu'il y avait au début de l'inflation et même avant.</em> » Alexeï Starobinski ( 19 avril 1948 – 21 décembre 2023) était un astrophysicien et cosmologue soviétique et russe. Il a reçu le prix Kavli d'astrophysique « <em>pour avoir été le pionnier de la théorie de l'inflation cosmique</em> », avec Alan Guth et Andrei Linde en 2014. © <em>The Kavli Foundation</em>
    « Ce qui est très intéressant pour moi, c'est d'étudier ce qu'il y avait au début de l'inflation et même avant. » Alexeï Starobinski ( 19 avril 1948 – 21 décembre 2023) était un astrophysicien et cosmologue soviétique et russe. Il a reçu le prix Kavli d'astrophysique « pour avoir été le pionnier de la théorie de l'inflation cosmique », avec Alan Guth et Andrei Linde en 2014. © The Kavli Foundation

    Du rayonnement des trous noirs à l'inflation cosmique

    Aujourd'hui, Starobinski est surtout connu comme l'un des principaux pionniers de la théorie de l'Inflation cosmologique avec l'états-unien Alan Guth mais aussi, et c'est moins connu, Robert Brout et François Englert, les co-papas du boson de Brout-Englert-Higgs.

    En effet, à la fin des années 1970, Starobinski fait des calculs quantiques sur les champs de particules pendant le Big Bang et il trouve que les fluctuations quantiques de ces champs modifient le comportement de la gravitationgravitation en ajoutant un terme de courbure scalaire au carré, R2 comme on dit dans le jargon, à l'action d'EinsteinEinstein-Hilbert qui permet de dériver les équationséquations d'Einstein de la théorie de la relativité générale à partir toujours du terme de la courbure scalaire mais R tout simplement.

    Il en découlait qu'au début du Big Bang, l'espace avait subi une expansion transitoire mais exponentiellement rapide du cosmoscosmos observable l'ayant fortement dilaté. Guth était arrivé à un résultat similaire mais en se basant cette fois-ci sur de nouveaux champs de Brout-Englert-Higgs ajoutés pour unifier les forces nucléaires faiblesforces nucléaires faibles et fortes avec la force électromagnétique, c'est-à-dire faire une Théorie de Grande Unification, une GUTGUT comme on dit en anglais, synthétisant la théorie électrofaiblethéorie électrofaible avec la chromodynamique quantiquechromodynamique quantique, la QCD.

    En développant sa théorie dite aujourd'hui de l’inflation cosmique, comme les variantes dues à Guth mais aussi à un compatriote russe de Starobinski, Andrei Linde, Starobinski allait en déduire des prédictions pour le rayonnement fossilerayonnement fossile, prédictions qui sont en très bon accord avec les analyses des données concernant ce rayonnement fournies par le satellite Plancksatellite Planck et qui sont presque une preuve de la théorie de l'inflation.


    Alexei Starobinsky, lauréat du prix Kavli 2014, a été l'un des premiers pionniers de l'inflation cosmique, décrivant comment l'univers primitif s'est développé, faisant notamment la prédiction selon laquelle l'univers primitif générait des ondes gravitationnelles. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © The Kavli Prize
     

    On a cru à un moment avoir cette preuve sous la forme de la trace d’ondes gravitationnelles de l’inflation dans le rayonnement fossile étudié par la collaboration Bicep2 en Antarctique. Hélas, il s’agissait d’une erreur.

    Toujours est-il que Starobinski s'est vu par la suite décerner de nombreux prix prestigieux comme celui de la fondation Kavli ou encore la médaille Dirac, médaille qui a souvent été l'antichambre de l'attribution d'un prix Nobel.

    Hélas, il n'y a plus aucune chance qu'Alexeï Starobinski en soit un jour lauréat puisqu'il vient de décéder ce 21 décembre 2023.