Pouvons-nous contrer notre biais de confirmation ? Et savons-nous vraiment à quoi réfère ce biais ? Détails dans cet article. 


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    Dans la conception populaire que nous en avons, le biais de confirmation est perçu comme ce mécanisme psychologique qui nous pousse à confirmer sans cesse ce que nous pensons et à hérisser le poil lorsque des données ou des avis contradictoires se présentent. Est-ce aussi simple ? Pas vraiment. Pour nous aider à comprendre en profondeur ce qu'est le biais de confirmation, nous avons interrogé Fabrizio Butera, professeur de psychologie sociale, et Nicolas Sommet, docteur en psychologie sociale, tous deux travaillant à l'université de Lausanne.

    Le paradigme de l'étude du biais de confirmation

    Lorsqu'on essaie de mieux comprendre des phénomènes scientifiques, il est important de savoir les situer dans l'histoire de la discipline qui s'attèle à les étudier. « Il y a eu deux grandes écoles de pensée au début des études sur la cognition humaine et plus particulièrement des biais. D'aucuns considèrent les biais comme étant une incapacité cognitive à imaginer les alternatives. D'autres pensent que ces biais sont liés à des questions de motivation, c'est-à-dire que les individus n'auraient pas de raison de lutter contre leur biais. Récemment, nous avons publié un papier avec mon équipe de recherche en argumentant en faveur d'un autre aspect : l'aspect situationnel. Autrement dit, nous montrons qu'il existe des situations sociales qui favorisent ou non le biais de confirmation », explique Fabrizio Butera. Le paradigme dominant reste néanmoins le cognitivisme qui, comme nous l'explique Nicolas Sommet « est un paradigme où la pensée s'apparente à un système de traitement de l'information. L'étude des biais cognitifs, incluant le biais de confirmation, en est assez prototypique ».

    Le cognitivisme est un paradigme où la pensée s’apparente à un système de traitement de l’information.<em> </em>© Feodora, Adobe Stock
    Le cognitivisme est un paradigme où la pensée s’apparente à un système de traitement de l’information. © Feodora, Adobe Stock

    Biais de confirmation : phénomène réel ou artefact ? 

    Le biais de confirmation existe. Ce n'est pas un artefact. Pourtant, des variations en matièrematière de définition sont courantes dans la communauté scientifique comme le relate bien cet article de Joshua Klayman, professeur émérite des sciences du comportement à l'université de Chicago. Pour autant, Nicolas Sommet nous assure que « la plupart des psychologues sont d'accord sur une définition assez générale du biais de confirmation qui est la suivante : le biais de confirmation est la tendance à traiter l'information en recherchant ou en interprétant l'information qui correspond à ses croyances existantes. » Lorsque l'on creuse dans l'histoire de la découverte du biais de confirmation, on considère généralement l'expérience de Wason intitulée « On the failure to eliminate hypotheses in a conceptual task » comme le premier design expérimental à l'avoir démontré. Cependant, plusieurs chercheurs discutent ce point.

    Selon Fabrizio Butera, depuis cette expérience, « les chercheurs se "bagarrent" sur l'explication du biais de confirmation, mais pas au sujet de son existence, qui fait consensus. En effet, quelles que que soient les expériences en psychologie et les tâches de raisonnements, on trouve de la confirmation. Le vrai sujet de débat c'est le pourquoi. Chacun argumente alors pour son paradigme. Les cognitivistes expliquent le biais de confirmation par un manque de capacité cognitive. Mais cette explication a du mal à rendre compte de la confirmation qui s'opère chez des personnes qui connaissent très bien la logique formelle et les problèmes de confirmation d'hypothèses : les chercheurs eux-mêmes. Il y a d'autres explications toujours affiliées à un paradigme donné comme les motivations spécifiques (pour protéger son estime de soi, etc.), le pragmatisme qui consiste à dire que, pour des raisons évolutives, nous avons besoin de communiquer notre point de vue pour convaincre, donc en éludant les faiblesses de ce dernier. »

    Le biais de confirmation existe. Ce n'est pas un artefact. © Kraken Images, Adobe Stock
    Le biais de confirmation existe. Ce n'est pas un artefact. © Kraken Images, Adobe Stock

    Pour Nicolas Sommet,  « il est  fort probable que les aspects cognitifs et motivationnels soient complémentaires et non exclusifs ». Il ajoute aussi que l'existence du biais de confirmation ne fait aucun doute étant donné qu'« il a résisté à la crise de la réplication qu'a subi la psychologie dans la dernière décennie. Les psychologues ont confiance en l'existence de ce biais. Par exemple, on pourrait citer l'expérience pré-enregistrée très récente de Calvillo & Thomas qui montre que les individus tendent à croire que les news qui sont congruentes avec leurs opinions politiques sont plus vraies que les news qui ne le sont pas -- c'est-à-dire que les gens de gauche ont du mal à détecter les "fakes newsfakes news" de gauche et, réciproquement, les gens de droite ont du mal à détecter les "fakes news" de droite, chacun dans sa paroisse politique, donc. »

    Autour de la notion de biais

    Il y a un autre débat, qui fait rage depuis la mise en exergue des biais cognitifs par Kahneman et Tversky : est-ce que les biais sont bien des biais ? C'est un débat qui est plus d'ordre conceptuel et sémantique mais dont il est intéressant de discuter pour mieux comprendre la suite du propos de cet article. 

    Pour Fabrizio Butera, la réponse est claire : « Non. Le biais de confirmation ne mérite pas d'être appelé biais. » Avant de continuer son explication, il nous précise tout de même que sa position est minoritaire dans la communauté des chercheurs en psychologie. « Le terme biais porteporte à confusion. Il renvoie à un tunnel de l'esprit. Cela sous-entend qu'on ne peut pas en sortir. Si vous êtes dans un tunnel, vous devez aller de l'entrée à la sortie sans faire de détour [sauf si vous prenez les issues de secours, ndlr]. Cela suppose que nous sommes tous impuissants face à la pente glissante que représente l'influence de nos biais. Pourtant, ce n'est pas ce qu'on observe socialement. Le terme biais renforce trop, à mon sens, le courant de pensée, qui décrit la confirmation comme une limitation cognitive. Même Kahneman et Tversky expliquent bien que les biais apparaissent dans des moments où notre disponibilité cognitive est limitée, pas notre cognition. Autrement dit, si je suis distrait par une tâche, que je suis préoccupé ou que j'ai des émotions négatives, je vais augmenter ma probabilité d'être biaisé. »

    Pas de consensus sur la nature ni sur les causes de ce « biais »

    Y a-t-il un consensus ailleurs que sur l'existence du phénomène de confirmation ? Apparement non. Les psychologues ne sont ni d'accord sur la nature de ce biais ni sur les causes qui le déterminent. « Il ne me semble pas qu'il y est un consensus sur la nature et les causes du biais de confirmation. Concernant la nature, les débats tournent autour de positions que nous avons déjà abordées telles que la nature cognitive, évolutionniste, motivationnelle ou situationnelle du biais de confirmation qui est celle que je défends à titre personnel. Sur les causes, l'état du débat est similaire corrélativement aux débats sur la nature du biais. En effet, si l'on pense que le biais est une limitation cognitive, on va avoir tendance à rechercher les causes dans la structure de notre système cognitif. Si l'on pense que le biais est de nature motivationnelle, on va plutôt les chercher dans la compréhension de l'utilité de l'affirmation de sa conviction. Si l'on pense que le biais est de nature pragmatique, on va chercher à expliquer le biais de confirmation par des mécanises évolutifs. Enfin, si l'on pense que le biais est de nature situationnelle, la cause est à rechercher dans les défenses que nous mettons en place lorsque nous nous sentons menacés dans un environnement compétitif, que nous ressentons une menace pour notre compétence », détaille Fabrizio Butera.

    Un environnement compétitif rend plus propice la survenue du biais de confirmation. © olly, Adobe Stock
    Un environnement compétitif rend plus propice la survenue du biais de confirmation. © olly, Adobe Stock

    Mais n'y a-t-il pas d'arguments pour départager ou au moins y voir plus clair sur les données qui soutiennent chacune de ces positions ? Heureusement pour nous, il y en a. « L'argument pragmatique est de dire que nous sommes des animaux sociaux et que nous avons besoin de communiquer car notre force, c'est le groupe. Au sein de cette communication, nous pouvons avoir des conflits d'intérêts liés aux activités du groupe telles que la distribution de nourriture, de territoire ou encore le pouvoir. Et le pouvoir ne s'acquiert pas uniquement par la force mais aussi par le fait d'avoir raison. Dès lors, cet argument suggère que le biais de confirmation aurait évolué car il confère une utilité majeure. Pourtant, on se rend compte que cette tendance n'est pas toujours efficace. Si vous devez convaincre quelqu'un qui est de votre côté, ne montrer que la position forte de votre point de vue va fonctionner. Vous allez alors polariser la personne. En revanche, face à un adversaire, si vous optez pour cette communication unilatérale, cela se traduit par un échec. Dans ce cas-là, il vaut mieux opter pour une communication dite bilatérale, c'est-à-dire, reconnaître les faiblesses de sa position mais expliquer pourquoi elle nous parait être la meilleure quand même. De plus, cette tendance à confirmer ne se produit pas dans toutes les situations mais bien dans des situations précises et avec des individus aux objectifs précis », affirme Fabrizio Butera.

    Nicolas sommet ajoute qu'« un résultat contre-intuitif est que le biais de confirmation n'est pas ou très faiblement relié à l'intelligence : les individus qui ont des habiletés cognitives élevées ne sont pas moins victimes du biais que celles et ceux ayant des habilités cognitives moins élevées. Les causes du biais semblent être davantage à chercher du côté de certaines différences personnologiques. Par exemple, les gens ayant un besoin de clôture élevé, c'est-à-dire, qui ont plus besoin d'une réponse claire lorsqu'ils sont confrontés à un problème, montrent un biais de confirmation plus fort. Un autre exemple : les gens qui ont des buts de performance élevés, c'est-à-dire qui sont motivés par le fait d'être bons (ou, au moins, de ne pas être mauvais) par rapport à autrui, montrent aussi un biais plus fort ».

    Comment réduire l'influence du « biais » de confirmation ? 

    Cette question sous-entend qu'il est possible de réduire l'influence du biais de confirmation. Il semble bien que ce soit le cas et Fabrizio Butera nous explique comment. « Si nous sommes intéressés, dans notre discussion, à découvrir la vérité, la confirmation est très préjudiciable. On sait, par des expériences antérieures, que, lorsqu'un groupe est trop homogène en matière d'idées, il prend des mauvaises décisions, surtout lorsqu'il s'agit de problèmes complexes. On explique cela par le fait que, dans de tels groupes, on ne remet pas en discussion les fondements qui font l'accord de tous. Lorsqu'on recherche la vérité, généralement, on essaie toujours de se confronter aux arguments alternatifs [cela ne veut pas dire que tout se vaut, mais que nous prenons acte des positions et des arguments opposés pour pouvoir, le cas échéant, changer d'avis, ndlr]. Pour éviter l'effet de groupe, il n'y a rien de mieux que d'avoir un avocatavocat du diable dans ce dernier, qui rappelle incessamment la possibilité qu'on puisse être dans l'erreur. En réalité, de notre point de vue situationnel, la vraie question à se poser en amont est la suivante : est-ce que nous sommes en train de raisonner dans un contexte qui a besoin du biais de confirmation pour des raisons déjà évoquées ? Dès lors, les contextes compétitifs sont propices à voir apparaitre des biais de confirmation et surtout, le plus problématique, à engendrer une retenue d'informations pertinentes qui seraient utiles pour tout le monde. Par conséquent, l'important réside dans la coopération vers un but commun et des groupes où réside une grande diversité cognitive. »

      Recherche de la vérité, but commun, coopération, diffusion des informations : autant de techniques qui permettent de contrer le biais de confirmation. © strichfiguren.de, Adobe Stock
      Recherche de la vérité, but commun, coopération, diffusion des informations : autant de techniques qui permettent de contrer le biais de confirmation. © strichfiguren.de, Adobe Stock

    Rechercher la vérité, réduire la compétition et avoir un but commun. Voilà la recette. Nicolas Sommet, souscrivant entièrement aux propos de Fabrizio Butera développe deux autres points très importants : « Le problème du biais de confirmation, c'est qu'il fait lui même l'objet d'un bais : les gens sont d'accord de penser que le biais de confirmation existe chez les autres, mais ont du mal à admettre qu’il existe chez eux aussi. Un méta-biais si on veut. Par exemple, les lecteurs qui consultent cet article vont probablement se dire que c'est complètement hallucinant que les gens soient aussi facilement dupés par eux-mêmes sans remarquer que c'est aussi et surtout d'eux et de nous-mêmes dont nous parlons. Dès lors, comme l'a déjà dit Fabrizio, l'importance du contexte pour contrer ce méta-biais est déterminante. Lorsque le contexte est propice, on peut utiliser ce qu'on nomme des techniques de décentration qui donnent de bons résultats.

    Dans certaines études, on montre à des dyades de participants une boîte dans laquelle se situe une pyramide à base carrée. Ladite boîte a deux ouvertures : une ouverture latérale et une autre située en-dessous. On demande alors à chaque participant de regarder dans une des ouvertures, puis de discuter de ce qu'il y a dans le boîte. La très grande majorité des participants ne parviennent pas à se mettre d'accord : celui ou celle qui a glissé son œilœil par l'ouverture latérale pense que la boîte contient un triangle, tandis que l'autre qui a glissé son œil par l'ouverture de dessous pense que la boîte contient un carré. Ensuite, on demande aux participants d'ouvrir la boîte et ils réalisent qu'ils avaient tous les deux tort et raison à la fois et que la boîte contient cette fameuse pyramide à base carrée. La leçon qui leur est alors donnée est qu'il faut parfois se mettre à la place de l'autre et combiner ses informations avec celles d'autrui pour atteindre la vérité. Dans leur ensemble, les études dont je parle montrent que, lorsqu'on fait faire ce petit jeu à des dyades de participants plutôt que lorsqu'on ne le fait pas, ils sont alors plus susceptibles de régler des désaccords sur une tâche subséquente de façon intégrative, sans montrer de biais de confirmation. »