Dans l'industrie, un chercheur ou un ingénieur travaille sur des catégories de tâches qui sont imputées, parfois à l'heure près, sur des contrats dont les revenus font vivre la recherche. Dans les Universités ou au CNRS c'est, plutôt qu'une journée-type, une semaine-type ou même un mois-type qu'il faudrait décrire, tant les activités sont variables selon les circonstances, en contenu et en durée. Une mission peut durer deux jours ou trois mois...
La gestion de projet occupe une part importante de l'activité des chercheurs et des enseignants-chercheurs, en géologie comme dans les autres sciences, et peut-être même encore davantage car le géologue intervient sur une chaine d'actions qui est très longue et très diversifiée :
1) au laboratoire ou lors de congrès de spécialité, la lecture d'articles et la rencontre d'autres scientifiques qui font germer des idées de projet ; la mise sur pied d'une équipe de collaborateurs qui va réaliser le projet, chacun apportant des compétences scientifiques ou techniques complémentaires
2) au laboratoire et en co-écriture avec des collègues (l'internet est pleinement exploité pour communiquer des fichiers de plus en plus nombreux et de plus en plus lourds), la rédaction du projet et sa soumission lors d'appels d'offre pour obtenir des crédits publics ou privés (se faire connaître, construire un réseau qui permet à une équipe d'être bien identifiée sur un créneau donné et par des financeurs spécifiques prend de nombreuses années)
3) au laboratoire, l'organisation administrative des opérations nécessaires à la réalisation du projet : le montage matériel des missions de terrain, l'obtention des autorisations administratives (ordres de mission, visas et accords bilatéraux pour des missions à l'étranger etc...), l'acquisition de l'équipement nécessaire (passer par des évaluations et des marchés contrôlés !), la préparation logistique...
4) en mission sur le terrain la réalisation des observations, l'installation et la mise en surveillance de l'instrumentation s'il y en a, le prélèvement, le conditionnement et l'envoi des éventuels échantillons etc... Et parfois des opérations protocolaires auprès des collègues et organismes partenaires sur place.
5) au laboratoire, de retour de mission, le dépouillement des données. Interviennent souvent à ce stade des étudiants (qui parfois étaient aussi sur le terrain) et parfois des vacataires, qu'il faut embaucher. Il faut distribuer le travail aux techniciens qui font tourner les appareils analytiques spécifiques et veiller à leur approvisionnement en consommables. De plus en plus, des ordinateurs sont présents à ce stade (modélisation), à côté des analyses chimiques ou des mesures physiques...
6) au laboratoire, la rédaction d'articles scientifiques et de rapports techniques qui feront valoir les résultats du projet et parfois serviront de base pour la rédaction d'un projet futur. Le travail est là aussi collectif, avec de nombreuses réunions de travail entre co-auteurs et l'intervention des ingénieurs et techniciens pour discuter des résultats analytiques.
7) en mission dans des congrès, la promotion active des résultats, qui donne également une visibilité à l'équipe et aux laboratoires qui ont réalisé le projet... Et la boucle est bouclée car c'est souvent dans les congrès qu'on fait des rencontres d'où sortent de nouvelles collaborations et de nouveaux projets.
C'est généralement le travail sur le terrain qui intéresse le plus le public. « Que faites-vous sur le terrain ? ». Mais il n'y a pas de réponse-type ! J'ai par exemple participé à des missions sur des bateaux océanographiques, pour prélever des sédiments ou faire des enregistrements acoustiques du fond de la mer et des couches qui sont dessous. Mais j'ai également, pour d'autres projets, fait du terrain en zone montagneuse, avec pour seuls outils un marteau, des cartes, des jumelles et un carnet ! Le coût de ces deux types de missions est évidemment très différent... mais pas nécessairement l'intérêt scientifique, comme on le verra dans le dossier.
Des activités administratives hors projet de recherche se greffent sur l'emploi du temps des scientifiques, et cela va croissant lorsqu'ils avancent dans la carrière. Il s'agit d'animer des équipes de recherche, de gérer des crédits communs, de participer à des commissions de spécialistes (pour les recrutements notamment) ou à des commissions d'audit. Pour certains, la carrière scientifique se prolonge par une carrière de décideur, dans les ministères de tutelle ou à la direction des organismes de recherche. Pour la plupart, il s'agit aussi de participer à la vie associative des sociétés savantes : être rédacteur d'un journal ou d'un magazine scientifique, écrire des rapports sur des thèses ou des manuscrits soumis pour publication, organiser des congrès ou des opérations de diffusion (comme dans le cas de la Fête de la Science), répondre à des sollicitations extérieures (comme rédiger un dossier pour Futura-Sciences), et aux personnes qui poussent la porte du laboratoire, quelles qu'elles soient, car le scientifique est là pour tous les publics.
Certains organismes ont des objectifs particuliers et donc confient à leurs personnels des missions spécifiques. A l'Université, évidemment, il s'agit d'enseigner sa discipline dans diverses filières. Au Muséum national d'Histoire naturelle, les charges d'enseignement sont moindres mais les enseignants-chercheurs ont souvent une charge de gestion d'une collection patrimoniale d'échantillons. Il s'agit d'organiser et de tenir à jour l'inventaire numérique des échantillons et leur gestion matérielle, d'en promotionner la connaissance (par des expositions par exemple, ou via des sites web qui donneront l'envie à d'autres de venir travailler dessus pour publier des résultats scientifiques ou des travaux de vulgarisation) et enfin d'accroître la collection (comme c'est le cas pour les carottes de sédiments océaniques conservées au Muséum ; ceci entrant dans les projets de recherche de la personne qui s'occupe de cette collection).
Dans ce genre de métier, on a donc une certaine liberté d'imaginer et de créer mais on est également bien souvent seul face à la contrainte de savoir-faire très divers et auxquels la formation initiale, dans les universités ou les grandes écoles, ne prépare pas. Mais la science est source de grands moments de bonheur quand elle permet d'avoir la planète pour terrain de jeu.