Une récente étude de modélisation suggère que la superpropagation du SARS-CoV-2 est ce qui le rend vulnérable aux interventions humaines non médicamenteuses comme les confinements et les couvre-feux. Pour analyser cette étude en détail, Futura a interrogé l'épidémiologiste Antoine Flahault, professeur de santé publique à l’université de Genève et directeur de l’Institut de santé globale.


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    Comment le SARS-CoV-2 se propage-t-il ? C'est la question à laquelle essaient de répondre tous les scientifiques qui travaillent sur la dynamique de la pandémie depuis sa genèse. Une nouvelle étude de modélisation, parue dans la revue Pnas (Proceedings of the National Academy of Science of the United States of America), suggère que la superpropagation du SARS-CoV-2 serait son talon d'Achille. Qu'est-ce que cela veut dire et peut-on faire confiance à cette nouvelle étude ? 

    Le SARS-CoV-2 ne se propage absolument pas comme la grippe

    Le faisceau de preuves s'agrandit pour considérer le fait que le nouveau coronavirus - qui n'est plus vraiment nouveau - se répand grâce à une part réduite de personnes qu'il infecte. Cela se traduit par son indice de dispersion qui est estimé à 0,1. À l'inverse du taux de reproduction du virus noté R, qui représente la probabilité moyenne d'infecter une autre personne, l'indice de dispersion noté K représente le rapport entre le nombre d'infections et le nombre de personnes à l'origine de ces dernières. « L'indice de dispersion du SARS-CoV est de 0,1 - ce qui veut dire que ce sont seulement 10 % des infectés qui sont à l'origine de 80 % des infections. Cet indice de dispersion est de 1 pour la grippe, ce qui se traduit par le fait que 45 % des infectés sont responsables de 80 % des infections », explique Antoine Flahault.

    La dispersion du SARS-CoV-2 n'a rien à voir avec celle d'un virus de la grippe. © NIAID-RML, Adobe Stock
    La dispersion du SARS-CoV-2 n'a rien à voir avec celle d'un virus de la grippe. © NIAID-RML, Adobe Stock

    Un faible taux de contamination au sein des familles 

    L'article des chercheurs danois du Niels BohrNiels Bohr Institute et du Département des sciences et de l'environnement de l'université de Roskilde donne des exemples sur le taux des contaminationscontaminations observées dans les familles : 17 % au Danemark, 12 % en Chine, 16 % en Corée du Sud. Ceci est une illustration du fait que l'indice de dispersion est faible. « Le taux d'attaque du SARS-CoV-2 est faible au sein des familles par rapport aux autres virus respiratoires connus. C'est une des raisons pour lesquelles les mesures de restriction comme les confinements et les couvre-feux fonctionnent », détaille Antoine Flahault.

    Dis-moi quel est ton modèle, je te dirai qui tu es 

    Cette étude de modélisationmodélisation n'est pas la première à être publiée sur le sujet. De nombreuses études basées sur le paradigme SEIR (susceptible, exposé, infecté, retiré) ont déjà été réalisées. Alors, qu'est-ce que celle-ci vient nous apprendre de plus et en quoi est-elle différente ? « Il existe trois formulations des modèles SEIR. Les modèles déterministes où vous entrez un jeu de données et où les prédictions sont toujours les mêmes. Aucune variabilité n'est permise par ce type de modèle. Ensuite, les modèles stochastiquesstochastiques qui introduisent de la variabilité en donnant plusieurs trajectoires à la propagation d'une épidémie avec des marges d'incertitude. Enfin, les modèles que l'on nomme "agent-centré", qui est celui utilisé par cette équipe danoise, précise Antoine Flahault. L'épidémiologiste poursuit : Ce sont des modèles qui s'appuient sur la technologie informatique. Chaque individu est simulé avec sa "carte d'identité" virtuelle SEIR et se balade dans l'environnement virtuel. Tout cela est basé le plus possible sur les données disponibles (constitution des familles, taille des écoles, etc.) sur la vie réelle des gens et leurs déplacements. »

    Les modèles « agent-centré » sont des modèles probabilistes qui représentent le plus finement la réalité. © petovarga, Adobe Stock
    Les modèles « agent-centré » sont des modèles probabilistes qui représentent le plus finement la réalité. © petovarga, Adobe Stock

    Ces modèles probabilistes représentent plus finement la réalité en raison de leur complexité. Mais comme tous les modèles, ils ont des faiblesses. « Le grand désavantage de ces modèles est le temps de calcul. Il faut des appareils colossaux pour faire tourner les simulations si bien que peu de réplicationsréplications sont possibles », prévient Antoine Flahault. 

    Dans leur modèle, les investigateurs ont pris une population comprenant un million d'habitants. Pourquoi ont-ils fait ce choix ? « C'est un choix arbitraire de la part des auteurs de l'étude. On peut toujours reprocher à un modèle d'être trop simplificateur mais un modèle est un miroirmiroir simplifié de la réalité, rappelle Antoine Flahault. Selon lui, un million est une échelle qui permet de couvrir une très grande partie des contacts et des interactions interhumaines dans une société. Hormis les personnalités politiques qui voyagent souvent et les grandes agglomérations telles que Paris, la plupart des gens sont ancrés dans un territoire similaire à celui modélisé par les chercheurs. »

    La clé de voûte de la lutte contre la propagation du SARS-CoV-2 : les rencontres aléatoires 

    Trois interactions majeures sont reproduites par les scientifiques dans leur simulation : les contacts proches (à la maison par exemple), réguliers (au travail ou à l'école) et aléatoires. Leurs résultats suggèrent qu'empêcher les seuls contacts aléatoires est la meilleure solution pour endiguer la propagation du virus. « L'observation que l'on fait depuis plusieurs mois sur le terrain tend à donner raison aux résultats de la simulation, affirme Antoine Flahault. La lutte se joue dans la réduction de ces contacts aléatoires qui sont plus dangereux pour la propagation du coronavirus que les contacts proches ou réguliers. C'est d'ailleurs l'objectif du confinement que de rassembler les personnes à leur domicile. De même, la fermeture des lieux tels que les barsbars, les restaurants et les salles de sport est basée sur le fait que ce sont des lieux où les rencontres aléatoires sont nombreuses. Si le SARS-CoV-2 se propageait comme la grippe, le confinement serait une grave erreur dans la gestion de l'épidémieépidémie », alerte l'épidémiologiste. 

    Les confinements et couvre-feux ont fonctionné car l'épidémie se propage peu au sein des foyers. © Dirima, Adobe Stock
    Les confinements et couvre-feux ont fonctionné car l'épidémie se propage peu au sein des foyers. © Dirima, Adobe Stock

    Combattre l'imprévisible

    En somme, ce que ce modèle suggère, c'est que pour combattre la propagation du SARS-CoV-2, il faut éviter l'inhabituel. « Diantre, ne sommes-nous pas dépouillés de la substantifique moelle de la vie si nous combattons ce qu'elle a de plus précieux à nous donner dans la rencontre imprévisible à l'autre » pourrait alors lancer un philosophe médiatique devant cette terrible nouvelle. Bien heureusement, ils ne sont pas en charge de gérer la crise contrairement à notre gouvernement. 

    Notre gouvernement, soit-dit en passant, ferait bien de prendre au sérieux cette étude. « Cet article est très intéressant et original car il creuse l'hypothèse de la surdispersion. Il confirme et permet de mieux comprendre les différences majeures entre la gestion d'une épidémie de grippe et de coronaviruscoronavirus. Une pandémie de grippe aurait pu se gérer comme ont fait la majorité des pays occidentaux avec la stratégie du "vivre avec" en faisant attention de ne pas saturer le système hospitalier. La surdispersion est mal comprise par le corps politique et cela a un impact dans les décisions qu'ils prennent et dans la duréedurée de la pandémie en Occident », s'inquiète Antoine Flahault.