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Les populations d’abeilles déclinent en France, comme dans bien d'autres pays. En vingt ans, les pertes hivernales sont ainsi passées de moins de 10 %, un seuil qualifié de « normal », à plus de 30 %. En 2012, plusieurs études ont partiellement lié cette problématique à l'utilisation de pesticides de la famille des néonicotinoïdes. Les risques qu'ils présentent ont depuis été reconnus par l'Autorité européenne de sécurité des alimentsAutorité européenne de sécurité des aliments (Efsa)). Les autorités européennes vont d'ailleurs restreindre leur utilisation à partir du 1er décembre 2013.
Dans ce contexte, Futura-Sciences a souhaité donner la parole à une apicultrice professionnelle, Sophie Masurier, du Gaec apicole de l'Estérel (Var), pour en savoir plus sur le regard qu'elle porteporte sur la situation actuelle, ainsi que sur l'écho donné au problème des pesticides. Selon elle, « il ne faut pas cultiver le catastrophisme dans les médias et ne parler de notre métier que dans ce contexte ».
Un détail qui a son importance est régulièrement oublié, car amateurs et professionnels se mélangent, mais « les apiculteurs sont des agriculteurs », nous rappelle Sophie Masurier, qui parle d'ailleurs de son cheptel lorsqu'elle évoque ses abeilles. « L'apiculture est une filière d'élevage à part entière. Nous produisons même l'un des derniers produits agricoles non transformés avant d'être vendus. [...] Comme tous les produits naturels, notre miel subit des contrôles et doit être obtenu en respectant des normes. »
En 2010, les apiculteurs français ont produit 46 % du miel consommé sur le territoire. Le reste a été importé, principalement d'Espagne et d'Allemagne. © Printemps été, Flickr, cc by nc nd 2.0
L’apiculture et la transhumance des abeilles
L'apiculture est un métier particulièrement technique. Le Gaec apicole de l'Estérel gère ainsi plus de 400 ruches qu'il faut en permanence déplacer en fonction des saisons et des floraisons. Des transhumances sont organisées pour proposer des miels différents aux clients (miel de montagne, de sapinsapin, etc.). « Nous plaçons par exemple des ruches en Ardèche, mais d'autres vont dans la Drôme ou en Isère. » La météométéo joue également un rôle prépondérant, « certaines années, comme en 2012, nous avons eu d'importantes pertes uniquement imputables à de mauvaises conditions météorologiques, [...] mais nous ne pouvons pas mettre les ruches sous serre », ironise l'apicultrice. En effet, le vent (ici le Mistral), les pluies ou les sécheresses peuvent profondément affecter le comportement des abeilles, tout comme la floraison des plantes butinées, avant même que d'autres facteurs ne puissent intervenir.
S'il ne faut pas cultiver le catastrophisme, il ne faut pas non plus sous-estimer le problème des pesticides, d'autant plus qu'il est particulièrement complexe. « Les produits phytosanitairesproduits phytosanitaires peuvent être emportés par les vents, et par exemple se retrouver dans la roséerosée qui sera bue par des abeilles, même sur des plantes qui ne les intéressent pas. Un végétal non traité peut aussi être contaminé en puisant l'eau dans le sol. Tous ces problèmes sont malheureusement découverts petit à petit, car le monde scientifique ne s'y intéresse pas assez, à mon sens. [...] Il faut aussi avouer que nous avons peu de preuves, puisque les abeilles meurent en dehors des ruches. [...] Ce dont nous sommes sûrs, c'est que l'environnement devient de plus en plus agressif. Certaines substances ont clairement été ciblées, mais il y en a d'autres. »
Tous les éleveurs d'abeilles ne sont pas logés à la même enseigne. « Nous ne sommes pas dans une région où il y a énormément d'intoxications, mais les transhumants doivent faire attention. En revanche, il y a des régions de France où l'on constate des pertes 50 % par an. Dans ce contexte, le métier d'apiculteur est difficilement viable. » Certains chiffres parlent d'eux-mêmes, le nombre d'apiculteurs, aussi bien amateurs que professionnels, a baissé de 40 % entre 2004 et 2010, soit en seulement 6 ans (selon un audit de FranceAgriMer).
Il faut plus de moyens de lutte contre le varroa
Le problème des pesticides monopolise l'attention des médias, mais d'autres difficultés affectent pourtant les apiculteurs. Le cas du varroa, un acarien parasite d’abeilles, en est un bel exemple. En effet, il pose toujours problème dans de nombreuses fermes apicoles, bien qu'il soit arrivé en Europe depuis plusieurs décennies. « Nous n'avons pas de choix de moléculesmolécules pour lutter, nous utilisons toujours les deux mêmes depuis le début, mais en alternance, pour essayer d'éviter l'apparition d’une résistance. Nous aimerions avoir des solutions pour réduire ce risque. Certains confrères utilisent des traitements biologiques, mais ils sont moins efficaces. Ils en sont à 12 traitements par an, ce qui accroît considérablement leur charge de travail. »
D'autres préoccupations existent dans certaines régions françaises (principalement dans le Sud), mais elles sont loin d'être médiatisées. Pour de nombreux jeunes, il devient tout simplement impossible de s'installer, suite à l'augmentation du prix des locaux et des terres agricoles. Cette problématique foncière n'est bien évidemment pas propre à la filière apicole, puisque tous les agriculteurs sont concernés.
Les cinq régions du Sud de la France regroupent 43 % des apiculteurs, 51 % des ruches et 52 % de la production de miel. © laurentmorand, Flickr, cc by nc nd 2.0
Des zones de référence sans traitement chimique
« L'interdiction des trois produits [clothianidine, thiamétoxame et imidaclopride, NDLRNDLR] nous soulage, mais cela ne résoudra pas tous nos problèmes. D'autres produits causent de la mortalité, seuls ou en association », nous a finalement confié Sophie Masurier. « Puisque nous avons du mal à prouver certaines choses, nous aimerions que de grandes zones de référence soient constituées durant deux à trois ans. L'usage de produits potentiellement toxiques y serait interdit, le temps de voir comment les populations d'abeilles évoluent par rapport à la situation passée. »
Sophie Masurier souhaiterait également que son métier soit mieux mis en valeur à l'avenir, que l'État encourage la recherche, notamment pour trouver des remèdes contre le varroa, et qu'il y ait plus de sécurité dans l'homologation des produits phytosanitaires. Après tout, la filière apicole est primordiale pour la pollinisation des cultures, et elle produit un aliment de qualité. Le succès de la mise en place de labels nationaux ou européens, comme l'IGP miel de Provence, en atteste. « D'ailleurs, nous sommes victimes de notre succès. À l'heure où l'État souhaite structurer la filière apicole, rappelons que la France ne produit pas assez de miel pour subvenir à ses besoins. »