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La culture scientifique devient désirable si elle n'énonce pas seulement les principes, les équations, les résultats mais nous permet de saisir les passions singulières qui les ont voulus, pensés et créés.

J'apprécie particulièrement Futura-Sciences, pour sa qualité d'abord, mais aussi parce que c'est une démarche de bénévoles. Ils n'ont rien à vendre et croient qu'il existe une certaine valeur du « gratuit ». Leurs discours, qui n'ont pas le ton quasi-publicitaire d'une certaine communication scientifique, réussissent à « re-érotiser » l'acte de connaître. Il faut les féliciter, et surtout les remercier.

Etienne Klein Octobre 2005

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Biographie

 

- Étienne Klein : Diplômes

-    2006 : Habilitation à Diriger des Recherches en philosophie des sciences. Le manuscrit produit a été publié sous le titre Le facteur temps ne sonne jamais deux fois, Paris, Flammarion, coll. « NBS », 2007 ; coll. « Champs », 2009.
-    1999 : Doctorat de philosophie des sciences sous la direction de Dominique LECOURT (Université Paris VII), obtenu avec les félicitations du jury. La thèse a été publiée sous le titre L'Unité de la physiquephysique, Paris, PUF, coll. « Science, histoire et société », 2000.
1982 : DEA de physique théorique (Université Paris XI).
1981: Diplôme d'ingénieur de l'Ecole Centrale de Paris (option physique).
1976 : Baccalauréat C, mention très bien.
 

- Activités professionnelles

2009 : Nommé Directeur de recherches au CEA
Depuis septembre 2006 : Directeur du Laboratoire de Recherche sur les Sciences de la MatièreMatière du CEA (LARSIM).
2005 : Nommé professeur à l'INSTN (Institut National des Sciences et Techniques Nucléaires)
De 1997 à 2006 : Adjoint du Directeur des Sciences de la Matière au CEA.
De 1991 à 1993 : Détaché au CERNCERN pour travailler à la conception du LHCLHC, dans le Groupe d'Etudes des Accélérateurs.
De 1983 à 1997 : PhysicienPhysicien au CEA, affecté à différents grands projets, les plus notables étant la SéparationSéparation Isotopique par LaserLaser et le collisionneur européen du CERN (LHC).

- Activités d'enseignement

Depuis 2006 : Intervenant dans le master LOPHISS de Paris 7.
Depuis 2004 : Intervenant dans le master « Simulation et ModélisationModélisation » de l'INSTN.
Depuis 1999 : Professeur de philosophie des sciences à l'École Centrale de Paris.
Depuis1984 : Enseignant de physique quantique à l'École Centrale de Paris.
1988 à 2000 : Responsable du cours de « physique des particules et accélérateurs » de l'École Centrale de Paris.

- Distinctions

2010 : Chevalier de la Légion d'honneur
2006 : Officier dans l'Ordre des Palmes Académiques.

- Prix

2010 : GaliléeGalilée et les Indiens (Flammarion) reçoit le prix Ernest Thorel (éducation) de l'Académie des Sciences Morales et Politiques.
2004 : Le Petit Voyage dans le monde des quanta (Flammarion) reçoit le prix Jean RostandJean Rostand.
2004 : Les Tactiques de Chronos (Flammarion) reçoit le prix « La science se livre ».
2000 : Lauréat du prix du Budget décerné par l'Académie des Sciences Morales et Politiques pour L'unité de la physique (PUF)
2000 : Lauréat du prix Grammatikakis-Neumann de « philosophie empirique » décerné par l'Académie des sciences.
1997 : Lauréat du prix Jean Perrin décerné par la Société Française de Physique.

- Divers

2013 : Elu membre de l'Académie des Technologies.
2008 : Commissaire scientifique (Avec Marc Lachièze-Rey et Roland LehoucqRoland Lehoucq) de l'exposition permanente de la Cité des Sciences et de l'Industrie Le Grand Récit de l'UniversUnivers.
2008 : Membre du Conseil Scientifique de l'IHEST (Institut des Hautes Etudes Scientifiques)
2005 : Membre du Comité de rédaction de la revue « l'Agenda de la pensée contemporaine » dirigé par François Jullien.
2004 : Membre de la Commission Scientifique du Centre National du Livre
2003 : Membre du Conseil Scientifique de la Cité des Sciences et de l'Industrie.
2003 : Membre du Conseil Scientifique de l'Office Parlementaire pour l'Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques.

A lire : Chez Flammarion

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Aux Editions Le Pommier

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métier

Je n'ai pas le souvenir d'avoir éprouvé, enfant, le désir de devenir physicien. Issu d'une famille nombreuse peu portée sur les sciences, je connaissais d'ailleurs à peine la signification de ce mot. En revanche, je me souviens très bien de mes premières joies intellectuelles, lorsque j'étais adolescent, au collège puis au lycée : une démonstration mathématique qui devenait soudain lumineuse ; la lecture des premières pages du Discours sur l'origine de l'inégalité entre les hommes de Rousseau qui me faisait découvrir l'argumentation philosophique… À chaque fois, c'était comme une révélation, un choc : l'émotion me faisait palpiter et courir jusqu'au frigidaire familial pour y chercher le calme d'un jus d'orange.

Comprendre, sentir la portée d'une idée, découvrir la clé d'un raisonnement, cela m'a toujours procuré un bonheur sans équivalent : j'aime que les choses me soient rendues claires. Je me souviens de certains de mes professeurs remarquables de ce point de vue : ils veillaient à ce que la lampe du jeune entendement des élèves que nous étions soit toujours remplie d'huile et brûle. Par effet de contraste, je détestais les discours fumeux. Sans le savoir, j'étais déjà disciple de Wittgenstein : « Ce qui peut se dire peut se dire clairement. »

La physique ne m'a attiré que tardivement. Au lycée, je n'étais pas à l'aise avec l'aspect expérimental des choses. Je n'ai pas le moindre don de bricoleur (Pascal, mon frère aîné, avait récupéré pour lui seul tout le capital familial) : au cours des travaux pratiques, la seule idée d'avoir à mettre sous tension un circuit électrique que j'avais monté moi-même me terrifiait, surtout après que j'eus involontairement « cramé » un oscilloscope de grande valeur. Mais j'étais bon en maths, et comme la physique nous était enseignée comme une sorte de mathématique appliquée, j'étais également bon en physique : dans les devoirs, il ne s'agissait que de poser des équations, de les résoudre, et d'encadrer le résultat en rouge.

À l'Ecole Centrale, je me suis vite demandé que faire par la suite. Tout m'intéressait un peu et rien ne m'intéressait vraiment. J'étais encore un être indéterminé. Alors je me suis cherché au travers de toutes sortes d'expériences : je suis devenu visiteur de prison, je sortais beaucoup, je m'entraînais aussi très dur au marathon, jusqu'à l'épuisement. Après deux années de classes préparatoires, je voulais découvrir l'humanité et cerner mes limites. Je lisais énormément, deux ou trois livres par semaine. J'étais très déçu par l'enseignement : trop de disciplines techniques, toutes présentées dans une perspective utilitariste, pas assez d'envol intellectuel, pas assez de « souffle ». J'ai compris que je ne serai pas ingénieur.

Mais alors, que faire ? J'ai commencé à suivre des cours de philosophie à la Sorbonne, en auditeur libre, par amour pour une jeune fille qui préparait l'agrégation (je prenais des notes pour elle). Là, je vibrais : enfin, on me parlait du monde, de la vie, de l'homme, de la pensée. Mais je sentais aussi que la philosophie s'accordait trop de degrés de liberté, que pour elle trop de systèmes étaient possibles. Les raisonnements étaient rigoureux, certes, mais il y avait toujours de l'arbitraire dans les principes. C'est à ce moment là, au cours d'un séjour à l'hôpital, qu'un ami bien inspiré m'offrit un livre merveilleux de Bernard d'Espagnat : À la recherche du réel, le regard d'un physicien. Je découvris ainsi que la physique, quand elle est prise dans son entier, avec son histoire, ses problèmes, ses personnages, est un véritable levain de culture et, surtout, qu'elle permet de faire « des découvertes philosophiques négatives », pour parler comme Maurice Merleau-Ponty, en montrant que certaines affirmations qui prétendent à une validité philosophique n'en ont pas en vérité. La physique n'est pas une philosophie, mais elle peut détruire certains préjugés de la pensée philosophique. Elle ne pose pas de concepts de droit, mais elle est capable d'inventer des biais pour pallier la carence des concepts traditionnels. Elle provoque ainsi la philosophie, s'incruste dans certains de ses débats et y joue parfois le rôle d'arbitre.

J'ai dévoré ce livre en annotant chacune de ses pages. Il m'a précipité vers les problèmes d'interprétation de la physique quantique, qui me « tiendront » pendant une bonne décennie. Pourquoi la physique quantique m'a-t-elle tant fasciné ? Sans doute parce que, plutôt que de fournir des idées toutes faites, elle montre la difficulté d'une pensée ferme et, surtout, elle permet d'apercevoir sous un jour nouveau certains horizons trop connus de la pensée.

Un second choc survint quelques mois après lecture décisive de À la Recherche du réel. À l'époque, je n'avais pas d'autre revenu que ce que me rapportaient les cours particuliers que je donnais ici ou là. C'était insuffisant pour payer le loyer de ma chambre d'étudiant. J'étais donc à la recherche d'un stage d'été bien rémunéré. Par hasard, je tombai un jour sur une affiche du CERN, le grand laboratoire européen de physique des particules, qui proposait aux étudiants de toute l'Europe des séjours d'été de deux mois à Genève : il s'agissait de suivre des cours le matin et de participer aux travaux d'une équipe de physiciens l'après-midi. Je déposai aussitôt un dossier, qui fut accepté.

Par un beau dimanche après-midi de juin, je débarquai donc au pays des banques et posai mes valises dans une résidence de travailleurs immigrés. Dès le lendemain matin, on me fit visiter les gigantesques accélérateurs de particules tapis dans les profondeurs du calme paysage bordant la frontière franco-suisse. Dans un tube métallique long de plusieurs kilomètres, gainé de blindage, des protons circulaient à une vitesse folle, proche de celle de la lumière, et venaient régulièrement percuter un autre faisceau d'antiprotons tournant en sens inverse. Bourrées jusqu'à la moelle d'énergie cinétique, ces particules provoquaient par leurs chocs l'émergence d'autres particules fugaces. D'énormes détecteurs multicolores, ronronnants et clignotants, recueillaient leurs traces. Je découvris tout cela bouche bée. Comment la physique avait-elle pu en arriver à tant de sophistication ? Pourquoi de si grosses machines pour déceler de si petites particules ? Et surtout, pourquoi ne m'avait-on jamais parlé de tout cela ? D'un coup, j'ai voulu tout comprendre de ce que je voyais.

Le premier cours de physique des particules nous fut donné par Victor Weisskopf. Ancien assistant de Wolfgang Pauli dans les années 1930, cet éminent physicien théoricien avait un charme fou, un humour ravageur et un enthousiasme de jeune homme. Il commença par nous expliquer d'un air très détaché qu'il avait passé une bonne partie de sa vie à s'interroger sur la réalité physique des objets mathématiques : avaient-ils une contrepartie dans le monde ou ne constituaient-ils que des idéalités angéliques ? N'étaient-ils qu'une invention humaine ou révélaient-ils le « fond des choses » ? Weisskopf nous avoua qu'il ne connaissait pas la réponse à ces questions.

Puis il commença son cours proprement dit, qui portait –je m'en souviens comme si c'était hier - sur le spin des particules. Au bout d'un quart d'heure, pour les besoins d'une démonstration, il fut amené à se saisir d'une craie et à tracer au tableau un repère à trois dimensions. Suivant la coutume, il représenta les axes Ox et Oy dans le plan même du tableau, puis figura l'axe Oz, perpendiculaire au tableau, par un point entouré d'un cercle, donnant l'impression que cet axe pointu jaillissait telle une flèche hors du tableau. Quelques instants plus tard, alors qu'il s'apprêtait à passer devant la figure qu'il avait tracée, lui qui était immense se baissa avec ostentation pour passer sous l'axe Oz. Une fois relevé, il se tourna vers nous pour nous souffler malicieusement : « On ne sait jamais, l'axe Oz existe peut-être vraiment ».

Pour moi, c'est avec ce gag que la messe fut dite : j'étudierai le monde de l'infiniment petit, j'enseignerai la physique d'une façon si possible vivante et originale, et je tenterai de questionner avec malice ses implications philosophiques.