Un enseignant-chercheur a quelque chose à voir avec Janus : il possède deux faces bien différenciées.
Un enseignant enseigne, c'est le moins qu'on puisse lui demander, et j'ai eu l'occasion d'enseigner la physique à tous les niveaux de l'université. Avant de se présenter en amphi, il faut bien sûr préparer le cours, ce qui constitue un investissement non négligeable.
D'autant qu'à Paris 7, on n'a pas le droit de s'encroûter, puisqu'il faut tourner tous les trois ans. Dans les universités américaines, il existe des « office hours » pendant lesquelles l'enseignant tient porte ouverte pour les étudiants éventuels. En France cela n'existe pas officiellement, mais une partie de la tâche consiste à être disponible.
Dans le travail d'enseignant, il y a plus ou moins un programme à suivre, même si on peut se permettre d'injecter des notions de physique moderne au milieu d'un cours de mécanique classique.
Dans le travail de recherche, en revanche, c'est la fantaisie complète. Il n'y a pas de programme préétabli puisque la recherche se situe aux franges de l'inconnu, là où la curiosité reste le seul guide. Bien sûr ce discours est théorique, et les idées originales ne se trouvent pas chaque jour au bureau après avoir réfléchi un bon coup. Il y a donc une routine, mais pas vraiment de journée-type. Il faut d'abord se tenir au courant de l'évolution des idées dans la spécialité. Cela est très facilité aujourd'hui grâce à Internet. Il y a encore vingt ans, chaque laboratoire du monde envoyait ses « preprints », c'est-à-dire les articles écrits par ses propres chercheurs, dans les laboratoires équivalents de la planète.
Pour se tenir au courant il fallait donc parcourir une centaine d'articles par semaine. Aujourd'hui, les publications apparaissent immédiatement sur l'écran de l'ordinateur grâce à internet ; ceci a l'avantage collatéral de réduire les frais de courrier. Entre temps, l'inflation a opéré, et si l'on voulait lire l'ensemble des articles, on y passerait tout son temps. Les idées originales peuvent venir d'une nuit d'insomnie, ou d'une promenade en forêt, et quand l'idée vaut quelque chose, il faut la mettre en musique, c'est-à-dire, faire les calculs nécessaires, mettre en forme une proposition d'expérience, pondre des demandes de subvention, défendre l'expérience proposée devant des comités. Et quand l'expérience est approuvée, il faut la construire, prendre des données, analyser les résultats. La recherche peut donc être une aventure excitante qui aboutit à des publications que d'autres liront, et la boucle est bouclée.