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Merci à Futura-Sciences de me donner l’occasion ici de parler de mon travail de chercheur aux internautes. La vulgarisation scientifique est un exercice que nombre d’entre nous, chercheurs, manions que trop rarement. Pourtant, nous avons la chance de faire un travail qui nous passionne, nous réjouis et pourrait intéresser bon nombre de nos concitoyens en dehors de nos cercles d’initiés. J’ai pris du plaisir à parler ici de mes recherches, mais aussi à lire les dossiers scientifiques de Futura-Sciences. Longue vie donc à ce site de médiation entre les scientifiques et les internautes !

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Biographie

1 – De l’agronomie à l’évolution :

--- Avant la recherche

Je travaille aujourd'hui au CNRS dans le domaine de l'écologieécologie et l'évolution, et cela correspond aux ambitions que j'avais dès le lycée. Pourtant, je fais partie des gens qui se sont retrouvés un peu « par hasard » dans une école d'agro (Montpellier) après une prépa bio. Mes études d'ingénieur agronomeingénieur agronome m'ont apportée une ouverture d'esprit vers la science appliquée qui peut-être a contribué à mon choix de développer l'outil de génétiquegénétique quantitative dans l'étude des comportements et des traits d'histoire de vie. Finalement, ma  forte motivation pour comprendre le monde biologique qui nous entoure, étudier la nature par le biais de la recherche, a rendu mon parcours d'éducation assez linéaire.

--- Thèse de doctorat- de l’écologie comportementale à la génétique quantitative

L'objet de mon doctorat (2000-2003, laboratoire du CEFE, Montpellier) a été de comprendre comment les sélections naturellesélections naturelle et sexuelle s'exercent sur les traits, en combinant des connaissances sur les pressionspressions de sélection et sur le déterminisme génétique de la variation phénotypique des traits. Le premier objectif était de comprendre le déterminisme et la variation des paternités illégitimes chez les oiseaux par une approche d'écologie comportementale et de génétique moléculaire. Le second était de connaître le déterminisme génétique de traits morphométriques (c'est-à-dire l'héritabilité) et sa variation en fonction des conditions environnementales par une approche de génétique quantitative. L'espèceespèce étudiée pour ces deux approches était la mésange bleue Cyanistes caeruleusCyanistes caeruleus qui occupe des habitats méditerranéens hétérogènes caractérisés par des régimes de sélection très différents, et qui fait l'objet d'une étude à long terme au laboratoire du CEFE, initiée par Jacques Blondel. Un éclairage particulier a porté sur le rôle de l'hétérogénéité environnementale sur les composantes de l'évolution : l'héritabilité et la sélection. Durant le travail de terrain pour ma thèse, chaque année entre deux et trois mois, j'ai développé un goût pour l'étude de la biologie in natura plutôt que dans le laboratoire.

J'ai aussi passé trois mois de ma thèse à l'Université d'Edimbourg grâce à une bourse doctorale Marie CurieMarie Curie pour apprendre les méthodes statistiques de la génétique quantitative.

Ce séjour a représenté un tournant important pour moi car il m'a ouvert sur un domaine de recherche très peu développé en France et m'a permis d'initier des collaborations très fructueuses.

Un résultat important de ma thèse a été la démonstration que l'héritabilité des caractères peut fluctuer en fonction des conditions environnementales, rendant complexe la prédiction de l'évolution des traits dans les populations. La comparaison de plusieurs populations de mésanges bleues a confirmé que l'héritabilité est un caractère propre à chaque système "population-environnement", soulignant ainsi le caractère populationnel de réponses aux régimes locaux et parfois divergents, de sélection. Ces résultats ont été confirmés par la suite par une analyse comparative d'études en milieu naturel. Par ailleurs, nous avons aussi conduit une expérience dans laquelle la qualité de l'environnement a été manipulée via la pression parasitaire dans les nids de mésange, et ce durant neuf années. Cette manipulation s'est traduite par une héritabilité de la longueur du tarsetarse significativement plus élevée dans les nichées déparasitées que dans les nichées de contrôle, du fait d'une variance génétique additive plus élevée ainsi que d'un effet environnemental plus faible. Cette étude est, à ma connaissance, le premier protocoleprotocole expérimental suggérant que l'héritabilité d'un trait chez un hôte -et donc son potentiel évolutif- peut être diminuée par une contrainte environnementale telle que le parasitisme. Son intérêt et originalité résident également dans la manipulation de l'habitat plutôt que l'évaluation de différentes qualités de l'environnement in natura, processus plus difficile et sans contrôle. Ces résultats ont ouvert des perspectives intéressantes sur l'influence des contraintes environnementales sur l'héritabilité.

--- Postdoctorat- l’étude de l’évolution en action

Au cours de mon post-doctorat à l'Université d'Oxford (Royaume Uni) financé par une bourse intra-européenne Marie Curie, j'ai continué à m'intéresser à l'évolution de traits d'histoire de vie en conservant une double approche d'écologie comportementale et de génétique quantitative, ainsi que du travail de terrain. Mon modèle d'étude était le cygne tuberculécygne tuberculé (Cygnus olor). Certaines de mes analyses ont tiré profit d'un jeu de données à long terme sur une population de cygnes. J'ai engagé une étude sur le rôle du tuberculetubercule des mâles et femelles dans les processus de compétition intra- et inter-sexuelle, ainsi qu'une étude des processus de micro-évolution sur les traits reproducteurs. Le jeu de données disponible sur cette espèce longévive m'a permis enfin d'aborder un sujet peu étudié en populations naturelles : l'héritabilité de la sénescencesénescence. L'étude de la sénescence m'intéresse encore très fortement et j'ai depuis encadré deux étudiantes (master et thèse) et un postdoctorant sur le sujet de la sénescence chez les oiseaux, projet qui nous a ouvert de nombreuses perspectives très prometteuse pour répondre à la question du « pourquoi vieillissons nous ? ».

Dans le but de comprendre comment un changement de conditions environnementales peut résulter en une évolution rapide d'un trait reproducteur, l'étude des cygnes m'a permis de montrer que suite au nourrissage des cygnes d'Abbotsbury à partir du milieu des années 70, la taille des nichées dans la colonie a augmenté en moyenne d'un demi œuf en 25 ans. Grâce au pedigree à long terme, des analyses de génétique quantitative ont démontré que cette évolution phénotypique est le reflet d'une micro-évolution génétique sous-jacente. La taille de ponte est un trait emblématique, qui, bien que sous forte sélection et héritable, est généralement à l'équilibre dans les populations d'oiseaux.

L'évolution observée chez les cygnes est très probablement attribuable au relâchement des contraintes alimentaires par le nourrissage. Nous avons donc ici un exemple probant d'évolution en action.

--- Poste au CNRS et projet futur – le défi des changements globaux

Durant la fin de mon postdoctorat à Oxford et mes trois premières années au CNRS (donc jusqu'à aujourd'hui), mon projet de recherche principal a porté sur la compréhension des mécanismes d'adaptation des oiseaux face aux changements climatiques. En particulier, j'ai travaillé sur un projet exploitant 47 années de données sur des mésanges charbonnièresmésanges charbonnières (Parus major) anglaises pour étudier leur capacité d'adaptation aux augmentations de température du fait du réchauffement climatiqueréchauffement climatique (voir dossier). Les résultats de ces travaux montrent que les mésanges présentent une étonnante plasticitéplasticité phénotypique qui leur permet d'ajuster chaque année leurs dates de reproduction en fonction de la chaleurchaleur printanière pour que le besoin maximum alimentaire de leurs poussins coïncide avec le pic d'abondance de nourriture dans leur milieu. Ce projet est maintenant étendu à d'autres populations européennes de mésanges. L'obtention d'un financement ANR pour 2009-2011 va me permettre de développer mes objectifs dans l'étude de l'adaptation aux changements globaux, en valorisant un grand nombre de jeux de données à long terme d'oiseaux et de mammifèresmammifères.

En effet, un défi majeur à relever dans les décennies qui viennent est de prévoir les conséquences des changements globaux sur les sociétés humaines et les écosystèmesécosystèmes. Mon ambition est d'étudier les multiples facettes d'une réponse aux changements climatiques (plasticité, microevolution des caractères ainsi que de leur plasticité elle-même) en intégrant les contraintes génétiques et écologiques qui peuvent agir sur ces réponses, telles que les corrélations génétiques ou le flux géniquegénique entre populations.

2 - Formation et diplômes

-- 1995 - Baccalauréat, Série S, Lycée Joffre, Montpellier.
-- 1995/97 - Classes préparatoires aux Grandes Ecoles, Mathématiques Supérieures - Biologie (BCPST), Lycée Joffre, Montpellier.
-- 1999 - Diplôme d'Agronomie Générale de l'Ecole Nationale Supérieure Agronomique de Montpellier (ENSAM).
-- 2000 - Diplôme d'Etudes Approfondies "Biologie de l'Evolution et Ecologie", Université de Montpellier II. Diplôme d'Ingénieur Agronome de l'ENSAM.
-- 2003 - Thèse de doctorat sur « Hétérogénéité de l'environnement en région méditerranéenne et évolution de la valeur sélectivevaleur sélective : paternités hors-couples et héritabilité de traits phénotypiques chez la Mésange bleue. », Ecole doctorale : Biologie intégrative, Université de Montpellier II. Spécialité : Biologie de l'Evolution et Ecologie.

3 - Postes occupés

-- 2006 - Chargée de Recherches 1ère classe au CNRS affectée à l'UMR5175, Centre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive, à Montpellier.

-- 2004/06 - Recherche postdoctorale au laboratoire 'Edward Grey Institute' (EGI), Département de Zoologie, Université d'Oxford (GB). Financement par une bourse Intra-Européenne de la Fondation Marie Curie puis une bourse BBSRC (Biotechnology and Biological Sciences Research Council).

4 - Découvrir le site de l'auteur : Anne Charmantier

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métier

Ma journée type se passe plus fréquemment derrière un ordinateur pour conduire des analyses, écrire des articles, correspondre avec mes collaborateurs, ou m’occuper de tâches administratives, que sur le terrain. Je prends beaucoup de plaisir à mener à bien ces travaux dans le laboratoire, qui demandent de la concentration, de la patience, et font rentrer en jeu des interactions avec de nombreux chercheurs, étudiants et stagiaires. Ceci dit, quelques semaines par an, durant la saison de reproduction des oiseaux, j’enfile mes habits usés de terrain, mes jumelles et tout mon petit matériel d’ornithologue et je pars « courir après les mésanges », ou parfois après les cygnes.. Comme la journée type au bureau ressemble au quotidien de nombreux de mes compatriotes, c’est plutôt la journée type de terrain que je vais illustrer ici.

Tournée des nichoirs dans la vallée du Fango, en Corse © Anne Charmantier
Depuis 1976, les chercheurs de mon labo étudient les populations de mésanges bleues méditerranéennes, avec plusieurs populations suivies sur le continent français, et en Corse. Un de mes coins préférés dans le monde a pour épicentre la maison forestière de Pirio, dans la vallée du Fango. Un petit univers indépendant qui s’ouvre sur la mer mais se ferme sur les chaînes de montagne qui en définissent son contour. Sur ce site de Pirio, ainsi que sur un autre site près du village de Muro, des centaines de nichoirs ont été posés dans les arbres pour suivre de près la reproduction des mésanges.

Un nichoir sur la station d’étude de Muro, vallée de chêne blanc en Corse
© Anne Charmantier
Une journée type sur le terrain commence généralement au lever du soleil, après un bon petit déjeuner. Nous partons ensuite sur notre site d’étude, et nous nous répartissons la « tournée des nichoirs ». Chaque nichoir est visité au moins une fois par semaine, à l’aide d’une échelle posée le long de l’arbre qui porte le nichoir. Un collègue ingénieur Philippe Perret qui travaille sur ces populations de mésanges depuis 25 ans a estimé que tous les jours, nous montons l’équivalent en hauteur d’une tour Eiffel sur notre échelle pour aller jeter un œil dans les nichoirs, et ceci est sans compter le crapahutage entre les nichoirs dans ces forêts corses. En fonction de l’avancement de la saison de reproduction des oiseaux, nous notons si les oiseaux ont commencé à construire leur nid, combien d’œufs ils ont pondu, combien de poussins ont éclos, combien de poussins se sont envolés du nid vers leur indépendance. Un élément essentiel de nos recherches repose sur l’identification unique des individus. Chaque poussin reçoit donc vers 10 jours une bague métal avec un numéro unique d’identification, et lorsque nous capturons les parents de chaque nichée, ils sont eux aussi bagués s’ils ne portent pas déjà une identification. Les adultes et les poussins sont aussi mesurés de manière standardisée, on mesure notamment la taille de leur tarse, et leur poids. Toutes les informations récoltées sur la morphologie, la démographie et la reproduction des mésanges bleues dans une dizaine de station d’études sont rassemblées dans une base de données débutée en 1976 (http://www.cefe.cnrs.fr/BDD/Mesanges_mediterraneennes_françaises.htm). Nous avons établi des règles de terrain pour minimiser la gêne occasionnée sur les oiseaux : par exemple, nous ne capturons pas les adultes après le début d’après midi pour qu’ils aient le temps de se nourrir correctement et se reposer avant la tombée de la nuit.

Une mésange bleue mâle adulte, ses plumes bleues dressées sur la tête laissent entendre qu’il n’est pas ravi d’être là et je vais bientôt le libérer © Anne Charmantier
De toutes façons, notre travail de terrain nous occupe bien jusqu’à la fin de journée, puisqu’en plus du suivi de la reproduction des mésanges dans les nichoirs, nous prenons aussi des données sur la phénologie des arbres, et des chenilles, principale source de nourriture pour les oisillons. En fin de journée, il nous faut trier les échantillons récoltés (par exemple, plumes pour des analyses de couleur, ou échantillons de sang pour les analyses génétiques) et établir le planning du lendemain. Nous profitons aussi de la gastronomie corse (Ah ! le brocciu avec un peu de sucre..) et des nuits silencieuses pour engranger l’énergie nécessaire au crapahutage du lendemain.

Les montagnes corses vues depuis la maison forestière de Pirio, dans la vallée du Fango © Philippe Perret