Les études publiées dans les journaux de référence scientifiques doivent être relues par des chercheurs bénévoles chargés d’évaluer leur qualité. Mais dans certains cas, ces chercheurs n’ont en réalité jamais relu quoi que ce soit, voire n’existent pas du tout.

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    Dans le monde de la science, on connaît depuis plusieurs années le phénomène des études bidonnées ou largement surévaluées pour faire le buzz ou répondre à un résultat prévu à l'avance. Selon les domaines de recherche, on estime qu'environ 40 % des résultats publiés dans les études sont impossibles à reproduire. Mais depuis quelques années, un autre travers et venu ajouter une pierre dans le jardin des revues scientifiques : celui de faux relecteurs.

    Ce mécanisme de revue par les pairs (appelé peer review, en anglais), où des experts donnent leur avis sur la future publication, est pourtant censé vérifier la crédibilité des articles. Mais le processus souffre de larges failles, avec de prétendus relecteurs inexistants ou très complaisants. En 2014, le cofondateur du site d'information spécialisé Retraction Watch, Ivan Oransky, alertait dans Nature sur le phénomène, citant notamment le cas d'un chercheur coréen ayant rédigé lui-même ses critiques. Pour suggérer des relecteurs aux éditeurs, il fournissait des noms de scientifiques (soit existants, soit en inventant des pseudonymes), avec de fausses adresses e-mails ou qui renvoyaient sur sa propre boîte mail. Les critiques étaient en réalité rédigées... par lui-même.

    Image du site Futura Sciences
    Plus de 600 articles ont été retirés depuis 2012 en raison de peer review biaisé. © Henadzy, Fotolia

    Des relecteurs complaisants suggérés par l’auteur de l’étude lui-même

    Au total, plus de 642 articles ont ainsi été rétractés depuis 2012 pour « faux peer review », d'après la base de donnéesbase de données de Retraction Watch. La plus grosse affaire de fraude revient à l'éditeur Springer, qui a dû retirer 107 articles publiés dans Tumor Biology entre 2010 et 2016. Soit tout de même 2 % de la totalité des articles de cette revue. Les noms fournis étaient bien ceux d'authentiques scientifiques, mais les adresses mail fournies étaient falsifiées et appartenaient aux entreprises dans lesquelles travaillaient les auteurs, le tout bien sûr dans le but de favoriser la publication de leurs articles.

    Le problème est que les éditeurs ont de plus en plus de mal à trouver des scientifiques volontaires pour relire les études. Du coup, ils demandent aux chercheurs de leur suggérer des relecteurs, sans bien vérifier la validité de ces contacts. Évidemment, l'auteur de l'article va donc en priorité s'adresser à des collègues enclins à la complaisance. Et même quand un chercheur sérieux et indépendant accepte de relire et de valider une étude, il se contente souvent de la survoler, se fiant d'abord à la réputation de l'auteur sans bien vérifier les données ou la crédibilité.

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    Pour valider leur article, les chercheurs s’adressent souvent à leur réseau, a priori plutôt accommodant. © taa22

    Faut-il rémunérer les relecteurs ?

    En 2017, une étude hautement controversée sur la surestimation du rôle de l'Homme dans le réchauffement climatiqueréchauffement climatique a ainsi pu paraître dans la revue Global and Planetary Change alors qu'elle contenait « des erreurs et des inexactitudes flagrantes », comme l'ont dénoncé certains membres du comité éditorial eux-mêmes. Les deux relecteurs, proposés par l'auteur, n'avaient « aucune autorité ni aucune expertise sur le sujet », selon une investigation menée par le journal. L'article en question n'a pourtant jamais été retiré, la revue estimant que même si le processus de peer review avait été biaisé, « aucune action contraire à l'éthique » n'avait été démontrée.

    Parfois, ce n'est pourtant pas le chercheur lui-même qui est en cause. En mars dernier, un article consigné par deux équipes, française et tchèque, publié en janvier 2017 dans la revue Reproduction in Domestic Animals, s'est vu rétracté par l'éditeur Wiley pour « processus de peer review compromis ». Dans ce cas, c'est un doctorant de l'équipe tchèque qui a envoyé de faux e-mails sans en avertir les auteurs.

    Pour remédier au problème, la première mesure à prendre par les éditeurs serait de n'accepter que des chercheurs ayant des adresses e-mail institutionnelles, et non des adresses douteuses en GMailGMail ou Outlook, prônent les scientifiques. Plusieurs revues, comme BioMed ou Plos One, ont d'autre part interdit la pratique des auteurs suggérant leurs propres relecteurs. D'autres proposent de rémunérer ces relecteurs afin d'éviter un travail bâclé. Plusieurs agences proposent ainsi une relecture indépendante moyennant un paiement de 300 à 600 dollars (à payer par l'auteur). Une hérésie selon certains scientifiques. « La relecture fait partie intégrante de notre travail de chercheur, au même titre que donner des interviews, aider des collègues ou encadrer des étudiants », argue ainsi Stephen Heard, un biologiste de l'université du Nouveau-Brunswick (Canada).