Mars a-t-elle un jour abrité la vie ? Si la réponse à cette question reste encore enfouie dans le sol rouge de la planète, une équipe de chercheurs vient néanmoins de faire une découverte intéressante. Il y a 3,6 milliards d’années, le climat martien aurait montré des alternances de saisons sèches et humides. Une caractéristique qui s’avère plutôt propice à la synthèse de molécules organiques complexes !


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    Plus le temps passe et plus les preuves s'accumulent concernant l'existence passée de mers, lacs et rivières à la surface de Mars. Ces environnements ont en effet laissé de nombreuses traces dans le paysage martien : chenaux, dépôts sédimentaires ou surfaces d'érosion sont autant de témoins qui nous indiquent que la Planète rouge a un jour présenté des conditions d'habitabilité favorables avec une présence d'eau liquide en surface, dans lesquelles la vie aurait potentiellement pu se développer.

    Molécules organiques : la difficile question de l’origine biotique ou abiotique

    Pourtant, la preuve incontestable de l'émergenceémergence d'une forme de vie, même extrêmement primitive, se fait toujours attendre, bien que les indices s'accumulent progressivement. CuriosityCuriosity et PerseverancePerseverance, les deux rovers encore en activité à l'heure actuelle à la surface de la planète, ont ainsi tous deux détecté des signatures de molécules organiques dans certaines roches martiennes. Des découvertes prometteuses et encourageantes mais qui ne sont cependant pas suffisantes pour affirmer que la vie a bien pu apparaître sur Mars il y a plusieurs milliards d'années. Car si les molécules organiques peuvent être des signatures d'une activité biologique passée, elles peuvent également avoir une origine totalement abiotiqueabiotique, c'est-à-dire avoir été formées par des réactions chimiques entre minérauxminéraux au sein d'un milieu hydraté, sans intervention d'aucune forme de vie.

    Il faudra sûrement attendre le retour des échantillons prélevés par Perseverance pour en savoir plus sur l'origine des molécules organiques détectées par le rover. © Nasa
    Il faudra sûrement attendre le retour des échantillons prélevés par Perseverance pour en savoir plus sur l'origine des molécules organiques détectées par le rover. © Nasa

    En attendant l'observation qui permettra de lever définitivement le doute sur l'origine de ces molécules, les recherches se poursuivent, notamment sur la caractérisation de l'environnement passé de Mars. Car la formation de molécules organiques complexes précurseurs du vivant nécessite certaines conditions environnementales. De l'eau liquide évidemment, mais cela est-ce suffisant pour initier et favoriser un agencement spontané de ce type de molécules ? La présence de saisonssaisons et d'une certaine périodicité dans le cycle hydrologique semble également être un paramètre important. Ces points étaient cependant encore mal contraints... jusqu'à présent.

    Des motifs hexagonaux qui en disent long sur le cycle hydrologique de Mars

    Car le rover Curiosity apporte de nouvelles observations particulièrement intéressantes réalisées dans le cratère Gale. C'est en étudiant une unité sédimentaire riche en sulfate datant de 3,8 à 3,6 milliards d'années que le rover de la Nasa a fait cette étonnante découverte. Les photographiesphotographies révèlent en effet un sol pavé de motifs hexagonaux.

    Motif fossile hexagonal dans les roches sédimentaires analysées par Curiosity au 3 154<sup>e</sup> jour de sa progression dans le cratère de Gale sur Mars. © Nasa/JPL-Caltech/MSSS/Irap/Rapin et al., <em>Nature</em>
    Motif fossile hexagonal dans les roches sédimentaires analysées par Curiosity au 3 154e jour de sa progression dans le cratère de Gale sur Mars. © Nasa/JPL-Caltech/MSSS/Irap/Rapin et al., Nature

    Tout le monde, sur Terre, a certainement déjà observé ce type de formations très géométriques que l'on appelle fentes (ou polygones) de dessiccationdessiccation, qui se forment dans les sédimentssédiments argileux de petits bassins soumis à un assèchement saisonnier. Pour l'équipe de chercheurs menée par William Rapin, l'observation réalisée par Curiosity ne serait donc rien d'autre que la preuve de l'existence passée d'un climatclimat cyclique sur Mars, caractérisé par des alternances régulières de saisons sèches et humides. L'indice de cette cyclicité serait donné par la forme des jonctions entre les polygones. Alors que des fentes de dessiccation forment initialement des jonctions en T, la répétition des assèchements va faire maturer les polygones dont les jonctions vont alors s'agencer en Y. Et c'est exactement ce qui est observé sur Mars. Des expériences menées en laboratoire indiquent de plus qu'il faut au minimum 10 cycles d'assèchement pour obtenir cette forme de polygone de dessiccation.

    Polygones de dessiccation actuels observés sur Terre avec des jonctions en Y. Le processus de formation est exactement le même que pour Mars. © Emmanuel Roquette, Wikimedia Commons, CC by-sa 4.0
    Polygones de dessiccation actuels observés sur Terre avec des jonctions en Y. Le processus de formation est exactement le même que pour Mars. © Emmanuel Roquette, Wikimedia Commons, CC by-sa 4.0

    Une cyclicité favorable à la synthèse de molécules prébiotiques

    Publiée dans la revue Nature, la découverte de cette périodicité dans le cycle hydrologique de Mars est donc particulièrement importante, et cela pour plusieurs raisons. La première est qu'elle invalide l'hypothèse que l'activité fluvio-lacustrelacustre du cratère n'aurait été liée qu'à un impact d'astéroïdeastéroïde ou à un événement volcanique particulier et ponctuel. Elle suggère au contraire des processus hydrologiques plus pérennes et durables, à l'image de ce que l'on peut observer sur Terre. Deuxièmement, l'alternance répétée de saisons sèches et humides semble être un élément essentiel pour envisager une évolution chimique prébiotiqueprébiotique. En effet, lors des événements de sécheressesécheresse, l'évaporation de l'eau va concentrer dans le liquide résiduel les éléments solubles, augmentant ainsi le taux de réactions chimiques et donc la chance d'obtenir des molécules organiques complexes comme les nucléotidesnucléotides. Il a été notamment démontré en laboratoire que les réactions de polymérisationpolymérisation nécessaires à la formation de molécules ARNARN ou ADNADN à partir de nucléotides, ou encore pour le passage d'acides aminésacides aminés aux protéinesprotéines, nécessitaient des phases de déshydratationdéshydratation. Des conditions favorisées dans le cas d'une cyclicité de périodes sèches et humides. Enfin, l'analyse chimique réalisée par l'instrument ChemCamChemCam montre que les sédiments en question sont enrichis en sulfates, des sels formant des cristaux lorsque l'eau s'évapore et ayant la capacité de piéger la matière organique et de la préserver au cours des temps géologiques.

    Avec ses lacs saumâtres, le plateau de Quisquiro (Chili) dans l'Altiplano d'Amérique du Sud pourrait être un bon analogue au cratère Gale il y a plus de 3 milliards d'années. © Maksym Bocharov, Nasa
    Avec ses lacs saumâtres, le plateau de Quisquiro (Chili) dans l'Altiplano d'Amérique du Sud pourrait être un bon analogue au cratère Gale il y a plus de 3 milliards d'années. © Maksym Bocharov, Nasa

    Un environnement favorable plus tardif que prévu ?

    Tout laisse donc penser que le Cratère Gale a pu présenter il y a environ 3,6 milliards d'années des conditions optimales pour la synthèse de molécules prébiotiques essentielles à l'élaboration de formes de vie primitives. Ces résultats indiquent, comme le soulignent les auteurs de l'article, que la période la plus favorable pour l'émergence de la vie aurait donc été autour de la transition NoachienNoachien-Hespérien. La période, plus ancienne et plus humide, du Noachien était jusqu'à présent préférée.

    Au-delà de la problématique d'une possible vie martienne, ces résultats nous permettent de mieux comprendre les conditions d'apparition de la vie sur Terre. Car contrairement à Mars, dont la surface porteporte encore des traces géologiques âgées de plusieurs milliards d'années, la tectonique des plaques terrestre a totalement effacé ces témoins de l'aubeaube de la vie sur notre Planète.