La crise de la Covid-19 et le confinement ont donné un brusque coup d’accélérateur au télétravail. Environ 27 % des salariés se sont ainsi retrouvés en télétravail entre mi-mars et mi-mai selon un sondage YouGov pour Cardiosens. Et la pratique a toutes les chances de perdurer au-delà de la crise. Alors à quoi faut-il s’attendre ? Management, temps de travail, aménagements des bureaux, inégalités… Comment faire évoluer les pratiques pour tirer tous les bénéfices du télétravail sans les inconvénients ?


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    Sans la moindre préparation, près de cinq millions de salariés ont basculé le 17 mars dernier dans le travail à distance. Malgré l'urgence et l'improvisation, l'expérience semble avoir convaincu les entreprises comme les collaborateurs qui comptent bien faire perdurer ce mode d'organisation. 85 % des DRH souhaitent développer cette pratique au sein de leur entreprise de façon pérenne selon une étude de l’ANDRH et du Boston Consulting Group et 73 % de télétravailleurs souhaitent continuer l'expérience après le confinement, de manière régulière ou ponctuelle, d'après un sondage Malakoff Humanis.

    Mais ne nous y trompons pas : cette tendance reflète un changement déjà à l'œuvre auparavant et plus bien profond. « Le télétravail n'est pas juste une transposition du travail "normal" au travail à distance », insiste Benoît Serre, directeur au Boston Consulting Group (BCGBCG) et vice-président de l'Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH). « Cela implique une véritable révolution managériale ».

    Télétravail : une question de confiance

    « L'échec du télétravail est souvent dû à un mode de management basé sur le contrôle, déplore Benoît Serre. Avec le télétravail, on ne se demande plus comment on obtient des résultats mais quels sont les résultats à l'arrivée. C'est une logique de confiance ». Pour cela, les managers doivent remettre en cause leur pratique et accepter de relâcher leur contrôle sur les salariés. Ils auront en revanche d'autres missions, comme stimuler le salarié qui travaille à distance, fixer des objectifs clairs, ou entretenir la cohésion de l'équipe.

    Mais les bénéfices à en tirer sont tangibles : 64 % des DRH s'attendent à une augmentation de la productivité et le télétravail est aussi susceptible de réduire l'absentéisme. Le baromètrebaromètre de l'absentéisme et de l'engagement d'Ayming relève ainsi que 18 % des salariés motivent leurs absences au travail par des motifs autres que de santé (12 % la situation personnelle ou familiale et 6 % l'état de santé d'un proche).

    Le bureau, lien social

    « Je ne crois absolument pas au tout télétravail, met en garde Benoît Serre. On règle plein de problèmes à la machine à café lorsqu'on discute de façon informelle ». Le bureau reste donc nécessaire à la culture d'entreprise, celle qui assure une cohésion entre tous les salariés. Le rôle du bureau s'étend d'ailleurs bien au-delà du travail. « Le bureau est le dernier endroit où tout le monde se croise, bien davantage que le quartier ou l'école. Au bureau, on est "obligé" de vivre la diversité, de fréquenter des personnes de tous âges, sexes, religions, conditions sociales et origines géographiques », atteste Véronique Bédague-Hamilius, directrice générale déléguée du Groupe Nexity. « Avec une généralisation du travail à distance, on passerait aisément d'une logique relationnelle à une logique transactionnelle. [...] Pourquoi dans ce cas ne pas construire un réseau de "journaliers" freelances activables en fonction des besoins ponctuels de l'entreprise ? » s'interroge-t-elle.

    Pour ne pas donner aux salariés le sentiment que le bureau est « inutile », il est donc indispensable de bien répartir les tâches entre ce qui peut être effectué à distance et ce qui nécessite un travail en équipe. Ainsi, la présence au bureau sera ressentie comme utile et agréable et non comme une corvée.

    Le télétravail offre plus de flexibilité, mais ne doit pas se faire au détriment de la cohésion d’entreprise. © elenabsl, Adobe Stock
    Le télétravail offre plus de flexibilité, mais ne doit pas se faire au détriment de la cohésion d’entreprise. © elenabsl, Adobe Stock

    Le temps de travail est-il devenu obsolète ?

    Le télétravail offre une flexibilité inédite aux employés : ces derniers ont la liberté d'organiser eux-mêmes leur emploi du temps. 63 % des salariés affirment ainsi préférer travailler dans une entreprise où les rythmes de travail sont flexibles selon un sondage Ipsos pour Welcome to the Jungle. Mais plus de liberté, cela ne veut pas dire « open bar », prévient Benoît Serre. Pas question de travailler la nuit et de traîner toute la journée en pyjama à regarder NetflixNetflix. « Il faut garder un minimum de cohésion, avec par exemple des heures réservées aux réunions ou des échanges organisés ». D'ailleurs, le droit à la déconnexion a récemment été ajouté dans le Code du Travail pour éviter toute dérive.

    Pour autant, la question du temps de travail semble de plus en plus surréaliste. Quel sens peuvent encore bien avoir les 35 heures quand on consulte ses courriels à 22 h et qu'on relit un dossier le dimanche après-midi ? Là encore, la logique est plutôt de s'appuyer sur le résultat plutôt que sur le temps qu'on a passé pour y parvenir.

    Télétravail : ne pas accentuer les inégalités

    « Le risque est de creuser l'écart entre les salariés qui bénéficient du télétravail et ceux qui sont obligés d'assurer une présence physique de par la nature de leur travail, avertit Benoît Serre. Pour assurer une certaine égalité, il est donc indispensable d'améliorer les conditions de travail des salariés qui font du présentiel, par exemple leur donner un plus large choix d'horaires, de jours travaillés ou réduire les nuisancesnuisances telles que le bruit ».

    Autre inégalité que le télétravail risque d'accentuer : celle entre les individus maîtrisant les nouvelles technologies et ceux moins à l'aise avec les logicielslogiciels et les ordinateursordinateurs. « Il est certain que les recrutements vont de plus en plus prendre ce critère en compte », admet Benoît Serre. Or, l'organisation d'une réunion sur Zoom ou l'utilisation de logiciels collaboratifs n'est pas donnée à tout le monde. « Le développement des compétences dans ce domaine est de la responsabilité de l'enseignement professionnel mais aussi de l'entreprise », tranche Benoît Serre.

    D'autres effets bénéfiques inattendus du télétravail sont à attendre, comme la fin des embouteillages et de la pollution, la revitalisation des zones rurales ou même... la baisse des cambriolages. Les immenses tours de bureaux sont, elles aussi, amenées à disparaître au profit d'espaces plus réduits réservés aux échanges entre les salariés. Un véritable bouleversement de la société !