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    Cette dualité entre jeux commerciaux et libres a fait l'objet de multiples analyses. En 1999, un essai de Shawn Hargreaves, alors développeur de jeux commerciaux pour consoles et de logiciels libreslogiciels libres à titre de passe-temps, explore les différences entre ces deux mondes, ainsi qu'entre le développement d'un jeu par opposition à celui d'un autre type de logiciel. Il explique notamment que le jeu vidéo se prête mal au modèle de services (payants) qui ont fait le succès du logiciel libre, notamment LinuxLinux, mais souligne aussi le fait qu'un bon jeu ne se résume pas à du code, mais nécessite un talent artistique, dont l'exploitation est difficile à concilier avec un modèle libre. "Les jeux ne sont pas programmés, ils sont dessinés", avance-t-il. Et d'ajouter : "Il est intéressant de constater que personne ne semble avoir réalisé combien les artistes et les designers sont devenus importants. Je pense que la plupart des artistes du jeu vidéo sont sous-payés, tandis que la plupart des programmeurs sont surpayés. De la même façon, il est probable que la plupart des projets OpenSource vont sous-estimer l'importance d'intégrer de bons artistes. D'une part parce que il n'y en a pas beaucoup dans le milieu du hacking et que tout le monde s'est habitué à faire sans, d'autre part car beaucoup de programmeurs n'attachent pas d'importance à l'apparence, jugée superficielle, et tirent leur fierté de leur capacité à développer des choses puissantes avec des informations purement textuelles".

    Suggérant que les entreprises commerciales auraient intérêt "à libérer le code sourcecode source de leurs moteurs de jeu, afin de laisser d'autres personnes les améliorer à leur place", il entrevoyait néanmoins de multiples pistes pour développer des jeux libres de qualité. "Il faut capitaliser sur les forces du logiciel libre en général. UnixUnix est bâti sur des protocolesprotocoles standards, une infrastructure solide et de nombreux petits morceaux qui se combinent pour donner un tout qui fonctionne. L'expérience montre que les développeurs sont bons pour construire ce genre de choses. De son côté, l'industrie du jeu est notoirement mauvaise pour créer des infrastructures et du code modulaire réutilisable".

    Quelques années plus tard, en 2003, Solveig Singleton, avocate et analyste au Competitive Enterprise Institute, faisait référence au texte de Hargreaves, soulignant son caractère actuel et démontrant que ses conseils n'avaient pas été entendus. "D'une façon générale, les jeux vidéojeux vidéo ne sont pas des 'success stories' pour la communauté OpenSource. Indrema, l'entreprise fondée il y a quelques années par NintendoNintendo et Sega pour servir de plate-forme de développement de jeu OpenSource, s'est tranquillement arrêtée. On trouve de nombreux outils libres créés par des entreprises comme Loki, qui vient de faire faillite et n'a jamais réussi à convaincre les éditeurs à s'essayer aux jeux libres. Sun a également créé un groupe dédié au jeu pour inciter les développeurs à utiliser JavaJava, mais n'envisage pas pour autant de faire des jeux libres. Pour l'essentiel, joueurs et développeurs s'accordent à dire que les jeux en OpenSource sont à la traîne derrière les jeux commerciaux, en termes d'originalité, de sophistication ou d'un point de vue artistique", résume-t-elle.

    La situation d'aujourd'hui est donc paradoxale. D'un côté on sent un réel engouement pour une multitude de jeux libres. Parmi eux figurent quelques "stars", qui pourraient prétendre à devenir de véritables succès mondiaux mais qui mettront du temps à y parvenir, faute de résoudre l'équation économique qu'ils sous-tendent. "Les donations ne couvrent qu'une faible part des coûts de développement de Nexuiz. Il faut qu'on trouve une solution pour ces coûts, notamment ceux liés aux serveursserveurs", rappelle Lee Vermeulen. De l'autre, l'industrie du jeu s'est construite sur des modèles radicalement différents - et probablement peu conciliables - avec l'OpenSource, et semble peu encline à s'y intéresser. Kevin Burfitt, développeur de jeux chez Atari, reconnaît sur son blogblog avoir déjà utilisé des briques OpenSource dans des jeux commerciaux (en les créditant comme il se doit). Mais, rappelant que "la programmation, même si elle représente un coût élevé, n'est assurément pas la partie la plus coûteuse de la création d'un jeu", il conclut que "contrairement à ce que croient les défenseurs du libre, les économies réalisables en utilisant des morceaux de code OpenSource sont négligeables". Comme le note PCPC INpact, John Carmack, cofondateur de ID Software et l'un des plus fameux développeurs de jeux vidéo, a annoncé début août que le moteur de QuakeQuake III sera bientôt rendu disponible sous licence libre GPL. Regrettant que les énormes budgets consacrés aux jeux commerciaux "empêchent de prendre des risques", Carmack espère ainsi favoriser "la créativité dans le monde du développement" et voir des entreprises commerciales créer des jeux sur la base de codes sources libres.

    Pour l'heure, les deux mondes que représentent les jeux libres et commerciaux semblent demeurer disjoints - et même, dans une large mesure, souhaiter continuer de s'ignorer.

    (Quelques ressources complémentaires : JeuxLibres.net, qui recense les jeux libres, principalement disponibles sous Linux et la rubrique consacrée au jeu vidéo de Arkius, qui traite régulièrement des jeux OpenSource. A noter également que la dernière version de FreeDuc, destinée à promouvoir l'utilisation de logiciels libres dans l'éducation, est consacrée aux jeux vidéo)