Par un étonnant retournement de situation, la technologie des tubes à vide, évincée par les transistors pour la construction d'ordinateurs de plus en plus rapides et miniaturisés, pourrait s'imposer de nouveau. Une nanoélectronique sous vide se développe ainsi en ce moment. 

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    Sur cette illustration d'artiste, on voit un feuillet de graphène au-dessus d'un semi-conducteur (bleu clair) partiellement recouvert avec un métal (vert) duquel émergent des électrons (bleu-gris), arrachés par une différence de potentiel entre ces deux composants. Il s'agit du principe d'un tube électronique miniaturisé. © University of Pittsburgh

    Sur cette illustration d'artiste, on voit un feuillet de graphène au-dessus d'un semi-conducteur (bleu clair) partiellement recouvert avec un métal (vert) duquel émergent des électrons (bleu-gris), arrachés par une différence de potentiel entre ces deux composants. Il s'agit du principe d'un tube électronique miniaturisé. © University of Pittsburgh

    Les tubes à vide ont envahi l'électronique avec l'invention de la triode en 1906 par l'ingénieur américain Lee De Forest. Pendant longtemps, les tubes électroniques dérivés ont eu une place centrale en électronique puisqu'il s'agissait des composants essentiels des récepteurs radio, de la télévision, des radars et des premiers ordinateurs de l'après-guerre. Ainsi, en 1946 aux États-Unis, l'Eniac (pour Electronic Numerical Integrator Analyser and Computer), le premier ordinateur entièrement électronique construit pour être Turing-complet (c'est-à-dire pour créer des machines de Turing car il pouvait être reprogrammé pour résoudre, en principe, tous les problèmes calculatoires), reposait lourdement sur des tubes à vide.

    Il en était de même pour la Malaia Elektronnaia Schetnaia Machina (Mesm), le premier ordinateur soviétique conçu et créé en 1950 à Kiev sous la direction de Sergei Alexeevich Lebedev à l'académie des Sciences d'Ukraine. Si l'on dit que c'est en grande partie pour simuler le climatclimat que Von Neumann fut conduit à devenir l'un des pères de l'informatique moderne, les préoccupations de Lebedev étaient tout autres. Alors qu'il participait, dans les années trente, à l'effort entrepris pour électrifier l'Union soviétique, il s'était penché sur le problème de l'automatisation de la résolution de systèmes d'équationséquations permettant d'étudier centrales et réseaux électriques. 

    Les besoins de l'électronique de l'après-guerre allaient mettre fin à la domination des tubes à vide, avec l'invention en 1947 du transistor par William Shockley, Walter Brattain et John Bardeen dans les laboratoires de la compagnie Bell. Dès 1954, cette découverte permettait la création du premier ordinateur à transistors (le Tradic) par la Bell, amorçant le développement de la seconde génération d'ordinateurs.

    De 1918 aux années 1960,  les tubes à vide se sont lentement miniaturisés. © RJB1, Wikipédia

    De 1918 aux années 1960,  les tubes à vide se sont lentement miniaturisés. © RJB1, Wikipédia

    Cependant, les tubes à vide sont loin d'avoir disparu. Ils servent notamment lorsqu'on a besoin de très fortes puissances ou d'employer de très hautes fréquences. On trouve donc encore des tubes électroniques dans des fours à micro-ondes, des émetteurs de radio, de télévision, des radars et des satellites ou pour le chauffage industriel par radiofréquence. Résistant aux impulsions électromagnétiques, ils sont également employés pour faire ce qu'on appelle de l'électronique durcie, nécessaire pour opérer sur d'éventuels champs de bataille où l'arme nucléaire serait utilisée.

    Nanotechnologie et revanche des tubes électroniques

    Paradoxalement, ce sont les besoins de l'électronique des ordinateurs et la volonté d'aller toujours plus loin dans la miniaturisation qui sont en train de faire revivre depuis quelque temps la technologie des tubes à vide. La nécessité de maintenir en vie la loi de Moore et de fabriquer des composants pour calculer de plus en plus rapidement et massivement a donc suscité depuis quelques années le développement d'une nanoélectronique sous vide. Ce qui a conduit, par exemple, à la création d'écrans à nanotubes.

    C'est dans ce courant que s'inscrit un article publié dans Nature Nanotechnology par un groupe de chercheurs de l'université de Pittsburgh. Dans le vide, ou plus exactement dans un milieu raréfié, ou encore de l'airair, le transfert d'électronsélectrons se fait bien évidemment plus rapidement que dans un solidesolide. Il était donc naturel d'examiner de nouveau la technologie des tubes à vide pour obtenir l'équivalent des transistors mais travaillant à des fréquences plus élevées. Les tubes à vide exigent cependant des différences de potentiels élevées. Il n'était donc pas possible de simplement miniaturiser des tubes électroniques pour concurrencer réellement des transistors

    Afin de contourner cet obstacle, les chercheurs ont mobilisé le graphène. Ils ont découvert qu'un feuillet de graphènegraphène placé juste au-dessus d'un semi-conducteursemi-conducteur en siliciumsilicium, recouvert d'un métalmétal ou d'un oxyde, permet l'extraction des électrons présents sous la forme d'un feuillet gazeux juste à l'interface du semi-conducteur avec le métal ou l'oxyde. Cette extraction est possible avec une faible tension et le mouvementmouvement des électrons est balistique, c'est-à-dire sans collisions sur une distance nanométrique (celle séparant dans l'air le silicium du graphène). 

    Selon les chercheurs, cela ouvre donc une nouvelle voie pour la réalisation de composants électroniques équivalents à des transistors, mais plus rapides et moins gourmands en énergieénergie.