Où l'on apprend que les experts ès nouvelles technologies du gouvernement français n'avaient pas prévu, en 1995, l'explosion de l'internet, mais qu'ils avaient bien assimilés, en l'an 2000, le fait que la "nouvelle économie" relève plus de l'économie du savoir et de la connaissance que de celle des start-ups. Les expert de 2005, eux, veulent nous faire travailler mieux, plus vieux, et voient du terrorisme partout.

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    Le rapport du Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie sur les "Technologies clés 2010" a été largement repris par la presse, qui, on le comprend, a plutôt relayé le communiqué de presse que synthétisé les 345 pages et 83 technologies-clés repérées par la centaine d'experts auteurs du rapport.

    Ce type d'exercice prospectifs valant tout autant, sinon plus, pour ce qu'ils révèlent d'une époque que pour ce qu'ils préfigurent du futur, il nous a semblé pertinent de le confronter à la lecture des deux rapports qui l'ont précédé en 1995 et 2000.

    Ainsi, le rapport sur les "Technologies clés 2005", publié en septembre 2000, relevait que "s'il est possible d'évaluer certains enjeux technologiques avec une fiabilité raisonnable, la rapiditérapidité d'évolution (...) des TIC doit conduire à une grande prudence vis-à-vis de ce type d'exercice prospectif : pour mémoire, l'étude précédente couvrant la période 1995-2000 n'avait pas décelé le phénomène majeur de cette période, à savoir l'explosion des technologies et des usages de l'Internet".

    Que sait-on prévoir ?

    Voire : s'il n'était effectivement pas question de l'internet, on trouvait déjà, parmi ces "100 technologies clés pour l'industrie française à l'horizon 2000" repérées en 1995, les biocarburantsbiocarburants, les animaux transgéniquestransgéniques, la "modification génétiquegénétique des plantes", le séquençageséquençage de l'ADNADN et la thérapie géniquethérapie génique, mais aussi les algorithmes de compression et de décompression de l'image et du son, les architectures client-serveurarchitectures client-serveur, les échanges de données informatisés et les écrans plats, l'"ergonomie autour de l'écran et du clavier", la gestion de réseaux "intelligents" et les images de synthèse, les mémoires flash et les réseaux neuronaux, la reconnaissance vocalereconnaissance vocale et des formes, les serveurs vidéo pour TV interactive et les systèmes à base d'"agents" intelligents, les étiquettes électroniques et les capteurscapteurs intelligents, la "fibre optiquefibre optique jusque chez l'abonné", ou encore la "robotiquerobotique en milieu hostile".

    Les techno clefs en 1995

    On y lisait également que le succès mitigé des applicationsapplications multimédias "laisse penser qu'un tel marché n'est pas mûr et que l'expression claire d'un besoin par le grand public fait encore défaut. Il n'est pas impossible que le manque d'imagination des concepteurs d'applications soit en cause". En l'espère, Napster fut lancé en 1999, avec le succès et les conséquences que l'on sait.

    2000 : l'émergence des usages

    Dans sa préface du rapport 2005 publié en l'an 2000, Christian Pierret, alors secrétaire d'État chargé de l'Industrie, notait pour sa part qu'"un nouveau champ émerge : celui des "technologies molles", qui portent la nouvelle économie du savoir et dans lesquelles les facteurs humains retrouvent la première place. En d'autres termes, la seule maîtrise scientifique d'une technologie n'est plus suffisante. (...) Ce sont des approches pluridisciplinaires, dans lesquelles les sciences sociales tiendront une place grandissante, qu'il nous faut promouvoir".

    Relevant "le besoin d'être en permanence relié aux autres et à l'information (qui) se traduit par une utilisation massive des nouvelles technologies de l'information et de la communication", le rapport, qui parlait alors des Tatoo et du concept de "tribu", notait à juste titre que "les plus jeunes vont être de plus en plus sollicités par les opérateurs de téléphonie mobilemobile", et que "les objets communiquants ne peuvent donc que se développer".

    Vers une "économie fondée sur la connaissance"

    Mais c'est sur ce que le rapport, rédigé alors que la bulle internet allait exploser, qualifiait de "nouvelle forme de pensée unique annonçant la naissance d'une « nouvelle économie »" qu'il s'avère le plus pertinent.

    Schématiquement, nous suggérons d'identifier trois étages dans la « fusée nouvelle économie ». Le premier étage est composé de la « net-économie ». Il est le plus visible (…) il n'en constitue pas moins la couche sans doute la plus superficielle des transformations associées à la nouvelle économie.Le deuxième étage de la fusée correspond à l'ensemble des technologies de l'information et de la communication (les TIC). Les effets de la diffusion de ces technologies (…) mènent à une transformation radicale de la manière de produire, de distribuer et de consommer les richesses. Cette grappe technologique constitue le facteur clé d'un nouveau « paradigme techno-économique », d'un nouveau régime de croissance.Le troisième étage de la fusée ­ probablement celui qui propulse l'ensemble ­ est beaucoup plus abstrait. Il correspond à l'idée que les moteurs de la croissance économique, ainsi que les ressorts de la compétitivité des entreprises, ont progressivement évolué au cours des dernières décennies au profit de fondements « cognitifs ». (…) Interpréter la nouvelle économie comme une « économie fondée sur la connaissance » revient à reconsidérer nombre de nos catégories d'analyse et à donner aux mutations en cours une signification et des implications beaucoup plus fondamentales que la simple mise en réseau des acteurs au moyen d'Internet.

    Comment travailler mieux, plus vieux

    Mais venons-en au rapport sur les technologies clés 2010. Les 83 technologies clés identifiées comme les plus importantes pour 2010 sont réparties en 8 grands défis :

    • les problèmes de sécurité liés au contexte géopolitique ;
    • le changement climatiquechangement climatique ;
    • la ressource en eau ;
    • les défis énergétiques (production et maîtrise de la consommation) ;
    • la disponibilité des matièresmatières premières ;
    • le vieillissement démographique ;
    • l'emploi et la compétitivité économique.

    Les volets "sécurité" et "emploi" sont probablement ceux qui comportent le plus de technologies de type NTICNTIC, ceux qui, en tout cas, offrent des persectives les plus marquantes.

    Évoquant les déséquilibres actifs-inactifs et cotisants-retraités, et donc le fait que l'équilibre des retraites est menacé, le rapport évoque le fait que "certains voient la promesse de la fin du chômage" dans la mesure où, "en moyenne, environ 40 % de la population active française, si les âges de départ à la retraite restent inchangés, devraient quitter leur emploi dans les dix ans, y compris les dirigeants de PME". À défaut de savoir en quoi les nouvelles technologies pourraient contribuer à lutter contre le chômage, elles pourraient clairement permettre aux gens de travailler bien plus longtemps.

    C'est pourquoi il conviendrait, selon le rapport, de se focaliser sur les interfaces homme-machine, de mettre l'accent sur les outils de travail collaboratif, le web sémantiqueweb sémantique et les méthodes et outils de co-conception, et d'accentuer l'effort de "formation tout au long de la vie non seulement pour permettre à la partie la plus âgée de la population active de rester en activité, mais aussi (pour) permettre à l'ensemble de la population active de changer de type d'emploi en cours de carrière et de s'adapter plus aisément aux restructurations de l'appareil productif". L'amélioration des conditions de travail tout comme l'effort de formation visent ainsi au "maintien en activité" des quadragénaires, mais aussi à leur réorientation professionnelle, l'un des problèmes les plus aigus étant celui du "remplacement des personnes partant à la retraite", un autre étant celui des "coûts salariaux qui, tant qu'ils demeurent directement liés à l'ancienneté, risquent d'augmenter corrélativement".

    DRM, Airbag et RFID : une question… d'anti-terrorisme

    Le rapport, qui rappelle en conclusion qu'ont été mises de côté certaines technologies ayant trait à la défense nationale et à la recherche militaire, estime qu""après la disparition de l'Empire soviétique, la montée en puissance du terrorisme a bouleversé l'ordre mondial. Des moyens sommaires, voire archaïques peuvent constituer des armes et mettre en danger des sociétés occidentales modernes. La maîtrise des technologies permettant de les contrer préventivement ou d'en atténuer les conséquences est un enjeu majeur pour les sociétés potentiellement visées". Propos bien dans l'airair (sécuritaire) du temps, mais qui contrastent pourtant étrangement avec le contenu de la liste des "technologies clés concernées par le défi de la sécurité".

    On y trouve en effet les infrastructures et technologies pour réseaux de communication « diffusdiffus » (ou connectivité permanente, en situation de mobilité, en GSMGSM, UMTSUMTS, 3G3G, 3.5G5G, 4G4G, bluetoothbluetooth, ZigBeeZigBee, WiFiWiFi, WiMaxWiMax, MBWA, WWan, DVH-B, ISDB, S-DMBS-DMB...), la gestion et diffusiondiffusion des contenus numériquesnumériques, l'infrastructures routières intelligentes, la sécurité active - et "passive" (airbagsairbags, ABSABS, etc.) - des véhicules, les liaisons de donnéesliaisons de données véhicule-infrastructure, les systèmes aériens automatisés, les technologies d'authentificationauthentification, la traçabilitétraçabilité, la sécurisation des transactions électroniques et des contenus, le contrôle de procédés par analyse d'image, les capteurs intelligents et le traitement du signal, et l'ingénierie des systèmes complexes...

    Ces technologies n'ont que de très lointains rapports avec la lutte anti-terroriste, sauf à penser qu'elle revient à tout "sécuriser", contrôler et surveiller, des contenus numériques "DRMisés" aux transports routiers "intelligents" en passant par les flux de données, qu'il convient de tracer et d'analyser, y compris lorsqu'il s'agit d'images (probablement vidéosurveillées). Serait-ce à dire que la lutte contre le terrorisme serait soluble dans le contrôle des individus, et de leurs données ? Si la sécurité est effectivement l'un des principaux enjeux des réseaux et technologies du futur, pourquoi la présenter sous le seul angle de l'anti-terrorisme ? Et quid de la protection des données personnelles, du dossier médical personnel, de l'administration électronique et de l'identité numérique, dès lors que nos données seront, non seulement de plus en plus surveillées, mais aussi de plus en plus contrôlées, à distance, par des processus dont nous ne serons pas maîtres ?

    En aparté

    Dans un autre registre, le rapport, évoquant l'intelligenceintelligence ambiante (ou ubiquitous computing), rappelle qu'"après le mainframemainframe (un ordinateurordinateur, plusieurs utilisateurs), après le PCPC (un ordinateur, un utilisateur), nous sommes entrés dans la troisième ère : un utilisateur, plusieurs ordinateurs « enfouis » dans le quotidien (téléphone, réfrigérateur, voiturevoiture, etc.) et dans le contexte professionnel. L'informatique devient alors invisible, ce n'est plus l'homme qui doit s'adapter à l'ordinateur, mais l'ordinateur qui doit s'adapter à l'homme. L'accès à l'usage doit être autorisé partout, quels que soient la circonstance, le lieu, l'équipement. De fait, l'interaction avec les équipements et les fonctions intelligentes doit être naturelle. Il faut inventer de nouveaux paradigmes pour réduire le « gapgap sémantique », écart qui sépare la représentation mentale humaine de la représentation objective de la machine. Les systèmes quant à eux deviennent « sensibles au contexte ». Ils peuvent découvrir et utiliser des informations contextuelles telles que la localisation de l'utilisateur, la date et l'heure, la proximité d'autres utilisateurs et d'autres dispositifs informatiques, les possibilités de connexion à un ou plusieurs réseaux, la bande passantebande passante réseau disponible, le niveau de bruit ambiant, etc. (...) Le plein essor de ce domaine est attendu à horizon 2020. À plus court terme, les systèmes et les utilisateurs doivent apprendre à se compléter, les technologies à les y aider".

    Encore qu'il faudrait peut-être aller encore plus loin en matière d'adaptation des ordinateurs à l'homme, la question étant aussi de savoir comment, et jusqu'où, deviendront-ils invisibles et diffus dans notre environnement, ce qui, pour Jean Michel Cornu, directeur scientifique de la Fing et auteur de "Internet, tome 1 : les technologies de demain", va probablement devenir une question majeure des années à venir, comme l'internet le fut dans la période 1995-2000. Pour que les réseaux deviennent invisibles il faudrait ainsi développer l'autonomous computing, l'Intelligence ArtificielleIntelligence Artificielle Evolutive (IAE) et, considérant que le réseau sort de l'écran, l'intelligence ambiante, le fait que less objets quotidiens seront "intelligents" et connectés, la smart dust, les robotsrobots mais aussi les imprimantes 3D, qui pourraient questionner l'économie des biens matériels comme l'internet a questionné l'économie des biens immatériels.