Faut-il avoir peur de la reconnaissance faciale, une technique qui se perfectionne et qui fonctionne désormais à grande échelle ? Oui, nous dit Benoît Lefèvre, un commentateur attentif des avancées du numérique, qui détaille les réalisations en développement dans le monde.

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    Shenzhen Chine, prospère voisine de Hong Kong. Chen vient de traverser la rue au rouge. Il est repéré par une caméra de vidéosurveillance équipée d'un logiciel de reconnaissance faciale de la start-up chinoise SenseTime. Son nom apparaît immédiatement sur des écrans géants, jeté en pâture à la vindicte populaire. Il y restera jusqu'à ce qu'il se soit acquitté de son amende. Je vous propose une plongée dans l'universunivers glaçant des technologies de reconnaissance faciale.

    Roissy Aéroport. J'ai hâte de rentrer à la maison après un long voyage. Il y a malheureusement 45 minutes d'attente pour franchir le contrôle des passeports. Je pestepeste contre notre pays archaïque. Mais cela, c'était avant. Depuis début juin, vingt portails de reconnaissance faciale ont été installés à Roissy. L'opération est simple : avant le sas, vous posez la photo de votre passeport sur un lecteur. Vous avancez ensuite dans le sas qui scanne votre visage et le compare à celui du passeport grâce à son système de reconnaissance faciale. Quinze secondes après, le tour est joué. Vous pouvez passer.

    La reconnaissance faciale permettra suivant le même principe de faciliter de nombreuses opérations du quotidien. Adieu la carte de crédit pour retirer de l'argentargent au distributeur. Il reconnaîtra votre visage. Adieu le code pour allumer votre téléphone. Il reconnaîtra son maître... Adieu le badge pour rentrer dans votre entreprise, que vous perdez régulièrement... Et puis en vous reconnaissant, on peut vous proposer instantanément des publicités sur mesure. En Chine, où l'on ne s'embarrasse pas trop avec la protection des données personnelles, toutes ces applicationsapplications font déjà partie de la vie quotidienne.

    En 2016, une quarantaine de panneaux publicitaires numériques ont été installés le long d’un tunnel menant à l’aéroport Billy Bishop de Toronto, au Canada. Équipés de caméras et d’un logiciel de reconnaissance faciale, ils peuvent déterminer le sexe et l’âge de la personne qui les regarde et mesurent la durée pendant laquelle elle fixe l’écran. © Black, SignMedia

    En 2016, une quarantaine de panneaux publicitaires numériques ont été installés le long d’un tunnel menant à l’aéroport Billy Bishop de Toronto, au Canada. Équipés de caméras et d’un logiciel de reconnaissance faciale, ils peuvent déterminer le sexe et l’âge de la personne qui les regarde et mesurent la durée pendant laquelle elle fixe l’écran. © Black, SignMedia

    L'intelligence artificielle révolutionne la reconnaissance faciale

    Nous sommes déjà familiers depuis plusieurs années avec les technologies de reconnaissance faciale. Je me souviens m'être bien amusé avec le logiciel de photos Picasa qui repérait les principaux visages et permettait de regrouper facilement les photos en fonction des personnes présentes. C'est aujourd'hui de la préhistoire et, d'ailleurs Picasa a disparu, devenant Google Photos.

    Les technologies d'intelligence artificielle et de deep learning sont arrivées. Elles permettent de changer les voix et les visages sur une vidéo. Vous ne serez donc pas surpris qu'elles permettent également une amélioration sans précédent des technologies de reconnaissance faciale. Jusqu'à présent, la reconnaissance faciale fonctionnait bien avec des visages statiques. Avec l'intelligence artificielle, les caméras reconnaissent aussi des individus en mouvementmouvement, en train de marcher ou au volant de leur véhicule, sur des vidéos comme sur des photos.

    Les Chinois sont à la pointe dans ce domaine. En avril dernier, la jeune start-up chinoise SenseTime annonçait une levée de fonds de 600 millions de dollars (521 millions d'euros) devenant ainsi l'entreprise d'intelligence artificielle la plus valorisée au monde. Elle a récidivé cet été avec l'annonce de l'injection d'un milliard de dollars par le japonais Softbank.

    La Chine a équipé massivement ses rues de 170 millions de caméras de vidéo-surveillance. Elle compte tripler ce chiffre dans les cinq ans à venir. L'État chinois dispose d'une base de données complète de photos des citoyens chinois. Restait le chaînon manquantchaînon manquant permettant de connecter à grande échelle ces caméras et cette base de données. C'est ce à quoi travaille SenseTime avec ses logiciels rendant les caméras intelligentes et ses solutions big databig data pour traiter la massemasse de données générées par les caméras.

    En Afrique, des drones de surveillance sont utilisés dans la lutte contre le braconnage. Sur les images infrarouges capturées par les caméras embarquées, les braconniers, dans le rectangle blanc, sont à peine discernables. © <em>University of Southern California</em>, Elizabeth Bondi <em>et al.</em>, 2018

    En Afrique, des drones de surveillance sont utilisés dans la lutte contre le braconnage. Sur les images infrarouges capturées par les caméras embarquées, les braconniers, dans le rectangle blanc, sont à peine discernables. © University of Southern California, Elizabeth Bondi et al., 2018

    La surveillance des citoyens se généralise dans le monde

    Ce système de surveillance de masse se développe en Chine suivant le même modèle que les systèmes de notation sociale à travers une collaboration entre l'État chinois et des entreprises privées. Étonnante alliance entre le parti communiste chinois et des entreprises qui ressemblent aux start-ups de la Silicon ValleySilicon Valley...

    Tout cela n'est donc plus de la science-fiction. Mais, dira-t-on peut-être, la Chine n'est pas la France et cela n'arrivera pas chez nous en Occident. Pas si simple. Nos rues sont déjà équipées de caméras de vidéo-surveillance et la menace terroriste renforce la demande de sécurité.

    Les technologies de reconnaissance des visages vont nous mettre devant un choix de société

    Aux États-Unis, les GAFA s'activent sur ce sujet. AmazonAmazon commercialise Amazon Rekognition, son logiciel de reconnaissance faciale s'appuyant sur l'intelligence artificielle. Ses fonctionnalités ressemblent à s'y méprendre à celles des logiciels de SenseTime. Ce logiciel suscite la controverse aux États-Unis. La puissante association ACLU (American Civil Liberties Union) dénonce les risques de dérive dans l'utilisation par les polices locales d'Amazon Rekognition.

    Au mois de juillet, Brad Smith, le président et directeur des affaires juridiques de MicrosoftMicrosoft, mettait en garde dans un long  article sur les risques de dérive des systèmes de reconnaissance faciale. Il alertait notamment sur les énormes problèmes qu'elles posent pour la liberté individuelle et appelait solennellement l'État américain à légiférer de manière urgente sur le sujet. En France, l'utilisation de la reconnaissance faciale pour le compte de l'État nécessite à ce jour d'être autorisée par un décret pris en Conseil d'État, après avis favorable de la Commission nationale de l'informatique et libertésCommission nationale de l'informatique et libertés (Cnil).

    Les technologies de reconnaissance des visages vont donc nous mettre rapidement devant un choix de société. Nous avons déjà accepté sans broncher que nos smartphones nous tracent. Abandonnerons-nous un nouveau pan complet de notre liberté individuelle contre un supplément de confort au quotidien et plus de sécurité collective ? L'Europe semble condamnée à subir ce choix tant la maîtrise technologique lui a échappé. Affaire à suivre. Le débat ne fait que commencer.

    Benoît est cadre dirigeant dans un grand groupe industriel dans les domaines commerce et marketing. Passionné de notre monde contemporain, il a créé le site Étonnante époque.