On le savait, le “web 2.0″ ne se définit pas vraiment par un degré ou un type particulier d'innovation technique. Il se comprend plutôt comme une plate-forme de services, c'est-à-dire une floraison d'outils censés donner du choix et du pouvoir à l'utilisateur en réseau.

au sommaire


    Mais voilà, avec le temps, le web 2.0 ressemble de plus en plus à un catalogue de la Manufacture d'armes & cycles (vous ne connaissez pas ? C'est un morceau d'histoire de France), proposant des collections toujours plus vastes d'outils aux capacités toujours plus innovantes et en même temps, à la longue, de moins en moins différenciantes - si ce n'est le nombre d'utilisateurs, qui donne une dimension particulière à certains services. Un catalogue dans lequel l'internaute est censé devoir puiser, avec plus ou moins de liberté (choisissè-je un service pour ses qualités propres, ou bien mes proches m'imposent-ils de fait celui qu'ils utilisent ?) et dont l'agrégation du choix final, numériquement valorisé, est à la source de toute une "nouvelle nouvelle économie".

    On finit par se perdre dans la redondance de ces services. On utilise les outils du web 2.0 comme on utilise plusieurs logiciels de messagerie instantanée (parce que les enfants sont sur MSNMSN, les relations de travail sur SkypeSkype et les amis sur Google TalkGoogle Talk...). Et nous voilà contraint de surfer entre DelDel.icio.us, Furl, Blogmarks et StumbleUpon pour gérer nos signets, entre Yahoo, FlickR, Fotolia et autres 8116, pour nos photos, entre Zoho, Writeboard, Google Spreadsheets pour nos documents partagés... Nos réseaux sociauxréseaux sociaux nous imposent leurs services et ceux-ci nous imposent leurs contraintes, en pleine connaissance de cause : il s'agit, d'une part, que nous attirions à notre tour nos relations dans leurs filets et d'autre part, de rendre la migration vers des services concurrents plus difficile.

    Image du site Futura Sciences

    Comme le remarquait déjà Karl Dubost, fleurissent ainsi sur les sites des bataillons d'icônes, "comme autant d'épaulettes de haut gradé militaire à la plus belle période de la guerre froide". Nous sommes sollicités par une redondance d'outils entre lesquels il devient impossible de prendre son parti. Où l'utilisateur doit faire son choix, son marché, son ménage, au petit bonheur la chance.

    Et dire que naïvement, nous pensions que l'internet et le web tiraient leur force de l'interopérabilité. Et dire que nous pensions que le web 2.0 était "centré sur l'utilisateur"...

    Pourquoi donc devons-nous nous déclarer à tous ces services, totalement redondants entre eux ? Pourquoi dois-je utiliser trois outils différents de "signets sociaux" plutôt qu'une plate-forme fondée sur un standard commun, dans laquelle tous les services viendraient puiser pour permettre à ceux qui constituent mon réseau de suivre mes signets quelle que soit la plate-forme qu'ils utilisent ? On se croirait revenus aux premiers temps de l'informatique, quand un texte écrit sur Mac ne s'ouvrait pas sur un PCPC et vice versa !

    Le web 2.0 qui fait ses gorges chaudes des web services, n'a cure de l'interopérabilité. Le web 2.0 qui se gargarise de décentralisation, n'a, la plupart du temps, que le souhait de centraliser vos données dans ses services.

    On devine bien que cela ne tiendra pas longtemps comme cela. Que passé l'enthousiasme des premiers utilisateurs, il sera plus difficile de convaincre des particuliers, des entreprises ou des services publics de se mettre à ce modèle - malgré ses indubitables avantages.

    Prenons l'exemple d'une collectivité territoriale désirant constuire un système d'information géographique (SIG) dans lequel ses partenaires, voire tout un chacun, pourraient venir piocher et déposer des données. Sur quelle base bâtir le service ? Un service "web 2.0″ tel que Google Maps (comme le propose Comité touristique de la Vendée), Yahoo! Maps, ou Windows Live Local de MicrosoftMicrosoft ? Le GéoportailGéoportail de l'IGN ? Faut-il bâtir 4 services ? Sur quels critères ? Celles des fonctionnalités existantes ou celles de fonctionnalités qui se transforment sans cesse et sur lesquels nulle n'a une vision précise à court ou moyen terme ? Comment mesurer les avantages et inconvénients de chaque solution ?

    Comment même décider d'investir, alors que le kriegspiel entre les acteurs du web 2.0 ne permet à personne de prévoir comment évolueront les fonctions de chaque service, lequel fédèrera le plus grand nombre d'utilisateurs, ce que deviendront nos données et quel usage il en sera fait ? La collectivité doit-elle développer sa cartographie ad hoc, même si elle ne pourra jamais suivre le coût d'innovation que cela suppose et que ces géants sont capables d'y mettre ? Comment motiver le choix - et donc le coût - d'un service plutôt que d'un autre ? Sans compter que si le choix s'avère mauvais - par manque d'innovation technique ou par manque d'utilisateurs de la plate-forme -, cela nécessitera-t-il de tout jeter et tout recommencer ?...

    Nous le disions déjà il y a plusieurs mois : il est temps pour le web 2.0 de grandir un peu.

    Par Hubert Guillaud