Gilles Klein, rédacteur en chef de Pointblog.com, le premier - et le seul ! -, blog professionnel d'information sur les blogs, explique à Futura-Sciences sa vision de ce phénomène de société.

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    Portrait de Gilles Klein, rédacteur en chef de Pointblog

    Portrait de Gilles Klein, rédacteur en chef de Pointblog

    Futura-Sciences : Combien existe-t-il de blogs en France ?

    Gilles Klein : Question piège. Les estimations varient trop d'une source à l'autre. Et il faudrait distinguer les blogs actifs, alimentés régulièrement, des blogs ouverts et abandonnés au bout d'une semaine ou d'un mois. Une récente étude Forrester estime le nombre de blogs actifs en France à 985 000. Cela ne serait déjà pas mal. A partir de quel rythme de mise à jour peut-on considérer un blog comme actif ? Quotidien, hebdomadaire, mensuel ? Les chiffres autoproclamés, ainsi que les confusions de certaines enquêtes qui baptisent "blog" toutes les formes d'expression individuelle sur Internet pour mettre artificiellement en valeur le blog comme un nouvel outil magique du marketing viral, ne facilitent pas une vision lucide de son impact.

    FS : Peut-on dire qu'il faut encore faire un travail d'évangélisation en France sur les blogs ou bien ce média est-il connu de tous ?

    Gilles Klein : Connu de tous ? Je ne sais pas. Mais, après l'autoflagellation de la France figée dans l'époque du Minitel, nous sommes désormais dans l'excès inverse, il y a une blogmania dans les médias depuis le début de l'année 2006. Du coup, la France est présentée comme le "leader européen". Pourquoi pas, mais encore faudrait-il savoir si on parle de l'Europe limitée à 5 pays (une étude le fait), à 7 pays (une autre étude) ou à 25 pays ? Technorati nous ramène sur Terre en ne trouvant que 2 % de billets publiés en français (donc en incluant la Suisse, la Belgique et le Quebec). Même si les skyblogs sont mal pris en compte, on est loin de la France "deuxième pays du monde pour les blogs", alors que les Etats-Unis ou la Chine sont loin devant, sans compter le Japon ou la Corée et toute la "blogosphère" hispanique. Entre cette blogomania qui surestime le nombre et l'influence des blogs, et Technorati qui essaie de mesurer de manière imparfaite, il y a un espace à remplir avec des études limitées et sérieuses.

    Bref, beaucoup de gens ont sans doute entendu parler de blog, mais ils sont moins nombreux à savoir ce qu'est vraiment un blog. Peu importe. Les médias en parlent régulièrement, (comme je le fais moi-même dans la presse écrite, puisque je continue à y écrire, parallèlement à Pointblog, c'est un thème que je traite quelquefois), ceux qui veulent en savoir plus, ne manquent pas de sources d'information.

    Près d'un million de blogs valaient bien un blog…

    Près d'un million de blogs valaient bien un blog…

    FS : Existe-t-il des équivalents de PointBlog dans d'autres pays ?

    Gilles Klein : Pointblog a un positionnement un peu particulier, je ne connais pas d'équivalent dans d'autres pays, mais je reste prudent.

    FS : Quelles raisons vous ont-elles poussé à créer ce blog sur les blogs ?

    Gilles Klein : Cyril Fievet (créateur du premier webzine français, j'avais eu le plaisir de travailler avec lui il y a une dizaine d'années) et Emily Turretini lancent Pointblog en 2003, bénévolement. La présentation, en haut à gauche de la home page, répond à votre question : "pointblog.com est un blog consacré au phénomène des blogs et de l'expression des individus sur Internet. Destiné aux néophytes aussi bien qu'aux blogueurs avancés ou aux simples observateurs, il a pour but d'éclairer sur l'importance et l'ampleur de cette évolution essentielle de l'Internet d'aujourd'hui".

    Mi-2005, Pointblog devient une SARL et tente la professionnalisation. Le rythme de parution passe de 15 ou 20 informations par mois à une soixantaine. Je commence à contribuer à un rythme soutenu, tandis que Cyril s'investit dans le projet du magazine Netizen sur papier qui s'arrêtera au bout de trois numéros. Il me choisit comme rédacteur en chef, avant de quitter, plus tard, Pointblog en 2006, à la suite d'un désaccord avec son associé, le gérant de la SARL éditrice, Christophe Ginisty. Patron d'une agence de relations publiques, celui-ci me laisse une totale indépendance, et n'intervient jamais dans la rédaction. Journaliste professionnel, responsable du contenu, j'apprécie cette autonomie. Nous espérons tous les deux que les ressources publicitaires permettront d'équilibrer le budget de Pointblog (ce n'est pas le cas pour l'instant malgré un certain succès) que j'ai voulu transformer en un quotidien en ligne, 7 jours sur 7 toute l'année, avec environ 120 informations par mois. Sont-elles pertinentes ? Rendent-elles compte, même maladroitement, du foisonnementfoisonnement actuel ? A chacun de juger. C'est une aventure fragile, originale et passionnante.

    FS : Comment sélectionnez-vous les blogs dont vous parlez ?

    Gilles Klein : Il y a des blogs qui s'imposent par leur actualité (politique en cette période pré-électorale, business, nouveau blog, ton original ou initiative intéressante), d'autres signalés, ou simplement découverts au hasard. Et il n'y a pas que les blogs, mais tout l'universunivers du Web 2.0.

    FS : Que diriez-vous des blogs français par rapport aux autres ?

    Gilles Klein : Impossible de généraliser. Parler d'une dominante serait réducteur. Blog photo, blog cuisine, blog bd, blog personnel sans thème particulier, comme dans n'importe quelle langue, il y a une grande diversité, cachée par quelques blogs dont on parle souvent dans les médias parisiens. Peu importe l'audience, la vraie richesse, c'est cette forêt dont on ne parle pas, ces milliers de "petits" blogs, individuels, locaux, collectifs, spécialisés, pointus ou généralistes qui touchent un cercle d'habitués, forment des communautés.

    FS : D'une manière générale, les blogs reflètent-ils les cultures de leur pays d'origine ou sont-ils au contraire l'expression d'une culture plus universelle ou au moins d'un dénominateur commun ?

    Gilles Klein : Le plus petit dénominateur commun, c'est l'univers high-tech (informatique, Internet, technologie) qui alimente beaucoup de blogs dans toutes les langues. Mais la diversité augmente chaque jour. Hors de l'Europe, des contraintes pèsent sur le contenu, comme en Chine, en Iran, en Tunisie, etc., où la liberté d'expression est en cause. Les blogs en sont, bien sûr, le témoin, le révélateur.

    FS : Comment gagner de l'argentargent avec un blog ? Quelle est l'ampleur de ce phénomène aux Etats-Unis et en France ?

    Gilles Klein : La publicité paraît le moyen le plus simple. Mais les Google AdsGoogle Ads donnent des revenus limités, et les campagnes publicitaires, plus lucratives, sont réservées à de rares blogs à fort trafic, ou sont partagés entre plusieurs blogs. Généralement les revenus sont faibles et instables. Il y a aussi le sponsoring - voir l'aventure d'un vidéoblog comme celui de Vinvin -, mais on entre là dans un univers professionnel. Il n'y a pas de secret : pour espérer gagner de l'argent avec un blog, il faut y passer beaucoup de temps, devenir un pro, avec éventuellement une activité commerciale liée (vente de produits divers). Et même dans ce cas, ce n'est pas facile, surtout en France où l'audience potentielle est plus limitée qu'aux Etats-Unis. Les revenus potentiels, sauf exception, le sont donc aussi. Je ne parle pas bien sûr des blogs liés à des entreprises (presse, marketing, communication, etc.).

    FS : Quels sont vos blogs préférés ?

    Gilles Klein : Blog de réflexion sur la vie politique ou économique, blog de cuisine, blog photo, peu importe, j'apprécie le ton général de nombreux blogs. La vulgarité qui émaille certains blogs dont les auteurs se veulent sérieux, m'étonne quelquefois.

    FS : Face à la crise de la presse quotidienne, peut-on voir les blogs de journaux ou de journalistes comme un nouveau média ?

    Gilles Klein : Je ne crois pas. De plus, de quelle "crise de la presse quotidienne" parle-t-on ? 20 Minutes, Le Parisien, ou Ouest France ne se portent pas mal. Le journalisme est un métier qui se décline depuis ses débuts sur différents supports : presse écrite, radio, télévision, et depuis une dizaine d'années, site web, téléphonie mobilemobile. Les journalistes doivent être polyvalents, le contenu doit être adapté au format du canal de diffusiondiffusion. Pourquoi généraliser ? Certains titres de la presse parisienne (France Soir, Libération) ont vieilli, se sont éloignés de leur lectorat, n'ont peut-être pas vu que l'environnement avait changé. Voir CNN, LCI, France Info, les quotidiens gratuits, etc. Le modèle économique aussi change. Les petites annonces ne sont plus réservées à la presse écrite. Il y a aussi une crise du réseau de distribution. Depuis mes débuts à Libération, ma manière de travailler a changé, les outils ont évolué, le numériquenumérique a remplacé la photo argentique, l'informatisation de la presse raccourcit les délais, etc. Il faut s'adapter, comme dans toutes les activités humaines. Rien de dramatique, de nouvelles aventures simplement.

    FS : Après les blogs, quelle est la prochaine évolution, à votre avis ?

    Gilles Klein : Je ne suis pas devin. Le blog est un outil de la panoplie disponible pour communiquer sur Internet : site web, email, page personnelle, blog, wikiwiki, forum, liste de diffusion, newsgroup, etc. Le blog est déjà l'un des éléments de plateformes proposant de nombreux outils. Il s'intègre, se banalise après avoir été un Ovni.