Cette jeune start-up basée à Montpellier pourrait bien révolutionner l’industrie chimique avec des procédés vertueux à base de ressources naturelles. Et pas n’importe lesquelles : des espèces végétales, exotiques, envahissantes et aquatiques. C’est malin, responsable et efficace.


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    La jeune pousse s'appelle BioInspir. Tout simplement... À l'image de son activité : inventer des procédés bio-inspirés pour remplacer des procédés chimiques polluants. Rien d'étonnant à ce que la démarche de cette start-up fondée en 2020 soit particulièrement vertueuse : c'est la préoccupation majeure de sa directrice scientifique, Claude Grison, directrice de recherche au CNRS, responsable du laboratoire de ChimieChimie Bio-inspirée et Innovations écologiques (ChimEco).

    « Il y a une quinzaine d'années que je travaille à la préservation et la restauration des écosystèmes terrestres et aquatiques, raconte-t-elle. Une meilleure compréhension des stratégies d'adaptation des plantes aquatiques au stressstress métallique, m'a permis d'élaborer progressivement des technologies naturelles de dépollutiondépollution à la fois sobres, efficaces et industrialisables ». Et c'est ainsi que l'idée de créer une start-up a émergé.

    Il n’y a pas d’intervention active de la plante, le mécanisme de biosorption de métaux perdure même avec la plante morte

    On connaissait les capacités de biosorption de métauxmétaux de certaines plantes, déjà utilisées pour dépolluer les sols notamment. Avec son équipe, Claude Grison travaillait sur ces solutions de phytoextraction. Mais cette chimiste du vivant est allée bien plus loin : elle a découvert comment ces plantes aquatiques parvenaient à de tels résultats.

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    « Ces capacités extraordinaires de biosorption sont dues à des structures moléculaires situées à la surface des racines, notamment des plantes flottantes, explique la chercheuse qui a déposé trois brevets à ce sujet en 2017. Il n'y a pas d'intervention active de la plante, mais une adsorptionadsorption passive des éléments présents dans l'eau grâce à leur système racinaire complexe. Ce mécanisme perdure même avec la plante morte ».

    La structure moléculaire de la racine de cette plante aquatique envahissante est capable d'adsorber des métaux. © ChimEco
    La structure moléculaire de la racine de cette plante aquatique envahissante est capable d'adsorber des métaux. © ChimEco

    Son idée ingénieuse a été de réduire ces racines en poudre végétale pour dépolluer des effluents industriels. Cela s'est avéré aussi efficace qu'avec la plante vivante ! Et pour faire d'une pierre deux coups, Claude Grison n'a pas choisi n'importe quelles plantes mais les plantes envahissantes qui représentent un problème écologique majeur, menaçant de plus en plus les zones aquatiques et humides et dont l'éradication devient illusoire. Il s'agit aujourd'hui de parvenir à contrôler leur prolifération. La ressource est malheureusement inépuisable...

    Une nouvelle filière d’industrie chimique

    En parallèle, la scientifique mène depuis longtemps un autre combat qui mêle cette fois écologieécologie et chimie de synthèse : elle n'invente rien de moins qu'une nouvelle filière pour produire des composés chimiques. Elle l'a baptisée écocatalyse® et a déjà déposé 37 brevets de procédés écocatalytiques avec le CNRS. De quoi s'agit-il ? D'utiliser les éléments métalliques récupérés par ces plantes aquatiques envahissantes en tant que catalyseurscatalyseurs de procédés chimiques.

    Les catalyseurs sont des éléments qui, en faible concentration, accélèrent ou orientent des réactions. L'industrie chimique fait appel à de nombreux catalyseurs métalliques à base de rhodiumrhodium, palladiumpalladium, nickelnickel, zinczinc, cuivrecuivre, manganèsemanganèse, cobaltcobalt, etc. que ce soit dans la chimie organique industrielle, la pétrochimie, l'agrochimie, la fabrication de plastiquesplastiques, colorants, peintures, cosmétiques, parfums ou encore de dérivés pharmaceutiques et de médicaments.

    L'extraction de ces mineraisminerais est une catastrophe du point de vue écologique. Quant à leur transformation en catalyseurs, elle est énergivore ou polluante et dangereuse. Par comparaison, les poudres végétales produites par BioInspir, riches en éléments métalliques, sont de véritables éococatalyseurs : « Ce sont les premiers catalyseurs métalliques d'origine végétale, précise-t-elle. Un gramme de poudre peut par exemple contenir 270 mg de palladium. Chaque écocatalyseur® est une signature de la plante, avec une composition métallique originale, dont nous étudions les capacités catalytiques. »

    Cocktail de plantes aquatiques envahissantes dans un canal dans le Gard. © Claude Grison 
    Cocktail de plantes aquatiques envahissantes dans un canal dans le Gard. © Claude Grison 

    Un catalogue d’une soixantaine de molécules

    La startup, qui comporte une dizaine de salariés, récolte déjà plusieurs tonnes par an d'une petite dizaine de plantes aquatiques envahissantes sur la cinquantaine étudiée chez ChimEco, en partenariat avec les gestionnaires locaux qui luttent contre ce fléau. Elle se concentre sur les plus abondantes et les plus efficaces en tant que catalyseurs. « À partir de nos poudres végétales, nous produisons (par catalysecatalyse hétérogène) et commercialisons une soixantaine de moléculesmolécules dont plusieurs estersesters gras indispensables à l'industrie cosmétique, des peintures, des revêtements ou encore des solvants verts », ajoute la chercheuse désormais entrepreneure.

    Ces esters gras sont produits à partir d'huiles végétales sans aucun intrantintrant chimique ni solvantsolvant. Pour certains, la capacité est préindustrielle mais nous n'en saurons pas plus, confidentialité oblige. Selon les cas, BiosInspir travaille main dans la main avec des chimistes ou développe de nouvelles solutions. Avec un seul mot d'ordre : la synthèse de produits biosourcés avec le minimum d'intrants chimiques.