Depuis plus de 10 ans, l'un des inventeurs d'Internet travaille sur un réseau capable d'envoyer des données d'une planète à une autre. Le matériel est déjà déployé, et Vinton Cerf fait le point sur les avancées technologiques.


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    Quarante ans après avoir participé à la naissance d'Internet alors qu'il n'était qu'étudiant, Vinton Cerf a encore plein de projets en tête et, depuis 1998, il réfléchit à un réseau interplanétaire, une sorte d'Internet de l'espace où des fichiers pourraient s'envoyer de la Terre à JupiterJupiter en passant par Mars. Ce qui complique l'exploration spatiale, c'est la difficulté de communiquer sur des distances immenses avec des planètes qui, elles-mêmes, se déplacent et peuvent être des obstacles à la transmission des données.

    Première décision, le célèbre protocole TCP/IP n'est pas adapté à des communications de ce type et il a donc fallu mettre en place un nouveau protocole plus adapté à des distances astronomiques, au sens premier du terme. Depuis 2003, Cerf et une petite équipe de chercheurs travaillent sur un protocole baptisée DTN pour Delay-Tolerant Networking, dont la capacité est de pouvoir transmettre des données en dehors de notre Internet actuel. C'est déjà testé en Laponie pour suivre les rennesrennes car il s'agit d'un environnement où les communications sont moins prévisibles et plus accidentées.

    Le protocole DTN, symbolisé en rouge, permet de stocker des données dans des nœuds jusqu'à ce que la transmission réussisse. © Nasa
    Le protocole DTN, symbolisé en rouge, permet de stocker des données dans des nœuds jusqu'à ce que la transmission réussisse. © Nasa

    Un Internet où chaque nœud peut mettre les données en attente

    L'idée est de créer un protocole où les données transmises seraient provisoirement stockées dans chaque relais, ou nœudnœud, si l'on reprend l'architecture classique d'Internet. Sur Terre, le protocole TCP/IP ne stocke pas les données avant de les transmettre. Concrètement, chaque paquet de données transmis n'est pas enregistré, et le transfert de données est permanent. Dans une interview accordée à Quanta Magazine, Cerf explique ainsi qu'un paquet de données voyageant de la Terre à Jupiter pourrait, par exemple, passer par un relais sur Mars. Comme au moment de réceptionner des données, Mars et Jupiter ne seront pas forcément alignées, les données resteront sur place en attendant que la communication soit possible.

    Depuis 15 ans, la NasaNasa participe à ces recherches, et en devient même acteur puisque, à chaque mission, les spationautesspationautes emportent du matériel pour créer cet immense réseau et le tester. « Nous avons affiné la conception de ces protocoles, pour les mettre en œuvre et les tester. Les derniers protocoles utilisent des relais de va-et-vient entre la Terre et la Station spatiale internationaleStation spatiale internationale. Nous avons fait d'autres tests vraiment sympas », poursuit Cerf qui donne l'exemple du vaisseau spatial, Epoxi, qui était parti pour visiter quelques comètescomètes. Il se trouvait à environ 81 secondes-lumièrelumière de la Terre et il sert de vaisseau test.

    La station ISS utilisée comme « routeur »

    Autre test effectué : le contrôle depuis l'espace d'un véhicule robot en Allemagne. « Si vous essayez de diriger un véhicule sur Mars et que votre signal prend 20 minutes pour y arriver, vous pouvez tourner le volant et, 20 minutes plus tard, la voiturevoiture tourne et passe sur une falaise. Puis, 20 minutes plus tard, vous découvrez que vous venez de perdre votre véhicule de 6 milliards de dollars. Cela a fonctionné entre l'ISS et la Terre car ce n'est qu'à quelques centaines de kilomètres », rappelle Cerf qui envisage ainsi des missions spatiales où l’ISS servirait justement de relais Internet, ou de « routeurrouteur », entre les véhicules posés sur une planète, et les chercheurs restés sur Terre.

    Démonstration de l'avantage du protocole DTN par rapport au protocole TCP/IP dans le transfert des données lorsque le réseau est interrompu. © Nasa