Dans une Rome occupée par l’armée allemande, une étrange maladie fait son apparition à l'hôpital Fatebenefratelli, sur l'île de Tibérine : le syndrome K. Ses victimes – des Juifs, des homosexuels, des opposants politiques au régime nazi – périssent, dit-on, aux griffes de cette terrible épidémie derrière les portes closes de l'institution. Mais le syndrome K n'existe pas car, derrière ce nom à glacer le sang, se cachent en réalité trois médecins, unis dans leur volonté de sauver les vies menacées par la rafle.


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    Octobre 1943. Seconde Guerre mondiale. L'armée nazie tient les rues de Rome d'une main de fer. Son drapeau flotte dans toute la ville, jusqu'à la place Saint-Pierre, sous les fenêtresfenêtres du pape. Sur les ordres d'Himmler, les juifs de la ville sont traqués en vue de leur future déportation dans les camps d'extermination.

    Sur l'île Tibérine, au centre de Rome, le docteur Giovanni Borromeo, directeur de l'hôpital Fatebenefratelli, et ses deux collègues Vittorio Sacerdoti et Adriano Ossicini, sont sur tous les fronts. Dans les couloirs de leur hôpital, une maladie très agressive et totalement inconnue se propage comme une traînée de poudre. L'existence de cette terrible épidémieépidémie est parvenue jusqu'aux oreilles des soldats nazis qui restent à bonne distance de Fatebenefratelli.

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    La reconnaissance faciale au service des familles des victimes de la Shoah

    Pour éviter que le mystérieux microbemicrobe ne contamine toute la ville, les infectés sont mis en quarantaine dans le sous-sol de l'hôpital. La rumeur prétend que les gens atteints par le syndromesyndrome K deviennent fous, leur corps se tord dans tous les sens sous de violentes convulsionsconvulsions. Ils finissent par être totalement paralysés, incapables de respirer et se voient mourir douloureusement d'asphyxieasphyxie. Personne ne veut s'approcher de l'hôpital Fatebenefratelli, et surtout pas les soldats allemands.

    L'hôpital Fatebenefratelli, situé sur l'île de Tibérine, à Rome, traversée par le Tibre. © PxHere, CC0, domaine public
    L'hôpital Fatebenefratelli, situé sur l'île de Tibérine, à Rome, traversée par le Tibre. © PxHere, CC0, domaine public

    Rafle au ghetto de Rome

    Mais, le 15 octobre 1943, le haut-gradé allemand, en charge des soldats nazis à Rome, ordonne une rafle au ghetto de la ville. Le rabbin de Rome et le pape promettent 50 kilos d'or au militaire en échange de la vie des milliers de juifs du ghetto. Ils fournissent l'or, mais la rafle est tout de même ordonnée : 1.259 juifs sont raflés et envoyés à Auschwitz. Seuls seize d'entre eux survivront.

    Dans la panique, des familles se réfugient sur l'île Tibérine, vers l'hôpital situé juste en face du ghetto. Les soldats les poursuivent mais s'arrêtent net quand ils arrivent à Fatebenefratelli. Les docteurs Borromeo, Sacerdoti et Ossicini, le visage grave et les traits tirés, leur font part de la situation catastrophique de l'hôpital. La quarantaine n'a pas suffi pour contenir le syndrome K. Des infirmières, des médecins et les religieux qui officient dans l'hôpital tombent comme des mouches. Les malades hurlent de douleurdouleur et crachent leurs entrailles avant de s'éteindre dans une expression tourmentée.

    Les soldats deviennent pâles comme les linges. Des profondeurs de l'hôpital, ils peuvent entendre les mugissements d'agonie des malades. Aucun d'entre eux n'a envie de prendre ce risque ! Ils rebroussent chemin, la peur collée au fond des yeuxyeux.

    Le docteur Borromeo, avec deux autres médecins, a inventé le Syndrome K afin de pouvoir sauver des vies humaines lors de la Seconde Guerre mondiale. Syndrome K : « K » étant l'initiale du nom des officiers nazis Kesselring et Kappler, sévissant à Rome. © <em>Wikimedia Commons</em>, Domaine public
    Le docteur Borromeo, avec deux autres médecins, a inventé le Syndrome K afin de pouvoir sauver des vies humaines lors de la Seconde Guerre mondiale. Syndrome K : « K » étant l'initiale du nom des officiers nazis Kesselring et Kappler, sévissant à Rome. © Wikimedia Commons, Domaine public

    Une maladie qui sauve des vies

    Les trois médecins échangent un regard soulagé. Dans le sous-sol de l'hôpital, les patients ayant un K dans leur dossier médical ne sont pas malades. Enfin, pas aux yeux de la médecine. Ce sont des juifs, des Polonais, des homosexuels, des Tziganes, des handicapés ou encore des opposants politiques. Tous ceux qui sont jugés néfastes et indésirables par le régime nazi. L'hôpital prend aussi en charge les résistants cachés autour de Rome.

    Le syndrome K : quelle formidable maladie, capable de sauver des vies ! Les trois compères ont eu la brillante idée de l'inventer de toutes pièces pour tenir éloignés les Allemands. Une fois protégés dans l'hôpital, le personnel et les religieux fournissent aux juifs, et à tous les autres, des faux papiers et des laissez-passer leur permettant de quitter Rome pour des monastères de campagne moins exposés.

    Le docteur Adriano Ossicini, ici, à l’hôpital Fatebenefratelli, est l'un des trois médecins à avoir contribué à la réussite du projet. À la fin de sa vie, il révéla cette histoire ignorée jusque dans les années 1990. © Archives. Domaine public
    Le docteur Adriano Ossicini, ici, à l’hôpital Fatebenefratelli, est l'un des trois médecins à avoir contribué à la réussite du projet. À la fin de sa vie, il révéla cette histoire ignorée jusque dans les années 1990. © Archives. Domaine public

    Grâce à cette maladie imaginaire, les soldats allemands ne viendront plus mettre le neznez dans les affaires de l'hôpital jusqu'à la libération de Rome, le 15 juin 1944. Durant ce laps de temps, les efforts des Docteurs Borromeo, Sacerdoti et Ossicini ont permis de sauver la vie d'une centaine de personnes.

    Juste parmi les nations

    Giovanni Borromeo sera récompensé pour son action par Israël. Il est reconnu « Juste parmi les nations », et son nom est inscrit au mémorial des victimes de la Shoah à Jérusalem. Il s'éteint en 1961 au sein de l'hôpital Fatebenefratelli. 

    Si le syndrome K fait référence au bacille de Kochbacille de Koch, Adriano Ossicini, antifasciste comme ses collègues, y voit une référence à deux autres microbes, d'un tout autre genre : Albert Kesselring, à la tête de la campagne nazie d'Italie et Herbert Kappler, le commandant qui a ordonné la rafle du ghetto de Rome.