L’enjeu majeur de la colonisation est bien évidemment la quête de métaux précieux : le terme « Siècle d’or espagnol » s’applique au sens propre à la péninsule ibérique du XVIe siècle, car l’afflux d’or et d’argent va conférer à la monarchie de Charles Quint puis de Philippe II, une puissance économique et un rayonnement politique déterminants en Europe. Dans la recherche effrénée de richesses, la colonisation des Indes espagnoles se fait aux dépens des populations amérindiennes qui sont massacrées et exploitées jusqu’au risque de leur extinction.


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    Lorsque l'on observe un planisphère au milieu du XVIe siècle, on s'aperçoit que les territoires conquis par les Espagnols en Amérique, s'étendent du Mexique au Pérou, Chili et Argentine, en englobant la Floride, Cuba, Saint-Domingue... Cet empire colonial est divisé en deux vice-royautés, celle de Nouvelle Espagne au nord et celle du Pérou au sud.

    Carte « Nouvelle description de l'Amérique ou Nouveau Monde » d'après Ortélius, vers 1579. Neatline Antique Maps. © 2018 Neatline LLC.
    Carte « Nouvelle description de l'Amérique ou Nouveau Monde » d'après Ortélius, vers 1579. Neatline Antique Maps. © 2018 Neatline LLC.

    L'argent et l'or d'Amérique

    Les premières importations d'or et d'argent en Espagne débutent en 1503, année de création de La Casa de Contratación, administration coloniale installée à Séville pour contrôler tout le commerce des Indes espagnoles. Chaque navire s'acquitte d'un impôt de 20 %, le quinto real, sur toutes les marchandises d'Amérique arrivant en Espagne. La Casa de Contratación contrôle également les équipages et passagers des bateaux pour empêcher juifs et musulmans de s'embarquer vers les Amériques et garantir ainsi un peuplement catholique des colonies.

    D'où viennent les métauxmétaux précieux du Nouveau Monde ? Les plus importantes mines d'argent, situées au Mexique (mines de Zacatecas) et au Pérou (mines du Potosi), sont découvertes dans les années 1540. C'est également le cas des mines d'or de Colombie : l'orpaillage cède rapidement la place à l'extraction minière intensive et à l'exploitation systématique des populations indiennes. Lorsqu'il n'y a plus suffisamment d'ouvriers amérindiens, on importe les esclaves noirs d'Afrique vers la Colombie. Au Mexique et au Pérou, les mines d'argent vont être fortes consommatrices de main-d'œuvre ; les mines du Potosi bénéficient du recrutement forcé (hérité de « la mita », corvée due par les Indiens au souverain inca).

    Agrandissement concernant l'Amérique espagnole, extrait de la « Cartographie des grandes découvertes entre 1360 et 1600 ». © 2019, Le-Cartographe.net
    Agrandissement concernant l'Amérique espagnole, extrait de la « Cartographie des grandes découvertes entre 1360 et 1600 ». © 2019, Le-Cartographe.net

    Une conquête par la violence

    La conquête de l'empire colonial espagnol a pour conséquence la disparition de deux civilisations précolombiennes, les Aztèques et les Incas. La supériorité militaire des Espagnols (premier massacre par l'armée de Cortès en octobre 1519), leur habileté diplomatique qui consiste à soulever les tribus locales contre Empires inca et aztèque, les prophéties annonçant l'arrivée des Espagnols en les assimilant à des dieux, ont contribué à la fin inéluctable de ces deux civilisations. La colonisation qui s'ensuit engendre une catastrophe démographique majeure : la population de l'Empire inca, estimée entre 12 et 15 millions de personnes avant sa chute en 1532, s'effondre en dessous du million un siècle plus tard. Avec la conquête de l'Empire aztèque, la population totale du Mexique serait passée de 20 millions à 2 millions d'habitants, soit une diminution de 90 % entre les années 1520 et 1620. L'île d'Hispaniola (Haïti et République dominicaine actuelles) perd toute sa population autochtone entre 1492 (arrivée de Christophe Colomb) et 1540 ; l'évolution est similaire pour Cuba, Porto Rico et la Jamaïque. Comment expliquer un tel désastre humain alors que la couronne d'Espagne prétend coloniser pour christianiser les Amérindiens ?

    La question de l’humanité des peuples d’Amérique

    Dès le début de la colonisation, des voix s'élèvent en Espagne pour dénoncer les méthodes d'exploitation des Amérindiens : en 1539, le théologien Vitoria, professeur à l'université de Salamanque, affirme que toutes les sociétés sont égales en dignité et que nul ne peut se fonder sur l'infériorité de leur développement pour les soumettre. Il reprend la bulle du pape Paul III de juin 1537, qui confirme que les Amérindiens sont des êtres humains libres et condamne donc la pratique de l'esclavage. Le dominicain Bartolomé de Las Casas qui a voyagé au Mexique et a été le témoin des massacres perpétrés par les Espagnols, devient un défenseur acharné des Amérindiens. Charles Quint (roi d'Espagne de 1516 à 1555) adopte les « Nouvelles Lois des Indes » en 1542, qui placent les Indiens sous la protection de la Couronne d'Espagne : il interdit aux colons de les réduire en esclavage et souligne que les Amérindiens sont des fidèles à qui la religion catholique ouvre ses portesportes.

    Portrait de Bartolomé de Las Casas, auteur inconnu, XVI<sup>e</sup> siècle. Archives générales des Indes, Séville, Espagne. © National Geographic, Wikimedia Commons, domaine public.
    Portrait de Bartolomé de Las Casas, auteur inconnu, XVIe siècle. Archives générales des Indes, Séville, Espagne. © National Geographic, Wikimedia Commons, domaine public.

    À partir de septembre 1550, se déroule la conférence ou « Controverse » de Valladolid, qui réunit juristes et théologiens à la demande de Charles Quint. Elle oppose en fait Bartolomé de Las Casas au théologien Juan de Sepulveda, défenseur des conquistadors. Les discussions ne concernent pas la question de l'humanité des Indiens puisque le pape l'a affirmée en 1537. Les débats traitent de la manière de coloniser le Nouveau Monde par le droit de conquête, avec la justification morale de mettre fin aux modes de vie des civilisations précolombiennes (notamment leur pratique du sacrifice humain). Sepulveda conclut à l'infériorité des Indiens et à la nécessité de les placer sous tutelle. Las Casas réussit à faire admettre que les Amérindiens « ont une âme » et que les exterminer est impossible : la couronne d'Espagne doit se limiter à l'envoi de prédicateurs pour évangéliser les populations, sans aucune force armée. Mais Philippe II (roi à partir de 1556) se désintéresse de la cause amérindienne au profit de celle des colons et des métaux précieux qu'ils fournissent à l'Espagne.

    Écu d'or de Philippe II frappé entre 1556 et 1580, utilisé dans l'empire espagnol. © cgb.fr
    Écu d'or de Philippe II frappé entre 1556 et 1580, utilisé dans l'empire espagnol. © cgb.fr

    Un bilan humain catastrophique

    S'il faut établir un bilan humain de la colonisation espagnole à la fin du XVIe siècle, la confiscation des terres, les massacres, l'asservissement et les épidémiesépidémies sont les causes de l'extermination massive des populations amérindiennes. Le choc microbien importé d'Europe, a décimé des autochtones non immunisés et asservis par le travail minier. En effet, en un siècle, 80 % à 90 % de la population disparaît, soumise aux maladies comme la rougeole, la varicellevaricelle, la variolevariole ou la grippegrippe. Les Amérindiens des Grandes Antilles ont été anéantis dès le milieu du XVIe siècle ; ils vont être remplacés par les esclaves africains pour l'exploitation de ces îles par les Espagnols.

    La conquête et la colonisation du Nouveau Monde vont entraîner une double catastrophe démographique mondiale : l'extermination à grande échelle des populations amérindiennes (quatre-vingt millions fin XVe siècle, cinq millions début XVIIIe) et la déportation de douze millions d'Africains vers l'Amérique.