L'accord Sykes-Picot, signé en mai 1916, est le résultat des négociations entre le diplomate français François Georges-Picot et son homologue britannique Mark Sykes, sous le regard bienveillant de la Russie tsariste. Ce traité secret a pour objectif de définir le partage des territoires de l'Empire ottoman au Proche-Orient entre la France et le Royaume-Uni après la Première Guerre mondiale.
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Pendant la Première Guerre mondiale, l'Empire ottoman, allié aux puissances centrales, est sur le point de s'effondrer. Les puissances européennes, notamment la France et le Royaume-Uni, lorgnent déjà sur les territoires arabes riches en ressources stratégiques. L'accord Sykes-Picot, nommé d'après deux des négociateurs, à savoir Mark Sykes côté britannique et François-Georges Picot côté français, est mené secrètement entre les deux puissances européennes et prévoit le partage des territoires arabes ottomans en plusieurs zones d'influence. Les négociations de l'accord Sykes-Picot ont en réalité été menées par les ministres des Affaires étrangères français et britanniques, Paul Cambon et Edward Grey. Ainsi, il aurait été plus approprié de le nommer l'accord Grey-Cambon.
Répartition des zones d'influence
L'accord répartit les provinces arabes de l'Empire ottoman en zones sous influence française et britannique :
- Zone bleue (France). Cette zone comprend le Liban, la Cilicie et une partie de la Syrie, où la France aurait une administration directe.
- Zone rouge (Royaume-Uni). Elle s'étend sur la basse Mésopotamie et inclut Bagdad et le futur territoire de l'Irak, avec administration britannique directe.
- Zone brune (Palestine). Elle prévoit une administration internationale, dont les modalités exactes seraient définies ultérieurement avec l'accord de la Russie et des autres alliés.
- Zones A et B. Situées entre les zones bleue et rouge, elles représentent les territoires où la France (zone A) et le Royaume-Uni (zone B) exerceraient une influence indirecte, sous la forme de protectorats ou d'accords avec les autorités locales arabes.

Les conditions économiques et stratégiques de l’accord de Sykes-Picot
L'accord intègre également des clauses économiques et stratégiques. Les ports d'Haïfa et d'Alexandrette sont désignés comme zones de transit ouvertes respectivement aux produits français et britanniques. Le Royaume-Uni obtient le droit exclusif de construire et de gérer une voie ferrée reliant Haïfa à Bagdad, avec des dispositions spécifiques pour garantir la continuité des échanges entre les zones sous administration ou influence française et britannique.
Les conséquences immédiates : la trahison des promesses faites aux Arabes
La divulgation de l'accord en 1917 par les bolcheviks russes provoque une vive indignation dans le monde arabe, puisqu'il revient sur les promesses faites par les Britanniques, par l'intermédiaire de Lawrence d'Arabie. En effet, l'accord contredit les engagements pris par le Royaume-Uni dans la correspondance McMahon-Hussein (1915-1916), où des perspectives d'indépendance arabe avaient été évoquées en échange d'une révolte contre les Ottomans. Cette trahison alimente un fort sentiment de rejet envers les puissances coloniales et renforce l'idée d'unité arabe face à la puissance impérialiste.

Un mythe historiographique à déconstruire : l'accord Sykes-Picot et ses véritables implications
L'accord Sykes-Picot est souvent perçu comme un document ayant dessiné les frontières modernes du Moyen-Orient. Cependant, cette vision mérite d'être nuancée à la lumièrelumière des travaux récents. Contrairement à l'idée populaire, cet accord ne visait pas à définir des frontières étatiques mais à établir des zones d'influence coloniale entre la France et le Royaume-Uni dans les territoires arabes de l'Empire ottoman. La France et le Royaume-Uni visaient principalement à garantir leur domination sur des régions stratégiques pour des raisons économiques et militaires. L'objectif n'était pas d'établir des frontières fixes, mais de sécuriser des sphères d'influence dans un contexte où l'Empire ottoman était encore une entité politique active, alors allié de l'Allemagne.
L'historiographie récente insiste sur le fait que les frontières du Moyen-Orient ont été façonnées après la guerre. Ce fut le cas à la conférence de San Remo de 1920, lors de la mise en œuvre des mandats sous l'égide de la Société des Nations puis à la Conférence du Caire en 1921. L'accord Sykes-Picot a servi davantage de base à ces négociations ultérieures façonnées par les réalités politiques et les revendications des mouvementsmouvements nationalistes locaux.
La charge symbolique de Sykes-Picot dépasse souvent son impact réel. Des acteurs régionaux, notamment les nationalistes arabes et les mouvements djihadistes ont utilisé Sykes-Picot comme un symbole de l'ingérence occidentale pour mobiliser leurs soutiens. Ce mythe fondateur, bien que simplifié, a été utilisé pour mobiliser les populations et renforcer l'idée d'une lutte unifiée contre l'ordre colonial imposé.