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    L'émergenceémergence innovatrice apparaît parfois comme marquée par des transitions rapides, comme si tout à coup quelque chose de nouveau survenait de rien. C'est que la richesse en contenu structuré (mesurée par P) d'un objet n'est pas forcément évidente à nos yeuxyeux : nous n'avons pas de détecteurs de profondeur de Bennett (qui, pas plus d'ailleurs que les détecteurs de complexité de Kolmogorov ne peuvent exister dans l'absolu).

    L'émergence innovatrice brusque n'est que la marque de nos insuffisances perceptives et fondamentalement, c'est une illusion : il faut laisser à P le temps de croître, et cette croissance n'est jamais brusque.

    L'émergence innovatrice est progressive et si nous la découvrons parfois soudainement, c'est qu'elle fait apparaître dans les objets des signes particuliers que nous avons la capacité de voir alors que l'instant d'avant lorsque P avait une valeur proche nous ne percevions rien. L'exemple le plus simple est celui du tas de feuilles en décomposition dont surgit brusquement un champignonchampignon. Le champignon en fait était présent (sous la forme d'un spore peut-être, qui détenait en lui toute la structure à venir du champignon). L'apparition du champignon n'est pas celle de la complexité organisée, c'est simplement l'apparition d'une de ses manifestations perceptible par nous ; le véritable processus ayant conduit au champignon --la véritable émergence-- étant lui ancien, progressif et lié à l'évolution biologique sur terre.

    Il est vraisemblable que la présence de propriétés avancées dans les objets est liée (en partie au moins) à la valeur de P. On peut imaginer qu'en deçà de certaines valeurs de P, l'intelligenceintelligence est impossible. Peut-être qu'une fois un autre seuil franchi la conscience apparaît, etc. La théorie de la calculabilité n'est pas en mesure aujourd'hui de démontrer de telles affirmations, du moins en rend-t-elle l'idée exprimable dans un cadre cohérent et formel ce qui est déjà une avancée et offre une perspective de travail en formulant des objectifs et des schémas théoriques précis.

    Les sortes de transitions de phases lors du processus d'accroissement de la profondeur doivent être analysées, et il s'agit d'un travail difficile appelant la coopération d'une multitude de disciplines. On peut sans doute défendre que ces transitions de phase (chacune caractérisée par une valeur de seuil pour P ?) méritent aussi le nom d'émergence : ce serait un troisième type d'émergence. Il faut cependant éviter les tentations d'une sorte de romantisme de l'émergence ! Rien ne se crée à partir de rien, cela est vrai du contenu computationnel (mesuré par P) comme cela est vrai de la matière et de l'énergie. Le concept de contenu en calcul attaché à P (et que les chercheurs accepteront peut-être un jour d'ajouter aux concepts fondamentaux de la physique que sont la masse, l'énergie, le temps, la force, etc.) est aujourd'hui très délicat à mettre en œuvre concrètement --à cause des phénomènes d'indécidabilité. Cependant, en posant un nom et une idée mathématique sur ce qui croît lorsque de nouvelles formes plus riches, plus organisées, plus finement structurées émergent, c'est un pas important qu'a franchi Charles Bennett dans la constructionconstruction du nouveau rationalisme qu'appellent les sciences de la complexité. Même si parfois les points de vue déduits de la théorie de la calculabilité et les perspectives qu'elle offre sont perçus comme réductionnistes, ils font surgir une vision nouvelle et pleine de promesses d'un monde où l'épanouissement computationnel est le cœur des processus d'émergence dont nous sommes à la fois les objets, les témoins et les acteurs.