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    L'archéologie et la tradition orale pour faire parler l'histoire de La Réunion

    L'archéologie et la tradition orale pour faire parler l'histoire de La Réunion

    Pour compenser les sources lacunaires de l'histoire de l'esclavage, il est nécessaire d'utiliser d'autres méthodes d'investigations notamment celles relevant de l'archéologie et la tradition orale. En effet, nous sommes persuadés que la terre de l'Ile contient des secrets sur l'organisation de vie des esclaves marrons. Les rapports des chasseurs de marrons sont trop insuffisants et ne donnent que de maigres informations sur les camps de marrons. Ces documents écrits sont toutefois précieux pour commencer la recherche archéologique car ils donnent, avec plus ou moins de précisions, des renseignements sur les sites montagneux occupés par les marrons au XVIIIème et XIXème siècles. En ce sens, les sources écrites sont ici indispensables pour situer les champs possibles de fouilles archéologiques.

    Image du site Futura Sciences

    En effet, dans leurs témoignages écrits, les chasseurs de marrons décrivent les locaux d'habitations, "ajoupas", "baraques", "boucans", "cases", "hangards" et les terrains de culture ou "habitations" exploités par les marrons. Ils nous permettent surtout de repérer les principaux lieux d'implantation des camps dont les suivants :

    * Rapport de Jean Dugain après son séjour dans les bois du 10 mai au 25 mai 1762 :


    Découverte aux trois Salazes. Le premier camp était "un pareil hangard", le 2ème se trouve à l'endroit appelé l'Etang, distant d'environ trois cent gaulettes de La Rivière des MarsouinsMarsouins au bas duquel est un "endroit extrêmement profond" ou se trouvait le troisième camp.

    Rapport de Patrice Droman après sa découverte du 12 juin 1752 :Camp de marrons au Bras de la Plaine composé de "18 cases et six autres à quelque distance abritant "quantité de noirs et négresses qui pouvaient être au nombre de 60 marrons". Ces cases sont "en bois écarri" ou "bois rond". Il y avait aussi des "boucans enfumés" et des cases de feuilles" appelés "ajoupas".


    * Rapport en juillet 1752 de François Mussard et de ses compagnons : Découverte "le long du grand-Bras dit l'Etang du Gol d'un camp de 8 mauvaises cases pour 14 ou 15 marrons".


    * Rapport en octobre 1742 de François Mussard : déclaration d'un noir marron capturé "il y aurait beaucoup d'ajoupas nouvellement construits dispersés par sept, quinze et vingt ajoupas dans chaque endroit".


    * Rapport de juillet 1749 : camp dans la forêt de Bébourg sur le "dernier bras de la Rivière des Marsouins" composé de "4 barraques" où vivaient 11 marrons dont 6 hommes 3 femmes et 2 enfants.


    * Rapport du 19 août 1749 : camp dans le "morne de la Rivière de l'Est" de 9 barraques, abritant 22 marrons (hommes, femmes et enfants).


    * Rapport du 1er septembre 1755 : camp au-dessous du volcan de la Fournaise.


    * Rapport du 27 février 1753 : camp dans la Rivière Saint-denis.


    * Rapport du 8 juillet 1758 : camp dirigé par Simeterre sur les bords de la Rivière Saint-Etienne fortifié par une palissade.


    * Rapport du 5 novembre 1744 : camp dans l'islette au-dessus de la corde. Un noir défendait le passage en faisant rouler des grosses pierres.


    * Rapport du 12 juin 1753, camp de 24 cases au Bras de la Plaine abritant 60 marrons.


    * Rapport du 30 août 1752 : camp de Maffack à proximité du Piton Brochard.


    * Rapport du 9 décembre 1752 : camp de Laverdure, "le roi des malgaches" situé dans le fond de la Rivière Saint-Etienne.


    * Rapport du 28 décembre 1752 : camp du haut du bras de la plaine découvert par Mussard où vivaient 37 marrons dont 13 seront tués par le détachement parmi lesquels Laverdure, le roi de tous les marrons et Sarçanate son lieutenant… Parmi les négresses tuées Sarlave, la femme de Laverdure.


    * Rapport du 6 février 1753 : camp situé dans les hauts de la Rivière Saint-Etienne où vivaient 33 marrons.


    * Rapport du 12 août 1754 : camp à deux issues entre la Rivière du Rempart et dans le bas de celle de Langevin où vivaient 11 marrons dont 8 hommes, 2 femmes, et 1 enfant. Une des femmes capturées déclare qu'elle s'était remariée dans les bois avec le noir Manzac et s'appelait Reine Fouche…


    * Rapport de Jean Dugain du 24 août 1758 : découverte d'un camp au pays brulé à l'endroit appelé "les deux bras" à 200 gaulettes de l'endroit où les marrons fabriquaient une chaloupe de 20 pieds de long, sur 12 pieds de largeur et 6 pieds de hauteur. (7, 4, et 2 mètres).


    Les camps des marrons se trouvent donc dans les endroits difficiles d'accès et offrant le plus de sécurité possible ceci afin d'échapper aux détachements de blancs.

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    Au sommet des montagnes, les fonds des gorges des rivières, des ravines, les "hauts de la Rivière des Marsouins", de la "Rivière des Roches", de la "Rivière St-François", de la "Rivière du Mât", de la "Rivière des Galets", du "dernier bras de la Rivière des Marsouins", le "Fond de la Plaine", la "Rivière St-Etienne", le "Bras de la Plaine", la "Rivière des Remparts", la "Rivière St-Etienne au dessus de Cilaos" ont abrités des camps de marrons. Les camps sont installés dans les cirques notamment à l'Islette à Cordes, au "Brûle-Marrons" à Cilaos, au Bronchard, au "Pays-Brûlé", à la "Plaine des Cafres, au "Barry", à 1500 mètres "au dessous de la Fournaise (300 gaulettes), "au gros morne", au Piton-Rouge...

    Plusieurs de ces endroits qui n'ont pas été dénaturés par l'homme gardent les traces des esclaves marrons. L'identification d'un camp de marrons permettrait de retrouver les objets utilisés par les marrons. Nous pensons notamment aux instruments aratoires, aux couteaux, scies, haches, serpes, rabots, ciseaux de charpentier, jarres, assiettes, plats, cuillers d'étain, fourchettes d'acier, toiles, sagayes et même fusils dérobés aux propriétaires des blancs parles marrons. Les outils agraires pour travailler la terre des hauts de l'Ile sont certainement restés dans les boisbois à l'occasion de la destruction des camps par les chasseurs de marrons. Il devrait être possible de déterminer avec exactitude l'emplacement des camps et de connaître les modes de vie et les rituels funéraires. Les Malgaches marrons, revenus à la liberté retrouvaient-ils leurs morts et avaient-ils retrouvé leurs pratiques culturelles ? Les squelettes d'esclaves marrons restés dans les bois ou retrouvés dans les cavernes doivent faire l'objet d'une protection particulière. En effet, les prétendus archéologues qui ont ramené dans les musées les restes d'esclaves tués dans les bois ont commis des actes parfois irréparables et criminels qui pénalisent la recherche scientifique.

    Toutefois, ils restent dans les montagnes de nombreux squelettes de marrons tués dans les bois. 270 selon les statistiques de la Compagnie des Indes entre 1725 et 1765 sans compter ceux des marrons morts naturellement...

    La tradition orale peut venir au secours des archéologues et des historienshistoriens pour retrouver les sites des marrons. En effet, les créoles des hauts qui sont des grands marcheurs connaissent tous les recoins des montagnes et les histoires de marrons et de l'esclavage. La grotte de Tapcal où gisaient trois squelettes d'esclaves marrons a pu être localisé en 1983 par des randonneurs grâce à des guides pays qui connaissent les lieux par les histoires des anciens. D'autres sites pourraient être repérés à partir de la tradition orale ou des récits de randonneurs.

    Héry raconte la légende de Maham, chef de 100 noirs marrons qui avait vécu dans les hauts de Salazie à la Roche-Vidot. Le corps de Maham à sa mort a été inhumé selon les coutumes africaines dans cette grotte qui serait devenue un lieu de sépulturesépulture pour les marrons. Héry déclare avoir vu dans l'enfoncement le plus reculé de la grotte "un ossuaire et une pyramide de crânescrânes desséchés". Fabulation ou pas, les cavernes de marrons sont souvent citées dans la tradition orale telles les cavernes du Brûlé-Marron à Cilaos ou à l'Islette à cordes. Le récit d'une chasse aux marrons écrit après l'abolition de l'esclavage par Théodore Pavie pour la Revue des deux mondes donne des détails intéressants sur l'organisation et la défense des camps de marrons. En janvier 1996, Christophe Rivière habitant le Brûlé à Cilaos, a accepté avec beaucoup d'hésitation de nous emmener sur le site. Il l'avait connu à l'âge de 11 ans et était allé voir les "ossements humains" qui se trouvaient dans la caverne. Depuis cette première expédition, effrayé, il n'était jamais reparti voir cette caverne, connue par les anciens mais dans laquelle personne n'osait entrer sous peine de sacrilège. La caverne que nous avons pu finalement retrouver est obstruée par la végétation et par de la terre et mériterait d'être étudiée. Elle ressemble étrangement aux cavernes de l'Islette à Cordes dans lesquelles ont été placés des squelettes d'esclaves sous à peine 25 centimètres de terre ! Autour des cavernes de Tapcal, un muretmuret en arc de cercle avait été dressé pour protéger l'entrée. Il a été malheureusement désorganisé par ceux qui ont retrouvé ce site.

    La recherche archéologique permettra de combler les lacunes de l'histoire du marronnage et de l'esclavage. Elle peut aboutir à une reévaluation de la cellule réunionnaise à travers la connaissance de l'histoire ignorée et même occultée du marronnage. En effet, l'histoire officielle n'a retenu que les aspects négatifs de l'esclavage, telles que la résignation des esclaves, leur enfermement, la torture et le travail servile. Les marrons étaient des "voleurs, des assassins", armés d'une violence bestiale, qualificatifs utilisés en 1972 par un historien lors d'un colloque international d'histoire se déroulant à La Réunion. "Les peines infligées aux esclaves marrons capturés étaient, dit-il, relativement bégnines". La fleur de lys n'était qu'une brûlure superficielle vite cicatrisée... " On ne coupait pas le pavillon de l'oreille, mais seulement le bout ..." Ce même historien a fait la comptabilité des exécutions capitales concernant les marrons capturés pour quelques années juridiques du XVIIIème siècle à savoir trois pendaisons en 1734-35, 4 pendaisons et 1 brûlé vif en 1735-36, 4 pendaisons et 1 roué et brûlé vif en 1737-38... etc

    Dans cette lignée, d'autres, avant lui, avaient conclu que l'esclavage à La Réunion était supportable et même un brin paternaliste par rapport à l'esclavage en Afrique et aux Antilles. L'histoire officielle a donc fait l'impasse sur la récolte des marrons qui n'ont pas accepté la servitude et sont morts dans les bois, prix à payer pour leur liberté. L'archéologie et l'histoire doivent enfin écrire l'histoire véritable des marrons de la liberté.