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    Le volet judiciaire

    Le volet judiciaire

    L'affaire a début par une plainte déposée par des apiculteurs de Haute-Garonne et du Gers à la suite de la mort massive d'abeilles en 2002 ayant aboutit à la destruction de plusieurs centaines de ruches. Le juge d'instruction de Saint-Gaudens a commencé à instruire sur la base de « destruction du bien d'autrui ». Dans un premier temps l'hypothèse de l'emploi de produits interdits par certains agriculteurs a été envisagée. Mais la mise en évidence de quantités significatives de Fipronil dans les abeilles mortes a réorienté l'enquête à la suite d'un premier rapport remis par l'AFSSAAFSSA au juge d'instruction.

    Ruches

    Ruches

    Celle-ci s'est fortement accélérée en 2003 et le juge d'instruction n'a pas hésité à faire procéder à une perquisition au ministère de l'agricultureagriculture et à faire saisir divers documents pour essayer de comprendre comment l'usage du Régent TS avait été autorisé. Une perquisition a également été effectuée au siège de BASF à Levallois-Perret. Deux experts ont été nommés pour examiner les diverses données disponibles et les documents saisis. Il s'agit de Gérard Arnold du CNRS, spécialiste des abeilles et du professeur Jean-François Narbonne, toxicologuetoxicologue, expert de l'AFSSA. Ces deux experts ont remis leur rapport au juge d'instruction en décembre 2003. Bien entendu le secret de l'instruction leur interdit de diffuser ces rapports, mais comme ceux-ci se basent assez largement sur des documents connus et que d'autre part des informations suffisantes ont été diffusées dans les journaux, il est possible d'en déduire les éléments essentiels.

    D'une part Gérard Arnold confirme que les poussières dégagées par les semoirs contiennent des quantités de Fipronil suffisantes pour intoxiquer les abeilles, d'autre part Jean-François Narbonne soulève divers problèmes relatifs à la toxicitétoxicité humaine du produit et aux anomaliesanomalies relatives à l'homologation du Régent TS.

    Tout d'abord le Régent TS n'a reçu qu'une autorisation provisoire de vente (APV), renouvelée jusqu'en 2005 et non une autorisation de mise sur le marchéautorisation de mise sur le marché (AMM). Pendant 10 ans le produit a donc été commercialisé sans que toutes les garanties requises aient été fournies (le ministère justifie le renouvellement de l'APV par l'attente de l'homologation au niveau européen) et sans qu'un suivi spécial soit mis en place pour évaluer les effets sur l'homme et l'environnement, alors que des éléments de suspicion existaient.

    Le Régent TS n'a pas été classé comme T+ R26 (très toxique par voie respiratoire) dans l'arrêté de 1996. Il faut dire qu'à cette époque le fabricant avait annoncé pour le Fipronil pur une CL50 de 0,68 mg/l qui conduisait en effet à un classement T alors que la COMTOX retient dans ses dernières évaluations une CL50 de 0,2mg/l pour le Régent TS, ce qui conduit au classement T+. On comprend mal l'origine de cette erreur. Est-ce pour éclaircir ce point que le juge a instruit, entre autres choses, sur le motif de « fausse déclaration pour l'obtention par l'État d'avantages indus » ? Le Régent TS a été classé T+, mais sans préciser R26, uniquement en 2003 (toutefois l'arrêté indique la consigne de sécurité S38 relative au port d'un appareil de protection respiratoire). On peut donc estimer que jusqu'en 2003 les utilisateurs n'ont pas été correctement informés des risques liés à l'emploi du produit. Et même dans le dernier arrêté on note une imprécision anormale dans la nomenclature.

    En outre dès 1994 des calculs d'exposition théorique du public rendaient plausible le dépassement de la dose journalière admissible, en particulier pour les enfants, or le ministère de la santé n'a pas été alerté sur ce problème. Curieusement la perquisition au ministère de l'agriculture a permis de découvrir un avis de la COMTOX daté de 1993 selon lequel le Régent ne devrait pas être utilisé pour les semences du maïsmaïs destiné à l'ensilage. En effet celui-ci est largement utilisé pour l'alimentation des vachesvaches laitières, et la lipophilielipophilie du Fipronil pouvait faire craindre un risque de contaminationcontamination du lait. Or ce point a été complètement évacué par le ministère qui a donné une autorisation sans limitation d'usage.

    En janvier 2003 la COMTOX a émis un avis proposant « la non-inscription du Fipronil à l'annexe 1 (substances autorisées) de la directive 91/414/CE, compte tenu de préoccupations majeures pour l'environnement et les espècesespèces sauvages » (pour les non initiés CE désigne une directive européenne). Comme la France est l'état choisi comme rapporteur pour ce dossier auprès des instances européennes, cet avis risque d'avoir des conséquences considérables.

    Le juge d'instruction a finalement procédé à la mise en examen de BASF et de son président le 17 février 2003, puis de Bayer et de son directeur général le 23 février sur la base des motifs suivants :

    « Mise sur le marché d'un produit phytosanitaireproduit phytosanitaire sans autorisation de mise sur le marché mise en vente de produit toxique pour la santé de l'homme ou de l'animal violation des dispositions du Code de la santé publique pour les produits très toxiques tromperie sur l'aptitude à l'emploi d'un produit mise en vente de produit agricole toxique nuisible pour la santé de l'homme ou de l'animal. »

    La firme BASF a contre-attaqué le 26 février, en annonçant qu'elle était prête à contribuer au financement d'une étude prouvant que son principal insecticideinsecticide est sans danger pour les abeilles. De son côté la société Bayer CropScience France a saisi le 9 mars la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation d'une requêterequête en suspicion légitime à rencontre du juge d'instruction Jean Guary en raison, dit-elle, de diverses infractions au secret de l'instruction par les parties civiles, sans que le juge réagisse, et en raison de la désignation systématique d'experts proches des milieux apicoles, ou par ailleurs parties civiles.

    Le juge a assorti cette mise en examen de la suspension d'autorisation de commercialiser le Régent TS. Le 23 février, le ministre de l'agriculture Hervé Gaymard annonçait qu'il avait décidé de « suspendre les autorisations de commercialisation des spécialités à usage agricole à base de Fipronil ». A vrai dire on voit mal comment il aurait pu passer outre à l'injonction du juge d'instruction, même si celle-ci s'adressait au fabricant et non au ministère !

    Cette décision concerne à la fois le Régent TS et plusieurs autres produits destinés à des usages différents. Le ministre a toutefois précisé qu'il autorisait les agriculteurs à utiliser, pour les semis de printemps, les semences déjà enrobées dont ils disposent. De même, les distributeurs sont autorisés à écouler leurs stocks, ce qui permettra l'utilisation du Fipronil au printemps 2004 pour les cultures de tournesoltournesol et de maïs.

    Abeilles butinant des fleurs de tournesol

    Abeilles butinant des fleurs de tournesol


    Il est intéressant de voir comment le ministère, après avoir proclamé que le Régent ne posait aucun problème, a été contraint de reculer pas à pas, et avec beaucoup de réticences, pour en arriver finalement cette décision dont la dernière partie a entraîné la colère des apiculteurs. Mais il faut dire qu'à force d'avoir traîné pour prendre une position claire, celle-ci a été décidée alors que les stocks de semences avaient déjà été traités.