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    vulgarisation n.f. - angl. popularization

    Activité par laquelle un savoir est mis à la portée du plus grand nombre.

    Terme canonique, "vulgarisation scientifique" garde une connotation paternaliste, un rien péjorative. On lui préfère parfois, à juste titre, "partage des savoirs". Celui qui sait a l'obligation morale de transmettre aux autres ce qu'il sait. C'est aussi une nécessité pratique, à notre époque d'hyperspécialisation et de fragmentation de l'information. Cette indispensable dissémination des connaissances a le grand public pour cible, certes; mais elle se fait aussi en interne, à l'adresse de la communauté scientifique: la pensée du physicienphysicien se fortifie des découvertes de l'astrophysicienastrophysicien ou du biologiste, pour autant qu'elles lui aient été expliquées. Le partage des savoirs exige en effet la porosité des barrières disciplinaires, dûes à l'extrême technicité des vocabulaires et des méthodes d'investigation de la nature.
    Mais il ne suffit pas de débarrasser un fait de connaissance de sa gangue technique pour en faire un objet de communication. Les autres obstacles, considérables, à la diffusion des nouveaux savoirs hors de leur sphère d'origine ne sont pas éliminés par le recours à un interprète, qui traduirait un discours scientifique, sinon incompréhensible, dans la langue de tous les jours. On doit dénoncer ce mythe du Troisième Homme, du vulgarisateur-traducteur. Il sert trop souvent de paravent à une paresse intellectuelle, lors de l'émission plus encore qu'à la réceptionréception. Le message pour être transmis exige en effet une indispensable reconstruction: afin de susciter et soutenir l'intérêt du public, il faut le faire basculer du stylestyle légaliste, polémique, énonciatif ou didactique de l'exposé initial vers un récit. Autant dire qu'il faut passer d'un mode objectif à une forme plus subjective.

    Sans qu'on puisse développer ce point davantage, le didactisme est le premier responsable de vulgarisations médiocres, car insuffisamment pensées et travaillées. La narration est la voie royale de partage des savoirs:"imaginez que vous expliquez vos travaux à votre grand-mère" est un excellent précepte. Il importe sans doute davantage, en effet, de transmettre l'élanélan de la science vivante, son doute méthodique, les beautés de la nature et de son intellection, que des connaissances forcément éphémères et presque dénuées de sens, hors de leur contexte.

    Les canaux d'information du public sont multiples: films de cinéma comme "Microcosmos", ou émissions de télévision, programmes radio, pièces de théatre, articles de presse (quotidiens, magazines généraux ou spécialisés), livres, CD-ROMCD-ROM, InternetInternet, ... Chacun de ces médias exige une présentation propre, à partir d'un argument ou scénario rédigé pour raconter une découverte ou faire comprendre une problématique. Ainsi la vulgarisation scientifique est-elle soumise, à notre époque, à de fortes tensions, entre l'augmentation exponentielle de la quantité d'information à divulguer, et l'extrême diversification des formes de divulgation. Il reste encore à la communication scientifique, forme littéraire à part entière, à s'affranchir de la tutelle du journalisme scientifique et de sa contaminationcontamination par le didactisme.

    Histoire

    Les grandes étapes de la communication de la science sont marquées, pour la plupart, au sceau du livre. Sa préhistoire compte d'éclatantes réussites comme De la nature des choses de Lucrèce, l'Histoire naturelle de Pline le Jeune ou, au XVIIe siècle, lorsque Comenius publie des lexiques servant aussi de leçons de choses. Née véritablement au XVIIIe siècle (Fontenelle, Abbé Nollet) lorsque les salons de l'aristocratie ne pouvaient satisfaire la curiosité de la bourgeoisie montante, la vulgarisation a connu son Age d'Or lors de la seconde moitié du XIXe siècle.

    La croyance au Progrès, la naissance de l'école laïque et républicaine, la diffusion à bas prix de l'imprimé illustré d'abondance de gravures sur acier, l'absence de concurrence d'autres médias expliquent le succès d'entreprises encyclopédiques comme L'Astronomie populaire de Camille FlammarionCamille Flammarion, les dictionnaires et encyclopédies de Pierre Larousse, les nombreuses œuvres de Louis FiguierFiguier, un vulgarisateur de génie, ou encore le roman de la science que Jules VerneJules Verne narre dans ses Voyages Extraordinaires. Leur foi en une éducation populaire, et dans l'autodidactisme au moyen du livre ont été relayés, dans les années 30 et 40 de notre siècle, par des collections comme les Que Sais-je? de Paul Angoulvent ou la petite collection Armand Colin.

    Le cinéma scientifique reçoit ses lettres de noblesse avec Paul Painlevé, au moment du Front Populaire de 1936, lorsque le Palais de la Découverte est fondé à Paris. La télévision intervient dès sa diffusion généralisée dans les années 50: signalons tout particulièrement le succès, par ce canal, de l'Open University anglaise, superbe entreprise de diffusion du savoir vers ceux n'ayant pas eu accès à l'enseignement supérieur. À présent, fin XXe, Internet sera peut-être l'outil d'une vulgarisation d'autant plus efficace que plus informelle et conviviale, se rapprochant de l'idéal d'un tutorat. Le XXe siècle a connu aussi de belles réussites de livres, sous la plume d'écrivains comme Maurice Maeterlinck ou Arthur Koestler, d'écrivains scientifiques comme Marcel Boll ou Isaac AsimovIsaac Asimov, ou encore de savants comme Richard P. Feynman ou Carl SaganCarl Sagan. Hélas, l'imprimé sert aussi les para-sciences, comme l'astrologie ou autres gnoses, de Princeton ou d'ailleurs, dont le public a un besoin avide, pour contourner ce qu'il ressent comme des dérobades de la part de la science officielle.

    Pierre Laszlo

    Références:
    Pierre LaszloPierre Laszlo, La Vulgarisation scientifique, PUF-Que sais-je?, Paris, 1993.
    Daniel Raichvarg et Jean Jacques, Savants et ignorants, Le Seuil-Science ouverte, Paris, 1991.

    vulgarisateur n.m. - angl. popularizer

    Auteur d'œuvres de vulgarisation, s'adressant à un vaste public, en termes simples. Les principales qualités de l'écrivain scientifique, faisant œuvre de vulgarisation, sont l'altruismealtruisme, puisqu'il s'agit de partager avec autrui un savoir; la volonté de faire simple, afin d'être compris sans difficulté; une grande imagination, indispensable à la reconstruction d'un texte narratif captivant à partir d'un discours scientifique obéissant à d'autres contraintes; la culture, permettant de trouver des analogiesanalogies inattendues, excitant la volonté du lecteur d'en savoir davantage; l'imagination, permettant elle aussi d'exciter la curiosité, tout particulièrement dans le paragraphe d'introduction (ou la scène d'ouverture): on ne saurait suffisamment insister sur l'importance d'une telle "accroche" captivante; une documentation plus que solidesolide, allant jusqu'à une réelle maîtrise du domaine qu'on présente; le jugement critique.

    Ces deux derniers critères sont bien entendu le fait d'un scientifique, déjà spécialiste d'un domaine. C'est un "devoir d'état" pour lui de partager ce qu'il sait avec le reste de la collectivité. Ainsi, les chercheurs eux-mêmes sont tout désignés, en principe, pour servir de vulgarisateurs à leurs propres travaux.

    De telles réussites sont à la fois trop peu fréquentes, mais par rares pour autant. Citons quelques noms de scientifiques contemporains ayant aussi fait œuvre de vulgarisation: en France, Yves CoppensYves Coppens, Ivar Ekeland, Pierre-Gilles de Gennes, Albert JacquardAlbert Jacquard, Étienne KleinÉtienne Klein, Jean-Marc Lévy-Leblond; en Grande-Bretagne, Peter Atkins, Graham CairnsCairns-Smith, Richard Dawkins, Fred Hoyle; aux États-Unis, Freeman Dyson, Richard P. Feynman, Stephen Jay GouldStephen Jay Gould, Roald Hoffmann, Oliver Sacks, Carl Sagan, James B. Watson, Steven WeinbergSteven Weinberg; la mathématicienne Péter Rosza en Hongrie, de nombreux savants russes, ...

    Si le scientifique, à la plume facile, spirituelle et entraînante, est a priori le meilleur des vulgarisateurs, en pratique la vulgarisation est souvent le fait des journalistes scientifiques. Cette corporation se voit comme l'indispensable relais, entre les chercheurs dans leur tour d'ivoire, et un public, curieux de science, assoiffé de réponses aux grandes questions sur l'origine du monde ou de la vie, sur le sens de l'existence, et rêvant de l'amélioration des conditions de vie grâce aux progrès techniques. De plus, la science n'est pas la préoccupation majeure de l'opinion publique, ou des politiques. La santé, l'état de l'économie, des para-sciences comme l'astrologie, prennent aux yeuxyeux du public davantage d'importance.

    Aussi, les journalistes scientifiques n'ont pas la part belle. La première page des journaux leur est rarement accessible, le temps d'émission TV leur est chichement mesuré. D'autre part, ces vulgarisateurs, puisque ce sont des journalistes, ont la fréquente ambition de dénoncer un scandale, puisque le journalisme d'investigation est l'horizon de tout journaliste. Cela les amène parfois à donner une vision un peu déformée de la science: si la controverse fait partie intégrante de la vie normale de la science, les scandales véritables sont rares. Par exemple, monter en épingle la mémoire de l'eau n'est pas forcément pour un journaliste faire œuvre de vulgarisateur, mais participe d'un sensationnalisme, à terme nocif pour l'éducation scientifique de la collectivité.

    La France compte quelques centaines de journalistes scientifiques. Citons, au nombre des plus talentueux et accomplis, Jean-François Augereau, Philippe Boulanger, Stéphane Deligeorges, Dominique Leglu, Natalie Levisalles, Maurice Maschaal, OlivierOlivier Postel-Vinay, Philippe Testard-Vaillant, Hervé ThisHervé This, ... Les anglo-saxons excellent en la matièrematière: James Gleick, qui fut journaliste au New York Times avant d'écrire des livres grand public comme Chaos ou Génie (à propos de R.P. Feynman), Sharon Bagley qui rédige les articles scientifiques de Newsweek sont orfèvres en la matière sont au nombre des meilleurs.
    N'oublions pas pour autant l'édition: journalistes et scientifiques s'y retrouvent pour publier des livres, parfois mémorables (Gamow, Irène Curie dans la biographie de Marie CurieMarie Curie), souvent responsables de l'éveil de vocations de futurs chercheurs.

    Pierre Laszlo

    réferences:

    Martin Gardner, L'UniversUnivers ambidextre, Le Seuil-Science ouverte, Paris, 1985.

    Steven Weinberg, Les Trois Premières Minutes de l'univers, Le Seuil-Science ouverte, Paris, 1978.