au sommaire


    Différentes possibilités sont envisagées pour résoudre le problème de la matière noirematière noire. Celles-ci ne sont pas exclusives : la solution est peut-être un mélange de plusieurs ingrédients (ou n'en fait intervenir aucun !). En l'état actuel de la compréhension des choses, il semble que l'on soit confronté à deux problèmes distincts : celui de la matière noire baryonique (cette fraction des baryons que l'on sait être présents par les arguments présentés précédemment, mais que l'on ne voit pas) et celui de la matière noire non baryonique (qui représente la composante principale).

    Parmi les candidats baryoniques : les trous noirs. © alex_aldo, Adobe Stock
    Parmi les candidats baryoniques : les trous noirs. © alex_aldo, Adobe Stock

    Nous allons d'abord passer en revue quelques candidats baryoniques, puis nous intéresser aux candidats non baryoniques, dont la nature est encore très hypothétique. Nous présenterons enfin une approche radicalement différente, qui consiste à supposer qu'il n'y a pas de matière noire, que c'est un faux problème, dû à notre mécompréhension des lois de la gravitation (comme c'était le cas pour le mouvement de Mercure).

    1. La matière noire baryonique

    Les objets astrophysiques

    Il n'est pas insensé d'imaginer qu'il existe dans l'Univers de la matière qui n'émet pas suffisamment de lumièrelumière pour être vue directement. Après tout, la plupart des objets qui nous entourent dans la vie quotidienne n'émettent pas de lumière, on ne les voit que parce qu'ils sont éclairés par des sources externes. L'idée de matière noire baryonique est donc assez naturelle, finalement. Voici les principaux candidats qui ont pu être envisagés à un moment ou un autre :

    Chacune de ces hypothèses peut conduire à des tests expérimentaux, car aucun de ces objets n'est parfaitement invisible, il devrait être possible de les voir directement. Reprenons-les dans l'ordre :

    Les nuages moléculaires peuvent conduire à l'émissionémission de rayonnement gamma quand ils sont traversés par le rayonnement cosmique (des particules chargées de haute énergieénergie, rien à voir avec le rayonnement cosmologique dont on a parlé précédemment) que contient la GalaxieGalaxie, ils peuvent aussi absorber une partie du rayonnement qui les traverse quand on regarde un objet placé derrière.

    Les naines brunes, les naines blanches (voir les images ci-dessous) et les étoiles à neutrons sont des objets de type stellaire qui émettent du rayonnement dans certaines longueurs d'ondelongueurs d'onde. Les naines blanches ont la propriété de pouvoir se refroidir et donc s'éteindre (alors que la majorité des autres types d'astresastres s'échauffent au cours de leur évolution), si bien qu'on peut imaginer que l'Univers en contienne beaucoup sous forme éteinte et donc peu visibles. En fait, étant donné l'âge de notre Galaxie, on peut déterminer la luminositéluminosité des naines blanches les moins brillantes qu'elle contient (ce sont les plus vieilles), et il se trouve que le télescope spatial Hubble est en mesure de les détecter. Difficile d'en cacher, donc...

    Naine brune de 0,06 masse solaire (60 fois la masse de Jupiter), vue par Chandra par une éruption dans les rayons X.
    Naine brune de 0,06 masse solaire (60 fois la masse de Jupiter), vue par Chandra par une éruption dans les rayons X.
       Naissance spectaculaire dans une nébuleuse. Au milieu, Sirius B, une naine blanche assez difficile à voir (la tache supérieure) à cause de l'aveuglement causé par Sirius A (l'objet principal).
       Naissance spectaculaire dans une nébuleuse. Au milieu, Sirius B, une naine blanche assez difficile à voir (la tache supérieure) à cause de l'aveuglement causé par Sirius A (l'objet principal).

    Les trous noirs, comme d'ailleurs les naines brunes, les naines blanches, les étoiles à neutrons, et dans une certaine mesure les nuages moléculaires compacts, peuvent être détectés par le phénomène de lentille gravitationnellelentille gravitationnelle, que nous décrirons plus loin.

    Il semble qu'aucun de ces candidats ne puisse réellement avoir toutes les propriétés requises pour résoudre le problème de la matière noire, même si l'on ne cherche qu'à mettre en évidence la petite fraction de nature baryonique. Les tentatives de détecter un surplus de ces objets ont en partie échoué (voir plus loin, microlentilles gravitationnelles). De plus, plusieurs de ces solutions sont dès le départ peu satisfaisantes, car on ne comprend pas vraiment comment une quantité importante de naines blanches ou de trous noirs, par exemple, pourrait se former pendant l'histoire de l'Univers.

    Le gaz primordial

    Il est possible de détecter les grands nuages primordiaux d'hydrogène, grâce à leurs propriétés d'absorptionabsorption : en observant une source très lointaine (décalage vers le rougedécalage vers le rouge de l'ordre de 2 ou plus) dont le spectrespectre est connu, on peut voir des raies d'absorption causées par ces nuages. La raie d'absorption de chaque nuage est décalée vers le rouge d'un facteur qui dépend de la distance à laquelle il se trouve. On observe alors dans le spectre des quasars tout un tas de raies correspondant à l'ensemble des nuages qui se trouvent sur la ligne de visée. On parle de forêt Lyman alphaforêt Lyman alpha (Lyman alpha est le nom de la transition atomique qui donne naissance à chacune des raies individuelles). Leur étude est d'une grande importance en cosmologiecosmologie, d'une part parce qu'elle permet d'étudier la manière dont les nuages sont répartis dans l'espace (et donc de tester les modèles de formation des grandes structures) et d'autre part parce qu'on peut mesurer la quantité de gazgaz présent dans les régions sondées. Le résultat net est que la densité de gaz observé est très compatible avec les prédictions de la nucléosynthèsenucléosynthèse primordiale. Dit autrement, « on arrive à détecter la totalité des baryons dans l'Univers primordial, et il n'y a pas vraiment de problème de matière noire baryonique aux grandes échelles ».

    Forêt Lyman alpha obtenue dans une simulation numérique, dans une boîte de 30 millions d'années-lumière de côté.
    Forêt Lyman alpha obtenue dans une simulation numérique, dans une boîte de 30 millions d'années-lumière de côté.

    2. La matière noire non baryonique

    Les neutrinos

    On peut aussi envisager la possibilité que les neutrinosneutrinos constituent une partie de la matière noire. Les neutrinos sont des particules qui interagissent très peu avec la matière, et qui selon le modèle du Big BangBig Bang devraient être présents en quantité comparable à celle des photonsphotons du rayonnement de fond cosmologique. Leur densité est donc très bien connue, et si on arrive à déterminer leur massemasse, on peut alors en déduire immédiatemment leur contribution à la matière noire. La question de la masse des neutrinos a une histoire mouvementée, mais ces dernières années, un ensemble d'expériences spécifiques ont apporté des contraintes très fortes sur ces masses. Celles-ci, pour commencer, ne sont pas nulles : les neutrinos sont bien des particules massives. Toutefois elles ne sont pas suffisantes pour que les neutrinos constituent une part importante de la matière noire.

    De plus, ils sont trop légers pour expliquer que les grandes structures aient pu se former. Les neutrinos, avec une masse faible, se déplacent à une vitessevitesse proche de celle de la lumière pendant que les grandes structures s'effondrent. Nous verrons plus loin pourquoi ceci fait des neutrinos de mauvais candidats de matière noire.

    Le détecteur à neutrinos Kamiokande, vu lors de son remplissage. Les murs sont tapissés de photodétecteurs, dont on voit le nettoyage par l'équipe en bateau...
    Le détecteur à neutrinos Kamiokande, vu lors de son remplissage. Les murs sont tapissés de photodétecteurs, dont on voit le nettoyage par l'équipe en bateau...

    Les pistes de la physique des particules

    La physiquephysique des particules décrit les phénomènes élémentaires de la nature. Tous les phénomènes que l'on observe semblent mettre en jeu des champs quantiques qui ont des propriétés peu intuitives, ayant des caractéristiques que l'on attribuerait à des ondes et d'autres que l'on attribuerait à des particules. La théorie qui décrit ces phénomènes est appelée théorie quantique des champs.

    En fait, avoir une théorie n'est pas suffisant. Pour s'en convaincre, revenons à la mécanique classique. Cette théorie indique la manière dont un corps est mis en mouvement, en fonction des forces auxquelles il est soumis. Elle ne dit rien sur ce que sont ces forces, et pour comprendre le mouvement des planètes, il faut en plus supposer que la loi d'attraction gravitationnelle a une forme particulière. C'est la même chose en physique des particules, et on doit faire des hypothèses sur les interactions entre les particules. Les physiciensphysiciens aiment baser ces hypothèses sur des arguments de symétrie, et il se trouve que des symétries simples conduisent à un modèle qui rend bien compte des phénomènes observés, en particulier dans le domaine des hautes énergies; on l'appelle Modèle StandardModèle Standard de la Physique des Particules. Cette approche a conduit à l'unification de l'interaction faibleinteraction faible et de l'interaction électromagnétique.

    Malgré ses succès, ce modèle standard n'explique pas tout. Par exemple, il ne permet pas de comprendre pourquoi l'Univers que l'on observe est fait de matière sans contrepartie notable en antimatièreantimatière, ni pourquoi toutes les particules connues ont des charges électriques qui sont des multiples entiers d'une charge élémentaire, pour ne citer que quelques exemples. Ceci conduit les chercheurs à penser qu'il existe un modèle plus complet, peut-être basé sur une théorie elle aussi plus complète, qui fournit ces explications. De telles extensions du modèle standard ont été proposées, notamment :

    • les théories de Grande Unificationthéories de Grande Unification, qui partent de l'hypothèse que les différentes interactions (interaction électromagnétique, interaction faible, interaction forteinteraction forte) sont différentes facettes d'une même interaction fondamentale ;
    • les théories supersymétriques, qui partent de symétries plus étendues que dans le modèle standard ;
    • les théories de cordes, dans lesquelles les objets fondamentaux ne sont plus des points (comme les particules), mais peuvent être vus comme des cordes. Ces cordes possèdent plusieurs modes d'excitation (comme les vibrationsvibrations d'une corde de guitare), qu'on peut identifier à des particules différentes. Ainsi, les différentes particules ne seraient que les excitations différentes d'un même objet fondamental, et les réactions entre particules seraient les passages d'un mode de vibration à un autre, accompagné éventuellement d'une séparationséparation de la corde en plusieurs morceaux. Notons que ces théories de cordes reposent en général sur la supersymétriesupersymétrie et sur l'unification.

    Ces pistes sont encore seulement théoriques, dans le sens qu'aucune d'entre elles n'est appuyée par une confirmation expérimentale. Il faut aussi souligner que même au niveau purement théorique, il reste encore des problèmes de cohérence et des obstacles conceptuels. Ces théories prédisent l'existence de nouvelles particules :

    • particules supersymétriques (par exemple : les neutralinosneutralinos) ;
    • axionsaxions ;
    • neutrinos lourds ;
    • Q-balls ;
    • wimpzillas, cryptons... (ces noms sont mentionnés pour exciter la curiosité du lecteur. Les physiciens sont très joueurs, et consacrent une part non négligeable de leur imagination à inventer des noms aux nouveaux objets qu'ils inventent ou découvrent...).

    La plupart de ces particules sont instables et se désintègrent spontanément en d'autres particules. Toutefois, certaines peuvent être stables (ou du moins avoir un temps de vie très long). Si une telle nouvelle particule stable peut exister, et si elle a pu être créée à un quelconque moment du passé de l'Univers, alors on peut imaginer que l'Univers actuel en soit rempli et que cette particule constitue la matière noire.

    Pour résumer ce tableau compliqué, disons que ça arrangerait bien les physiciens des particules si une théorie venait remplacer ou compléter le modèle standard, et cela arrangerait bien les astrophysiciensastrophysiciens aussi car de nouvelles particules pourraient alors constituer la matière noire. Examinons plus en détail un exemple particulier de cette liste : le neutralino.

    Les neutralinos : matière noire « froide »

    Parmi les candidats apportés par la physique des particules, le neutralino joue un rôle assez important. Il s'agit d'une particule nouvelle introduite par la supersymétrie. Elle est neutre, elle est stable dans certaines versions de la supersymétrie, et elle pourrait constituer la matière noire. Précisons ce dernier point : les propriétés qui importent pour déterminer si une particule peut constituer la matière noire sont sa masse et sa section efficace (sa capacité à réagir avec une autre particule quand on les met ensemble).

    Commençons par détailler l'importance de la masse : plus une particule est massive, moins sa vitesse est élevée pour une énergie donnée. Ceci implique qu'à tout moment lors de l'évolution cosmologique, les particules très légères sont relativistes alors que les plus lourdes ne le sont plus. Or, au moment où les fluctuations de densité commencent à s'effondrer sur elles-mêmes pour former ce qui deviendra plus tard les premières grandes structures cosmiques (galaxies, amas de galaxiesamas de galaxies et superamassuperamas), la situation est complètement différente si les particules de matière noire sont relativistes ou pas.

    • Dans le premier cas (on parle de matière noire chaude), elles peuvent s'échapper rapidement dès qu'elles ont formé une surdensité, ce qui a tendance à ralentir leur effondrementeffondrement ultérieur, en particulier sur les petites échelles spatiales. La formation des structures commence alors par les grandes échelles spatiales, les superamas de galaxies, qui au fil du temps se fragmentent pour donner des amas de galaxies, puis des galaxies. On parle de scénario top-down (du haut vers le bas, en anglais).
    • Dans le second cas (on parle alors de matière noire froide), le phénomène précédent n'a pas lieu et les petites structures (galaxies, petits amas de galaxies) se forment d'abord. Les grandes structures se forment plus tard, par rassemblement et fusionfusion de structures plus petites. On parle de scénario bottom-up.

    En ce qui concerne la section efficace, c'est aussi une quantité cruciale, car elle détermine la quantité de particules qui peuvent survivre aux nombreuses réactions qui tendent à diminuer leur densité lors de l'expansion cosmologique. Le neutralino est à cet égard assez remarquable, car la physique des particules fournit une gamme de sections efficaces (et non pas une seule section efficace, malheureusement) qui conduit à des densités reliques (c'est le terme usuel pour la densité de particules survivantes) correspondant en gros à la densité de la matière noire. C'est très encourageant et l'hypothèse du neutralino compte parmi les favoris des astrophysiciens. Un point moins encourageant est que l'on est confronté ici à un certain paradoxe : pour qu'une particule soit abondante dans l'Univers aujourd'hui, il ne faut pas que sa section efficace soit trop grande, il faut donc qu'elle soit assez peu réactive. Comme c'est par leurs réactions qu'on détecte les particules, ceci implique qu'elle sera plus difficile à détecter !

    Notons pour finir que les calculs de densité relique permettent déjà d'exclure certaines propositions de solution au problème de la matière noire. En effet, certaines particules seraient dotées de sections efficaces trop petites, et leur densité relique aujourd'hui serait bien plus grande que la densité totale de l'Univers, ce qui n'est pas acceptable. On peut donc éliminer ces particules de la liste des candidats. Ceci permet par exemple d'exclure certaines valeurs des paramètres de la supersymétrie, pour lesquelles le neutralino serait beaucoup trop abondant aujourd'hui.

    Les modifications des lois de la gravitation

    Dimensions supplémentaires

    Pour d'autres raisons, certains théoriciens étudient la possibilité que notre Univers ait plus de 4 dimensions. Ceci peut sembler une idée très farfelue, vu qu'on ne voit pas ces dimensions supplémentaires. En fait, il y a deux raisons pour lesquelles on pourrait ne pas voir ces dimensions en plus, même si elles existaient :

    • elles sont « compactes », c'est-à-dire enroulées sur elles-mêmes à des échelles sub-microscopiques ;
    • les forces autres que la gravitation n'y ont pas d'effet.

    Cette hypothèse peut aussi conduire à l'existence de plusieurs nouvelles particules, qui pourraient constituer la matière noire. Elle conduit aussi à une modification de la loi de gravitation à petite distance. Ceci pourrait fournir un moyen de la valider ou de l'infirmer.

    Dans ce même ordre d'idée, il est envisagé que nous subissions l'influence gravitationnelle de ce que contient un autre espace, relié au nôtre par ces dimensions supplémentaires. Les manifestations de la matière noire seraient alors l'effet d'un monde parallèle sur le nôtre... Notons bien que l'on pourrait assez vite sombrer dans le délire le plus total, si on se contentait de cette manière de présenter les choses, qui ressemble plus à un épisode de Star Trek qu'à de la science. En fait, les scientifiques, quand ils expriment ces hypothèses très spéculatives, le font (en général) dans le cadre de développements théoriques précis et contrôlés... En l'occurence, les théories faisant intervenir des dimensions supplémentaires se placent souvent dans le cadre de la théorie des cordesthéorie des cordes.

    Une autre modification de la gravitation : Mond

    Il a aussi été proposé empiriquement que les lois de la gravitation ne soient pas les lois newtoniennes, ni celles que fournit la relativité généralerelativité générale. Un groupe de chercheurs s'est demandé quelle forme devrait avoir une force d'attraction gravitationnelle pour expliquer les mouvements internes des galaxies, sans faire appel à de la matière noire. Ils ont proposé une « théorie » qu'ils appellent Mond, acronyme de MOdified Newtonian DynamicsMOdified Newtonian Dynamics. Cette approche part d'une idée intéressante, mais elle se heurte à plusieurs problèmes graves. Elle souffre d'un certain manque de cohérence théorique. Elle est bâtie dès le départ sur une approche non relativiste, et elle ne résout pas le problème de la matière noire au niveau cosmologique. Enfin, signalons qu'il est possible de mettre en compétition les différents modèles de matière noire dans l'interprétation de certains systèmes très bien observés, comme les amas de galaxie. Il se trouve que MOND arrive toujours dans les dernières places, ce qui met cette hypothèse dans une mauvaise posture...

    Au-delà de la relativité générale

    Il peut enfin être envisagé que notre éventuelle incompréhension de la gravitation remonte à la source, que la relativité générale elle-même doive être remise en cause.