Des trous noirs de diverses masses ont pu se former pendant la première seconde du Big Bang et se retrouver être finalement à l'origine de la matière noire. Dans un nouveau scénario, ces trous noirs primordiaux auraient fait naître les premières étoiles plus tôt qu'on ne le pensait. Le télescope spatial James Webb pourrait vérifier cette théorie.


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    Un communiqué de l'EsaEsa fait écho à un article déposé sur arXiv et qui est un serpent de mer de l'astrophysique et de la cosmologie depuis environ 50 ans. La question ne cesse d'être débattue avec de multiples oscillations de balancier en ce qui concerne leur pertinence pour résoudre les épineux problèmes que sont la nature de la matière noirematière noire et l'origine des trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs. On espère aussi qu'ils pourraient servir à démontrer l'existence du rayonnement Hawking. Il s'agit bien sûr des trous noirs primordiaux.

    Reprenons les explications données de nombreuses fois à leur sujet dans les articles de Futura. Ces objets sont aussi célèbres sous le nom de mini-trous noirs et ce n'est rien de moins que Stephen Hawking qui s'en est particulièrement occupé à partir de 1971 en se basant sur les travaux publiés en 1966 par Yakov Zel'dovich et Igor Novikov, deux grands leaders de l'astrophysique et de la cosmologie relativiste russes.

    Des trous noirs fossiles du Big Bang

    Tout repose sur une constatation très simple dans les raisonnements concernant ces objets encore théoriques. Dans le cadre des modèles cosmologiques relativistes de type Big BangBig Bang, la densité « initiale » de l'Univers observable devait être très grande. Si l'on en croit les équations tentant de décrire l'état de la matière et du champ de gravitationgravitation proche de la singularité cosmologique initiale en relativité généralerelativité générale classique, l'Univers était alors très turbulent avec des fluctuations chaotiques de sa métrique et de sa densité comme l'ont montré les travaux de Charles Misner (modèle connu sous le nom de Mixmaster univers), ainsi que ceux de Belinsky, Khalatnikov et Lifchitz. Tout dernièrement d'ailleurs des travaux sur les ondes gravitationnelles produites à ce moment-là ont montré que le terme de turbulenceturbulence pouvait littéralement être utilisé dans son sens en hydrodynamique.

    Dans ces conditions infernales, si une fluctuation de densité devient telle qu'une massemasse donnée passe sous son rayon de Schwarzschildrayon de Schwarzschild en s'effondrant sous sa propre gravitégravité, un trou noir devait en résulter.

    Quelques physiciens célèbres de l'école russe. En haut et de gauche à droite : Gershtein, Pitaevskil, Arkhipov, Dzyaloshinskil. En bas et de gauche à droite : Prozorova, Aleksei Abrikosov, Khalatnikov, Lev Davidovich Landau, Evgeni Mikhailovich Lifchitz. © AIP
    Quelques physiciens célèbres de l'école russe. En haut et de gauche à droite : Gershtein, Pitaevskil, Arkhipov, Dzyaloshinskil. En bas et de gauche à droite : Prozorova, Aleksei Abrikosov, Khalatnikov, Lev Davidovich Landau, Evgeni Mikhailovich Lifchitz. © AIP

    Le problème est que l'on ne sait pas très bien combien auraient pu se former ni de quelles masses, mais un large spectrespectre est possible, dépendant des modèles et de la physiquephysique utilisée pour décrire cette phase très primitive du cosmoscosmos observable. Ils pourraient théoriquement avoir des masses aussi faibles que la masse de PlanckPlanck (Mp=10-5 g), mais également bien au-delà, par exemple 1.000 à 105 masses solaires, pouvant donc servir dans ce dernier cas de germesgermes pour la formation des trous noirs supermassifs.

    Lorsque l'existence de la matière noire a commencé à être sérieusement considérée, elle a été tout naturellement expliquée en faisant intervenir ces trous noirs primordiaux que l'on appelle donc des mini-trous noirs quand leur masse et leur taille sont très inférieures à celles des trous noirs produits par l'effondrementeffondrement des étoilesétoiles. Toute la matière noire, ou seulement une portion, pouvait en être constituée.

    Au cours des années, de multiples contraintes observationnelles ont été posées sur le spectre des masses des trous noirs primordiaux, c'est-à-dire sur les abondances de ces objets dans un intervalle de masse donné dans un volumevolume de l'Univers observable. Généralement, les conclusions atteintes étaient assez pessimistes sur l'existence de ces trous noirs et la fraction de matière noire dont ils pourraient rendre compte.

    Les spéculations ont été relancées avec la découverte des ondes gravitationnellesondes gravitationnelles produites par des fusionsfusions de trous noirs dans des systèmes binairessystèmes binaires anormalement massifs même si les masses impliquées sont de l'ordre de celles des étoiles. Pour rendre compte de cette anomalieanomalie, les astrophysiciensastrophysiciens avaient suggéré que ces trous noirs soient en fait des trous noirs primordiaux, et leur détection aussi rapide impliquerait alors qu'ils soient nombreux, au point de tout de même rendre compte de la matière noire.

    Un schéma explicatif de la chronologie du cosmos observable. Un temps zéro conventionnel dans les modèles relativistes adoptés fait « débuter » l'Univers. Des trous noirs primordiaux (<em>primordial black holes</em>) se forment et conduisent pendant les âges sombres (<em>Dark ages</em>) à une formation précoce d'étoiles et d'ondes gravitationnelles résultant de la fusion de trous noirs. © Esa
    Un schéma explicatif de la chronologie du cosmos observable. Un temps zéro conventionnel dans les modèles relativistes adoptés fait « débuter » l'Univers. Des trous noirs primordiaux (primordial black holes) se forment et conduisent pendant les âges sombres (Dark ages) à une formation précoce d'étoiles et d'ondes gravitationnelles résultant de la fusion de trous noirs. © Esa

    Nico Cappelluti (Université de Miami), Günther Hasinger (directeur scientifique de l'ESA) et Priyamvada Natarajan (Université de Yale) viennent aujourd'hui de relancer le balancier avec leur article accepté pour publication dans The Astrophysical Journal.

    Les chercheurs y proposent donc un nouveau modèle qui, selon eux, est compatible avec les contraintes ayant déjà exclu bien des intervalles de masses pour une population donnée de trous noirs primordiaux et ils pensent qu'ils ont fait d'une pierre deux coups non seulement en expliquant l'origine des trous noirs supermassifs mais aussi la matière noire. Ils prédisent aussi une formation accélérée des premières étoiles et plusieurs signatures observationnelles permettant de tester, ou pour le moins contraindre leur scénario.

    Des trous noirs primordiaux nés de transitions de phase

    Celui-ci reprend l'idée récemment avancée par d'autres chercheurs qui fait intervenir la formation de trous noirs primordiaux en quatre phases successives. D'abord des trous noirs de masses planétaires à la transition électrofaible, lorsque les bosons W et Z deviennent massifs grâce au mécanisme de Brout-Englert-Higgs, ensuite des trous noirs de l'ordre de la masse de Chandrasehkar lorsque les protonsprotons et les neutronsneutrons se forment par condensationcondensation du plasma de quarksquarks gluonsgluons (une autre transition de phasetransition de phase), puis des trous noirs de l'ordre de 30 masses solaires (comme ceux découverts initialement avec Ligo et dont on explique mal l'existence par effondrement d'étoiles) lorsque des pions se forment toujours à partir du quagma et enfin des trous noirs de l'ordre d'un million de masses solaires lorsque les électronsélectrons et les positronspositrons s'annihilent les uns avec les autres.

    L'importante population de trous noirs ainsi créée devrait produire lors de collisions des ondes gravitationnelles que le détecteur eLisa pourrait mettre en évidence au cours des années 2030. Mais la conclusion la plus intéressante peut-être concerne les premières étoiles.


    C'est l'histoire d'un télescope spatial nommé James Webb, conçu pour assurer la relève du mythique télescope Hubble. Son aventure spatiale commence au Centre spatial guyanais en décembre 2021, où il décolle à bord de la fusée Ariane 5 et sera placé en orbite autour du point de Lagrange L2 du système Terre-Soleil.Ce télescope contient plusieurs instruments dont Miri, développé sous la responsabilité de l’ESA et des agences spatiales nationales par un Consortium de laboratoires européens. © CEA, Cnes, CNRS, Osups

    Selon les calculs des chercheurs, dans leur scénario, les trous noirs primordiaux tendent à se rassembler un peu comme des étoiles dans un amas globulaireamas globulaire et forment donc des sortes de mini halos de matière noire baignant dans un mélange d'hydrogènehydrogène et d'héliumhélium.

    Ces halos s'effondrent et, entraînant avec eux les distributions de gazgaz environnants, y font augmenter leur densité au point d'amorcer la fragmentation et l'effondrement en régions plus denses qui vont devenir des protoétoilesprotoétoiles, des processus qui seraient donc survenus plus rapidement que dans les modèles classiques avec des particules de matière noire.

    Les premières étoiles vont donc naître plus tôt qu'on ne le pensait généralement dans ce scénario et, comme les trous noirs supermassifs vont aussi accréter de la matière, le télescopetélescope James Web devrait voir des sources infrarougesinfrarouges importantes déjà pendant la période appelée celle des âges sombresâges sombres et donc constater une importante formation stellaire plus tôt que prévue.

    Le rayonnement produit par l'accrétionaccrétion de matière sur des trous noirs supermassifs précoces devrait aussi être détectable, pas seulement en infrarouge mais aussi dans le domaine des rayons Xrayons X.

    Une comparaison de deux chronologies du cosmos. En haut celle du modèle cosmologique standard, en bas sa variante avec des trous noirs primordiaux. Le télescope James Webb et le détecteur d'ondes gravitationnelles eLisa devraient pouvoir départager ces deux scénarios. © Esa
    Une comparaison de deux chronologies du cosmos. En haut celle du modèle cosmologique standard, en bas sa variante avec des trous noirs primordiaux. Le télescope James Webb et le détecteur d'ondes gravitationnelles eLisa devraient pouvoir départager ces deux scénarios. © Esa