En combinant l'effet de loupe d'une lentille gravitationnelle avec la résolution record du radiotélescope Alma, les astronomes ont fait le zoom sur les jets d'un quasar situé à environ 11 milliards d'années-lumière. Les chercheurs pensent qu'ils observent peut-être le début de l'émission de ces jets par un quasar.


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    La découverte des quasars au début des années 1960 a bouleversé la cosmologie. On a commencé à la voir sous forme de sources radio puis, en trouvant leur contrepartie dans le visible, ces sources apparaissaient semblables à des étoiles. Mais l'étude de leur décalage spectral vers le rouge montrant qu'elles devaient être à des milliards d'années lumière, il devait s'agir d'astres incroyablement lumineux, bien trop pour une simple étoile, au moins 5 millions de millions de fois plus que le Soleil, ou présenté d'une autre façon 1.000 fois la luminositéluminosité des centaines de milliards d'étoiles de notre Voie lactéeVoie lactée !

    Á l'époque, on pensait que l'UniversUnivers observable, bien qu'en expansion, était infiniment grand et infiniment vieux, donc il devait être partout et en tout temps semblable à lui-même. Mais les Quasi-Stellar Radio Sources (les quasarsquasars selon la dénomination proposée en 1964 par l'astrophysicienastrophysicien d'origine chinoise Hong-Yee Chiu) montraient que, dans un passé pas si reculé, il existait des astres sans équivalent à ceux observés à moins d'un milliard d'années-lumièreannées-lumière. La découverte du rayonnement fossilerayonnement fossile fut la confirmation que le modèle de la cosmologie stationnaire, dominant avant 1965, n'était pas tenable et que le modèle du Big BangBig Bang de Gamow et Lemaître était par contre, lui, essentiellement correct car le cosmoscosmos était visiblement différent dans le passé.


    Dans cet extrait de la plateforme TV-Web-cinéma « Du Big Bang au Vivant », qui couvre des découvertes dans le domaine de l'astrophysique et de la cosmologie, Jean-Pierre Luminet nous parle des quasars. © Jean-Pierre Luminet

    Le souffle et les jets des quasars affectent les galaxies

    Il y avait donc une histoire du cosmos observable à établir et donc une théorie de la naissance et de l'évolution des galaxiesgalaxies et des grandes structures qui les rassemblent à construire, ce qu'a par exemple entrepris de faire le prix Nobel de physique James Peebles avec bien d'autres collègues. Au cours des décennies qui allaient suivre, les observations et les théories qu'elles impliquaient nous ont conduits à penser que les quasars étaient des trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs accrétant d'importantes quantités de matièrematière. Ces trous noirs se trouvent visiblement au cœur des galaxies. On connait l'exemple de celui de notre Voie lactée et de M87* récemment imagé par les membres de la collaboration Event Horizon Telescope.

    On observe, dans certains cas, que le prodigieux rayonnement des quasars s'accompagne aussi de jets bipolaires, jets qui entrent en collision avec des massesmasses de gazgaz. La masse des trous noirs supermassifs étant généralement proportionnelle à celle des galaxies les abritant, il semble que les deux croissent de paire et des observations laissent penser que le souffle du rayonnement des quasars et leurs jets sont capables d'affecter l'évolution de toutes les galaxies qui les contiennent au point d'en éjecter parfois le gaz, stoppant la formation stellaire.

    Vue d'artiste de MG J0414 + 0534. Le trou noir supermassif central vient d'émettre de puissants jets qui perturbent le gaz environnant dans la galaxie hôte. © Kindai University
    Vue d'artiste de MG J0414 + 0534. Le trou noir supermassif central vient d'émettre de puissants jets qui perturbent le gaz environnant dans la galaxie hôte. © Kindai University

    Pour mieux comprendre l'évolution des galaxies, il est donc nécessaire de mieux comprendre l'impact du souffle des quasars, et notamment de leurs jets, sur les masses de gaz galactiques et intergalactiques. Les astronomesastronomes se sont dotés d'outils dans ce but comme par exemple le réseau de radiotélescopesradiotélescopes Atacama Large Millimeter/submillimeter Array (ALMA). Comme les chercheurs l'expliquent dans une publication du journal Astrophysical Journal Letters et disponible en accès libre sur arXiv, avec l'aide du phénomène de lentille gravitationnellelentille gravitationnelle, ils ont pu faire un zoom sans précédent sur les jets associés à un quasar déjà étudié depuis un certain temps. Dénommé MG J0414+0534, il est situé à environ 11 milliards d'années-lumière de la Voie lactée.

    Image prise par ALMA de MG J0414 + 0534 (émissions de poussières et de gaz ionisés affichées en rouge et émissions de monoxyde de carbone affichées en vert). L'effet de lentille gravitationnelle produit une quadruple image du quasar. © Alma (ESO/NAOJ/NRAO), K. T. Inoue et al. 
    Image prise par ALMA de MG J0414 + 0534 (émissions de poussières et de gaz ionisés affichées en rouge et émissions de monoxyde de carbone affichées en vert). L'effet de lentille gravitationnelle produit une quadruple image du quasar. © Alma (ESO/NAOJ/NRAO), K. T. Inoue et al. 

    Un quasar pour comprendre l'évolution primitive des galaxies

    Le champ de gravitationgravitation d'une galaxie entre nous et MG J0414 + 0534 dévie les rayons lumineux qui en sont ici en agissant comme une loupe démultipliant par 4 l'image du quasar. « Cette distorsion fonctionne comme un "télescopetélescope naturel" pour permettre une vue détaillée des objets distants », explique ainsi l'astronome Takeo Minezaki, de l'Université de Tokyo, dans un communiqué du site d'Alma.

    « En combinant ce télescope cosmique et les observations à haute résolutionrésolution d'Alma, nous avons obtenu une vision exceptionnellement nette, qui est 9.000 fois meilleure que la vue humaine. Avec cette résolution extrêmement élevée, nous avons pu obtenir la distribution et le mouvementmouvement des nuagesnuages ​​gazeux autour des jets émis par le trou noir super massif », ajoute son collègue Kouichiro Nakanishi à l'Observatoire astronomique national du Japon.

    Les chercheurs ont alors mesuré des vitessesvitesses associées aux nuages de gaz en réponse à l'impact des jets de particules du quasar pouvant atteindre 600 km/s. Enfin, ils ont constaté que la taille des nuages ​​de gaz impactés et des jets est beaucoup plus petite que la taille typique d'une galaxie à cet âge, ce qui fait dire à l'astronome Satoki Matsushita : « Nous assistons peut-être à la toute première phase de l'évolution des jets dans cette galaxie, plusieurs dizaines de milliers d'années après leur naissance ».

    Autre chercheur impliqué dans cette découverte, Kaiki Inoue, professeur à l'Université de Kindai, conclut le communiqué en ces termes : « Nous avons trouvé des preuves révélatrices d'une interaction significative entre les jets et les nuages ​​gazeux, même au tout début de leur phase d'évolution. Je pense que notre découverte ouvrira la voie à une meilleure compréhension de l'évolution des galaxies dans l'Univers primitif ».

    Images reconstruites de ce à quoi ressemblerait le quasar MG J0414 + 0534 si l'effet de lentille gravitationnelle était supprimé. Les émissions de poussières et de gaz ionisés autour d'un quasar sont indiquées en rouge. Les émissions du monoxyde de carbone sont indiquées en vert, et ont une structure bipolaire le long des jets. © Alma (ESO/NAOJ/NRAO), K. T. Inoue et al.
    Images reconstruites de ce à quoi ressemblerait le quasar MG J0414 + 0534 si l'effet de lentille gravitationnelle était supprimé. Les émissions de poussières et de gaz ionisés autour d'un quasar sont indiquées en rouge. Les émissions du monoxyde de carbone sont indiquées en vert, et ont une structure bipolaire le long des jets. © Alma (ESO/NAOJ/NRAO), K. T. Inoue et al.