Une nouvelle théorie cosmogonique sur l'origine de la Lune vient d'être proposée. Au lieu de faire intervenir un seul impact géant avec une planète de la taille de Mars, baptisée Théia, elle repose sur une vingtaine de collisions avec des corps célestes plus petits, il y a environ 4,4 à 4,5 milliards d'années.

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    Nouveau rebondissement dans la saga de la cosmogonie des planètes du Système solaire concernant, et ce n'est pas la première fois, la formation de la Lune. La nouvelle théorie est proposée par deux chercheurs israéliens de l'institut Weizmann, Raluca Rufu et Oded Aharonson, dans un article publié dans Nature Geoscience. Si elle se révèle exacte, elle montrera une fois de plus qu'en science, de petites différences entre les prédictions d'une théorie bien assise et les données issues des observations peuvent conduire à la modifier profondément, voire à la réfuter.

    La théorie de l'impact géant entre la jeune Terre et une petite planète de la taille de Mars, baptisée Théia, environ cent millions d'années après la naissance de la Terre, s'est imposée à partir du début des années 2000. Elle est basée sur des simulations numériquessimulations numériques et les étranges similitudes de la composition chimique moyenne de la Lune et du manteau de la Terre déduites de l'étude des roches lunaires rapportées par les astronautes du programme Apollo.


    Plus de cent vidéos avec des images prises par la sonde japonaise Kaguya de la Jaxa lors de ses survols de la Lune. © Jaxa

    L'origine de la Lune, la cosmochimie et la mécanique céleste

    Théia, qui devait contenir un noyau de fer et de nickelnickel comme la Terre, aurait été détruite par sa collision avec la Terre. Son noyau aurait été avalé par notre planète tandis qu'une partie de la matièrematière de son manteau ainsi qu'une partie de celui de la Terre, arrachées par l'impact, se seraient retrouvées sur orbiteorbite en formant un anneau. Ces matériaux se seraient finalement accrétés en donnant notre Lune. Voilà qui expliquerait pourquoi elle est beaucoup moins riche en ferfer qu'attendu pour une petite planète formée comme la Terre et que celle-ci aurait capturée, et également pourquoi sa composition chimique ressemble tant à celle du manteau de notre planète bleue.

    Toutefois, cette composition est trop proche de celle de la Terre selon les cosmochimistes. En effet, même si le disque protoplanétaire à l'origine de toutes les planètes devait être particulièrement bien brassé par la turbulenceturbulence de son gazgaz, il a dû tout de même apparaître des différences dans la formation des petits corps célestes, notamment à cause du gradientgradient de température entre ses bords interne et externe. Les migrations planétaires chaotiques et les collisions ont certainement aussi contribué à mélanger les matériaux de base contenus dans les planètes mais pas au point de produire des compositions homogènes indépendantes des lieux de naissance des planètes.

    Les roches lunaires devraient donc avoir conservé la trace des différences de composition chimique entre Théia et la jeune Terre, en particulier au niveau des abondances de certains isotopesisotopes. Mais comme tout dépend en fait de la portion du manteau de la Terre qui a été incorporée dans le matériaumatériau lunaire et que cette portion dépend elle-même de l'angle et de la vitessevitesse de Théia au moment de l'impact, ce problème pouvait être résolu avec un bon choix des paramètres initiaux.


    L'ancienne et la nouvelle théorie de formation de la Lune avec la création de petites lunes (moonlet) sur des orbites différentes qui vont migrer avant de fusionner. © Weizmann Institute of Science

    La Lune pourrait-elle avoir été formée par les collisions de petites lunes ?

    Néanmoins, ces choix de paramètres initiaux imposent de faire certains postulatspostulats qui peuvent paraître assez improbables et c'est pourquoi plusieurs chercheurs avaient des doutes quant au scénario standard. Or, il se trouve que Rufu et Aharonson explorent depuis quelque temps une variante du scénario de l'impact, comme ils l'ont déjà expliqué lors de la Lunar and Planetary Science Conference de 2015.

    L'idée est simple, il n'y aurait pas eu un impact géant mais plusieurs, avec des corps célestes de tailles respectables mais plus petits que la planète Mars. Cela n'aurait rien de bien surprenant car à l'aubeaube de la formation du Système solaire, de telles collisions devaient être fréquentes. Les deux astrophysiciensastrophysiciens ont exploré ce modèle à l'aide de plusieurs centaines de simulations numériques sur ordinateurordinateur et avec des objets dont les massesmasses étaient comprises entre un centième et un dixième de celle de la Terre. Il apparaît que les contraintes sur les vitesses, les angles de collisions et la composition chimique des impacteursimpacteurs sont nettement plus faibles pour obtenir des matériaux en orbite autour de la Terre largement issus de son manteau et dont l'accrétionaccrétion donnerait notre Lune. Il se serait même former plusieurs petites lunes qui, en entrant ensuite en collision, auraient formé notre satellite en environ cent millions d'années.

    Il ne s'agit encore que de travaux préliminaires car si le modèle donne la bonne quantité de matériaux du manteau terrestresmanteau terrestres en orbite, reste à prouver que les petites lunes obtenues vont effectivement entrer en collision pour créer la Lune. Si cette dernière étape apparaissait finalement improbable, nous serions probablement ramenés à la case départ. On ne peut pas non plus écarter l'hypothèse que la très grande similitude observée entre la composition chimique de la Lune et du manteau de la Terre soit remise en question quand de plus grandes quantités de roches lunaires seront disponibles.


    Origine de la Lune : du nouveau sur la collision entre Théia et la Terre

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 22/09/2016

    L'origine de la Lune est un problème de cosmogonie passionnant. Depuis quelques décennies, l'hypothèse de sa genèse à partir d'une collision entre la Terre et une petite planète nommée Théia a la faveur de la communauté scientifique. Des chercheurs pensent maintenant que cet astreastre a frappé la Terre de manière frontale et non pas latéralement comme supposé jusqu'à présent.

    Deux chercheurs états-uniens viennent de publier dans Nature un article qui, bien que ne remettant nullement en cause le scénario de la collision entre la jeune Terre et une petite planète nommée Théia expliquant la formation de la Lune, apporte tout de même une pièce importante aux débats concernant les divers modèles qui en découlent. De nouveau, ce sont les méthodes de la cosmochimie isotopique qui semblent avoir permis une avancée significative.

    À partir du début des années 2000, il est apparu que la composition chimique de la Lune était bien trop proche de celle du manteau de la Terre. Or les modèles physiquesmodèles physiques expliquant plusieurs des caractéristiques du système Terre-Lune, notamment des simulations sur ordinateurs, favorisaient l'hypothèse d'un impact latéral entre Théia et la Terre. Il en résultait que les matériaux à partir desquels notre satellite s'était formé par accrétion provenaient majoritairement de Théia. Problème, les modèles cosmogoniques du Système solaire impliquaient que Théia aurait dû avoir une composition différente de celle de la Terre, car elle ne se serait pas formée à la même distance du SoleilSoleil que notre planète dans le disque protoplanétairedisque protoplanétaire.

    Deux scénarios proposés pour expliquer les abondances d'isotopes oxygène identiques entre les roches lunaires et celle de la Terre mais que l'on peut départager en mesurant les abondances de certains isotopes du potassium (symbole chimique K). Pour plus de détails sur ces schémas, qui montrent que la formation de la Lune s'est faite au-delà de la fameuse limite de Roche, voir les explications ci-dessous dans le texte. © Kun Wang

    Deux scénarios proposés pour expliquer les abondances d'isotopes oxygène identiques entre les roches lunaires et celle de la Terre mais que l'on peut départager en mesurant les abondances de certains isotopes du potassium (symbole chimique K). Pour plus de détails sur ces schémas, qui montrent que la formation de la Lune s'est faite au-delà de la fameuse limite de Roche, voir les explications ci-dessous dans le texte. © Kun Wang

    Parmi les explications données, on a supposé l'existence d'une atmosphèreatmosphère de roches silicatées vaporisées enrobant la protolune et la jeune Terre en formation, conduisant à des échanges chimiques tendant à homogénéiser la composition des deux corps. Il aurait même existé un disque de magmamagma entourant la Terre, formé majoritairement de la matière de la défunte Théia et donnant finalement naissance à la Lune.

    Une hypothèse plus radicale faisait intervenir une collision frontale entre Théia et la Terre libérant beaucoup d'énergie thermiqueénergie thermique. Une enveloppe de matière chaude à l'état de fluide supercritique formée essentiellement du manteau de la Terre avant la collision se serait ensuite condensée pour donner la Lune mais aussi une partie importante du nouveau manteau de notre planète.

    Un gain d'un facteur 10 dans la précision des abondances de certains isotopes du potassiumpotassium, en l'occurrence 41K et 39K, mesurées dans les roches lunaires rapportées par le programme Apollo vient toutefois de favoriser cette dernière hypothèse comme l'explique l'article de Nature. Les différences observées ne seraient pas compatibles avec la première hypothèse en raison de la différence du processus de condensationcondensation de la matière et de son fractionnement chimique.


    Origine de la Lune : elle serait née d'une collision frontale

    Une nouvelle étude portant les isotopes de l'oxygèneoxygène au sein de roches terrestres et lunaires semble conduire à revoir le scénario de la formation de la Lune. Elle se serait bien bien formée après le choc entre la proto-Terre et un énorme impacteur, Théia, comme on le pensait. Mais le choc aurait été frontalfrontal.

    Article de Laurent Sacco publié le 02/02/2016

    Depuis que William K. Hartmann et Donald R. Davis ont publié dans le célèbre journal Icarus un article proposant les grandes lignes du scénario de la collision pouvant expliquer l'origine de la Lune, celui-ci a connu plusieurs rebondissements et ne cesse de se renforcer. Tout comme leurs collègues Alastair G. W. Cameron et William R. Ward (qui étaient également arrivés à des conclusions similaires indépendamment), les deux astrophysiciens s'étaient inspirés des travaux concernant la formation des planètes du Système solaire issus de l'école soviétique menée par Viktor Safronov.

    Ces quatre chercheurs avaient également utilisé les données cosmochimiques fournies par les roches ramenées sur Terre par les missions ApolloApollo ainsi que l'analyse des météoritesmétéorites. Ils en étaient venus à la même déduction : quelques dizaines de millions d'années après le début de la formation du Système solaire il y a 4,56 milliards d'années, une petite planète de la taille de Mars et baptisée Théia - son nom lui a été donné en souvenir de la divinité grecque mère d'Hélios (le Soleil) et de Séléné (la Lune) - avait dû entrer en collision avec la proto-Terre. Les débris de cette collision auraient ensuite donné naissance à la Lune par accrétion dans le disque de matériaux formé autour de la jeune Terre. La mécanique céleste nous dit en effet qu'une collision est bien plus probable qu'une capture de la Lune par la Terre.

    L'hypothèse n'eut pas vraiment d'écho dans la communauté scientifique jusqu'à ce qu'une conférence se tienne en 1984, à Hawaï, sur l'origine de la Lune. Celle-ci donna lieu à la publication d'un livre en 1986 qui est, depuis, devenu une référence sur ce sujet. De nombreuses simulations numériques ont par la suite vu le jour (notamment celle de Robin Canup dans les années 1990), qui ont tout à la fois contribué à conforter cette théorie et à la rendre problématique. Les cosmochimistes sont aussi entrés dans la danse et, si personne n'a vraiment remis en question le scénario de la collision, on assiste tout de même à des mouvementsmouvements de balancier en ce qui concerne les détails de cette collision.

    Un échantillon de roche lunaire prélevé lors de la mission Apollo 15. Il s'agit d'un basalte. © Nasa

    Un échantillon de roche lunaire prélevé lors de la mission Apollo 15. Il s'agit d'un basalte. © Nasa

    La Lune contient beaucoup de matière du manteau terrestre

    Le dernier scénario en date est exposé dans un article publié dans Science par une équipe internationale de chercheurs. Là encore, l'enjeu est de déterminer la composition chimique exacte de Théia, sa taille et surtout l'angle avec la proto-Terre aumoment de l'impact. Selon ces paramètres, une plus ou moins grande quantité du manteau terrestre aurait été éjectée dans l'espace pour être ensuite incorporée dans la jeune Lune.

    Pour poser des contraintes sur ces paramètres, les chercheurs ont fait de nouvelles analyses d'échantillons de sept roches lunaires rapportées par les missions Apollo 12, 15 et 17. Ils ont plus précisément déterminé les abondances des isotopes d'oxygène 16, 17 et 18. Ils ont fait de même avec cinq roches volcaniquesroches volcaniques provenant d'Hawaï et issues, donc, de la remontée du panache de matière chaude associé à un point chaud, une source qui permet d'accéder à la composition en profondeur du manteau de la Terre. Une roche volcanique de l'Arizona a également été utilisée.

    L'oxygène, sous ses différentes formes isotopiques, constitue jusqu'à 90 % du volumevolume des roches silicatées constituant le manteau de la Terre et sa croûtecroûte et pas loin de 50 % de leur poids. Ces isotopes constituent des sortes d'empreintes digitalesempreintes digitales des corps rocheux dans le Système solaire. Mars, la Terre et les météorites ont des abondances d'isotopes 17 et 18 spécifiques. Cependant, contrairement à ce qu'avaient avancé des chercheurs allemands en 2014, il semble maintenant qu'il n'y ait pas de différences mesurables d'abondances des isotopes au sein de la Lune et de la Terre.

    Cette image est celle d'une lame de roche basaltique lunaire observée au microscope polarisant. L'échantillon de roche provient de la mission Apollo 12. © Nasa

    Cette image est celle d'une lame de roche basaltique lunaire observée au microscope polarisant. L'échantillon de roche provient de la mission Apollo 12. © Nasa

    A priori, Théia devait avoir une composition isotopique différente de celle de la Terre. Selon les chercheurs, pour expliquer que la Lune et la Terre aient perdu la mémoire de cette différence, il faut supposer une collision frontale.

    Jusqu'à présent, c'était l'hypothèse d'une collision latérale, avec un angle de 45°, qui était favorisée. Toutefois, avec une collision frontale, une plus grande quantité de matériaux en provenance du manteau de notre planète aurait notamment été éjectée avant qu'une partie mélangée aux restes de Théia ne se retrouve dans la jeune Lune et la jeune Terre. Avec une collision à 45°, la Lune aurait contenu plus de matériaux provenant de Théia, ce qui ne semble pas être le cas.

    Le dernier mot n'est probablement pas encore dit. Les prochaines missions lunaires, les analyses géochimiques réalisées sur Terre et les simulations numériques des mécaniciens célestes alimenteront sans doute le débat pendant encore longtemps.